Francis Pavy : Visions par Alexandre Leupin et Francis X. Pavy, Louisiana State University Department of French Studies, coll. « Louisiana Treasures », Baton Rouge, 2018, 123 p., nombreuses illustrations, bilingue anglais-français.
Pourquoi s’intéresser à la monographie d’un peintre louisianais né en 1954, peu connu à l’étranger malgré quelques expositions en Europe et en Asie ? Parce qu’elle apparaît comme un modèle du genre au sens où elle n’offre pas seulement une présentation de la personne de l’artiste et une analyse de ses œuvres mais où elle nous fait pénétrer autant que cela est possible à l’intérieur d’un processus créatif original.
La copieuse introduction d’Alexandre Leupin replace l’œuvre de Pavy dans l’histoire de l’art, avec ce retour au figuratif qui n’a rien de simple à l’heure où un certain art contemporain triomphe dans les biennales et chez les marchands. Il est important à cet égard de savoir que Pavy a commencé par le photoréalisme, un genre dans lequel il a produit des chefs d’œuvre comme l’Autoportrait à la flute qui date de 1982. Il a également pratiqué la céramique et le vitrail avant de trouver son style pictural, un style avant tout réaliste, « réaliste » » comme on le conçoit désormais, qui montre des figures immédiatement reconnaissables (le plus souvent sur un fond abstrait) mais sans le souci de l’exactitude qui a caractérisé la peinture depuis la Renaissance jusqu’à l’avènement de l’art moderne. Une particularité de ce peintre tient à la présence dans ses tableaux de motifs récurrents. Gravés sur linoleum, les « pavicônes » peuvent être réemployés lorsque l’artiste passe à l’estampe.
Au-delà de ces considérations techniques, l’ouvrage devient passionnant quand Pavy, interrogé par Leupin, explique la signification de ses figures obsessionnelles : poteaux télégraphiques semblables à la double croix de saint Pierre, balais de paille en forme de main, combats de coqs, œil, corbeau, fumeur, pour n’en citer que quelques-unes. Plus fascinants encore les développements consacrés aux « visions » qui donnent leur titre au livre : rêves involontaires ; rêves « lucides » (« on a conscience d’être dans un état de rêve subconscient »), visualisation dirigée (« vous commencez avec un concept et visualisez mentalement le résultat comme réel […] et si un résultat est visualisé de façon répétée, alors le désir est transmis au subconscient et il fera le plus gros du travail, en faisant des connexions et en revoyant des idées à l’esprit conscient ») ; imagination dirigée (« si j’ai seulement un dessin, je vais « voir » une partie qui semble devoir être peinte en rouge. Ensuite je vais imaginer que si ici c’est rouge, cette autre partie sera bleue, et si c’est bleu et rouge, alors il y aura une autre partie mauve. J’utilise aussi cette technique pour me parler à moi-même, afin de faire progresser une œuvre difficile. J’assume deux personnalités et je discute du travail avec moi-même ») (p. 69, 71).
Grâce à ses très nombreuses illustrations, le livre rend compte de la diversité des œuvres sorties de l’imagination de l’artiste : trois tasses de café blanches posées sur le bord d’un chapeau noir, surmontées par trois silhouettes de danseurs (Coffee Dancers) ; un homme attablé devant un énorme plateau d’écrevisses (Crawfish Eater) ; un autre homme qui porte un boudin à sa bouche (Boudin Eater) ; deux hommes tenant leurs coqs avant le début du combat (Louisana Sportsman’s Paradise Series : Cockfighting) ; deux mains qui balancent des billets dans un chapeau qui déborde déjà (Passing Hat) ; une guitare plantée dans l’eau, le manche prolongé par un poteau télégraphique (Lost Highway). Il s’agit ici d’œuvres de format réduit. Sur d’autres de dimensions plus impressionnantes on voit par exemple une multitude de figures humaines qui se donnent du bon temps comme dans Bar Scene (540 x 180 cm), en portant masque et déguisement comme dans Born on Mardi Gras (549 x 183 cm). D’autres grandes toiles représentent les bayous. Resource : Louisiana Wetland (540 x 180 cm) ou Vengolden (450 x 180 cm) mêlent les motifs abstraits et réalistes : plantes, poissons, oiseaux.
La diversité des sujets n’empêche pas de les rattacher à une thématique commune : la Louisiane. Pavy se revendique d’ailleurs comme représentant d’une esthétique du Sud (qui déborde les Etats-Unis) caractérisée par une palette plus « vibrante » et un tropisme figuratif, ce qui constitue une description assez juste de son travail. Il faudrait y ajouter l’absence dans de nombreux tableaux de toute perspective et une certaine influence de Basquiat assez évidente dans quelques tableaux à l’instar de King Creole.
- Article repris de Recherches en Esthétique n° 25, janvier 2020, p. 237-238.