Comptes-rendus Pratiques Poétiques

« D’ombres et de pierres – Les pays emmêlés » de Georges Voisset

Ni d’ici
ni d’ailleurs
d’à côté suis

Georges Voisset appartient à la catégorie, rare en nos contrées, des poètes « orientalisants ». Il est le grand spécialiste du pantoun auquel il a consacré plusieurs ouvrages dont une Histoire du genre pantoun (1) et un livre de traductions, Le Chant à quatre mains (2). Familier de l’archipel malais, il a vécu et travaillé au Japon, en Mauritanie et à la Martinique avant de poser ses malles en Bretagne. Le recueil qu’il nous propose aujourd’hui, illustré de nombreuses photographies rapportées de ses voyages, établit une sorte de bilan poétique de toute une vie non pas vraiment d’errances mais de dépaysements et d’acclimatations successives. Une vie enrichie par des lectures, comme il sied à un universitaire enseignant la littérature. On voit ainsi passer au fil des pages Rutebeuf, Rabelais, Racine, Proust… sans compter les poètes orientaux dont le nom ne parlera qu’à une poignée de lecteurs.

L’authentique pantouN malais est constitué de deux dystiques, le premier est une image annonçant le second qui donne le sens, comme par exemple ici :

Tempête sur les fleurs
fraises rongées au cœur.
Hélas ! C’est la douleur
qui seule rend meilleur.

Certains, pour être plus prosaïques ne sont pas moins sages :

Ballonnements et flatulences
sont le lot du mangeur de chou.
À ruminer froides vengeances
on se forge un destin de pou.

Mais le pantoun, c’est aussi le pantouM, un poème de plusieurs quatrains qui s’enchaînent, le vers 2 d’une strophe repris au vers 1 de la suivante et le vers 4 au vers 3. Cette structure générative eut son heure de gloire en France au XIXe siècle, de nombreux poètes et non des moindres l’ayant illustrée. Ainsi dans ce pantoum breton, à nouveau maraîcher et non dépourvu d’humour intitulé « Les cocos de Paimpol » :

Oignons roses de Roscoff, cocos de Paimpol,
topinambours, navets au panier paysan.
Sur le drap dentelé je dépose Scarole :
Belles effarouchées s’effeuillent prudemment.

Topinambours, navets au panier paysan,
rutabagas et giromons de la Barbade.
Belles effarouchées s’effeuillent prudemment.
Las ! Drap taché : Scarole en fit une salade, etc.

Chez Voisset, on l’aura compris, la poésie ne porte pas à la morosité. Par exemple lorsqu’il travestit un poème classique, comme ici « Le chartier embourbé » de La Fontaine :

C’était à la campagne
Près d’un certain canton de la basse Bretagne
Appelé Quimper-Corentin, etc.

Ce qui donne, transposé dans la mer des Salomon :

C’était au temps des pagnes
sur les bords mal connus de Nouvelle-Bretagne
et des étuis péniens, etc.

Ce qui n’interdit pas la joliesse ni l’émotion, comme dans ce quatrain en l’honneur des grands-mères :

Comme elles sautillent les filles !
Le dieu martial bat en retraite.
Passe un régiment de jonquilles –
« Grand-mère, aujourd’hui c’est ta fête ».

C’est le charme de ce recueil qu’il ne cesse de ménager des surprises. Un livre à ouvrir au hasard, s’arrêter sur un poème ou quelques pages, s’en déprendre pour le reprendre plus tard. On verra qu’il respecte les promesses du titre, qu’il évoque toutes sortes de circonstances et de lieux, que les pierres aussi sont bien présentes, apsaras d’Angkor ou saints des églises. Avec parfois les élans d’un lyrisme amoureux :

Rimer ton sourire c’est enfantin. C’est
buisson ardent, ou bien tout autre mot en -onde.
Mais rimer ton corps dès ton ongle c’est
comme entrer tout vif dans l’autre monde.

Et pour finir cette brève recension d’un ouvrage qui brille autant par son originalité que par le talent de l’auteur, un dernier pantoun :

Ce soir le bambou qui fleurit
tous les cent ans va fleurir.
Ce soir un pantoun a jailli,
quatre vers suffisent à tout dire.

(1) Histoire du genre pantoun – Malaisie, Francophonie, Universalie, Paris, L’Harmattan, coll. « Lettres asiatiques – Malaisie », 1997, 340 p.

(2) Le Chant à quatre mains – Pantouns et autres poèmes d’amour, Le Banian, 2010, 218 p., 18 €.

D’ombres et de pierres – Les pays emmêlés. Pantouns, Images, Circonstances, Éditions de la Cave aux Loups, 2023, 298 p., 20 €.
(
eddelacaveauxloups@gmail.com)