Scènes

Avignon 2018 (2) Don Delillo adapté par Julien Gosselin – IN

On ne reprochera pas à Julien Gosselin de s’intéresser à des auteurs anodins. Après Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq en 2013, 2066 de Roberto Bolano en 2016, il s’est attaqué à l’Américain Don Delillo dont il présente une adaptation de trois romans, complétée entre la deuxième et la troisième partie, pendant le changement de décor, par un monologue qui dure environ une heure tiré de L’Ange Esmeralda du même auteur. Le spectacle qui dure de trois heures de l’après-midi jusqu’à une heure du matin est en effet sans entre-acte, le public étant néanmoins invité à quitter la salle à son gré pour se restaurer ou simplement prendre l’air (ou plutôt le mistral en l’occurrence) sur la pelouse de la Fabrica. Les habitués d’Avignon savent combien ce nouveau lieu voulu par les précédents directeurs du festival est adapté aux « grosses machines » et J. Gosselin en use à plein. Le décor du deuxième tableau constitué d’un cube vitré parcouru par un trottoir intérieur sur les quatre côtés témoigne d’une recherche d’élégance. On n’en dira pas autant du reste de la pièce où le décor est davantage fait pour dissimuler que pour montrer, l’animateur du collectif « Si vous pouviez lécher mon cœur » usant et même abusant de la vidéo. C’est en particulier le cas pendant tout le début du spectacle et au-delà où, après un monologue hurlé par une comédienne interminable et sans grand rapport avec ce qui suivra, les comédiens ne seront vus qu’à travers la caméra qui les suit. Si bien que lorsqu’une porte finira par s’ouvrir dans la cloison qui ferme à ce moment là le plateau pour laisser sortir –brièvement – deux comédiens, cela nous sera comme une divine surprise. Plus tard, on verra par moments les comédiens en chair et en os à l’avant-scène mais la vidéo s’impose massivement tout au long de la pièce.

La première partie inspirée des Joueurs de Delillo a des dialogues pleins d’humour. Il est vrai que les situations s’y prêtent (une salle de marché à Wall Street, un couple en crise, une bande de quatre  copains délurés, dont deux homos). On a malgré tout un peu de mal à suivre la conversion du jeune trader en apprenti terroriste menant de surcroît un double jeu. La deuxième partie inspirée du roman Mao II qui montre un vieil écrivain résolu à s’éloigne du monde mais qui se laisse embringuer dans une vaine tentative pour libérer un poète otage d’une fraction libanaise intéresse moins, de même que la troisième inspirée du roman Les Noms, centrée sur la traque d’une secte qui assassine ses victimes suivant une règle alphabétique.

Par rapport à 2066, Gosselin s’éloigne de plus en plus du théâtre au profit d’une démarche cinématographique privilégiant plans rapprochés et gros plans. Pour résumer, il pratique un cinéma qui se renouvelle tous les soirs comme le théâtre (puisque les comédiens sont filmés à chaque représentation en direct) et dans les décors faux du théâtre. Or, autant l’usage de la vidéo peut s’avérer positif lorsqu’il se cantonne dans un rôle de complément, autant il s’avère problématique lorsque les comédiens sont presque constamment dissimulés dans un décor destiné à cacher plutôt qu’à montrer. Et qui dit vidéo dit micro avec tout ce que cela implique de désagrément esthétique pour l’œil des spectateurs et pour son oreille dès que le son n’est pas parfaitement réglé (et l’on ne parle pas seulement ici du volume), ce qui est malheureusement le cas. La présence d’un tel appareillage soulève immédiatement un doute au demeurant : du micro d’oreille à l’oreillette (au sens d’écouteur) il n’y a qu’un tout petit pas. Et de fait, confronté à tous les monologues souvent interminables et dits sur un ton saccadé qui parsèment la pièce, on ne manque pas de se poser la question de savoir si le comédien les a bien intégralement appris ou si et dans quelle mesure il se repose sur son « oreillette » !

La musique, jouée en live au fond du plateau, est très présente mais un tantinet moins assourdissante que dans 2066. Par contre les voix sont trop et mal amplifiées, comme déjà noté. J. Gosselin est toujours dans la ligne d’un « théâtre pour la jeunesse, non pas, certes, celle des pré-ados mais celle qui, fréquentant les boites de nuit jusqu’à point d’heure, se découvre malentendante avant l’âge canonique ! C’est dommage parce que « Si vous pouviez lécher mon cœur » compte de très bons comédiens qu’on a, malgré tout, plaisir à voir jouer. Mais comme notre plaisir serait plus fort si Gosselin se mettait au régime mezzo et renonçait à ses récits interminables !