Nos lecteurs connaissent Olivier Larizza, un universitaire doublé d’un écrivain talentueux qui fut pendant plusieurs années maître de conférences d’anglais à l’Université des Antilles et de la Guyane en Martinique. Là, ce Strasbourgeois connut à la fois l’émerveillement de la découverte et la séparation de la terre natale. Un arrachement qui peut s’analyser comme une « catastrophe » à la base de ce que Patrick Chamoiseau nomme l’« état poétique » (Le conteur, la nuit et le panier, 2021) .
La mutation est le troisième (et nous confie-t-on dernier) volet de l’œuvre poétique inspirée par la Martinique. Ce titre, après L’exil (2016)i puis L’entre-deux (2018)ii, veut-il exprimer que l’auteur alors âgé de quarante ans, se considérait comme un homme neuf à l’issue de son séjour ? Il l’aura en tout cas changé, tout comme la pratique de la poésie qui s’imposa à lui dès son arrivée en France-Amérique. Car si la poésie n’enrichit personne, elle est la meilleur amie de l’homme en proie au spleen.
La poésie ne m’enrichira nulle-ment
Pute ou pucelle je l’entretiens ma
maîtresse (folle du logis) je m’y loge dans la fente
tire-lire de feu
On retrouve dans ce recueil l’autodérision à défaut de laquelle cette auto-analyse poétique paraîtrait complaisante.
La place St-Sulpice a
parfois l’air d’un supplice Je suis l’écrivain
au regard vain l’allure éthérée fantôme
brillant de mille feux avant la faible pluie
d’atomes où ma foi je finirai comme
vous tous
Larizza est écartelé d’un bord à l’autre de l’Atlantique, entre Europe et Caraïbes.
Orly-sud nous fait poireauter Le vol
pour Fort-de-France brille dans nos esprits
miroir aux alouettes fascinant le
loriot de l’Orient que je suis
Les mots sont le terrain de jeu du poète. Larizza ne s’en prive pas
Je me complais
dans le marasme la mélasse
qui délicieusement me
délasse
Le recueil se conclut sur quelques passionnantes pages de prose dans lesquelles l’auteur interroge sa pratique de l’« autobiographie poétique », une forme qui, selon une étude du professeur Eric Benoît citée ici, « s’attache moins à l’événement anecdotique qu’à son retentissement intérieur ». En d’autres termes, comme l’écrit maintenant Larizza, il s’agit moins « de raconter ce qui s’est passé ou ce que l’on voit que de se raconter, de dire quelque chose de soi à travers la transfiguration lyrique du vécu… et de s’esthétiser par la même occasion ». Ce qui n’exclut pas, ajoute-t-il, « le trait descriptif prosaïque, un propos déplacé bien placé », ce qu’il nomme joliment « l’écume du moi ».
Cette postface ajoute quelques réflexions non moins intéressantes sur la discontinuité topo- (ou typo-) graphique, les enjambements d’un vers à l’autre « qui rendent rythmiquement sensible la béance centrale qui troue l’histoire du moi », comme sur le tropisme métaphorique de toute poésie qui rame ainsi « à contre-courant d’un usage linguistique général qui s’édulcore, s’appauvrit, se robotise, s’orwellianise ».
Case-Pilote, 02/02/2022
Olivier Larizza, La Mutation, Paris, Andersen, 2021, 108 p., 9,90 €.