Scènes

Avignon 2018 (3) « La reprise » de Milo Rau – IN

Une nuit d’avril 2012, à Liège, en Belgique, Ishane Jarfi, un jeune homosexuel s’est fait sauvagement assassiner par quatre hommes ordinaires (trop ordinaires !). Le metteur en scène suisse Milo Rau rappelle ce crime dans une pièce sous-titrée « Histoire(s) du théâtre (I) » qui est effectivement pour lui l’occasion, sinon d’écrire véritablement un début d’histoire de son art, du moins d’en révéler, sur un mode discrètement humoristique, certains aspects normalement cachés au public, comme le déroulement d’un casting, les tribulations des apprentis comédiens, la réflexion sur le métier (« être comédien, c’est comme être livreur de pizza, l’important c’est … la pizza !).

Tant que la pièce demeure sur ce registre, c’est un vrai régal. La suite, c’est-à-dire le drame d’Ishane Jarfi, sa mise à mort, souffre de quelques longueurs que la sophistication de la mise en scène ne parvient pas à faire oublier complètement.

Bien que, vu la dimension relativement modeste du lieu (le gymnase Aubanel), la vidéo ne s’impose pas, elle est utilisée ici mais dans une relative discrétion, avec parfois de vrais bonheurs, comme lorsque le couple des parents d’Ishane est montré nu dans son lit (en noir et blanc), tandis que les deux comédiens qui les représentent, simplement assis chacun sur une chaise en dessous de l’écran, reproduisent la scène filmée. L’émotion naît ici de la situation mais aussi du spectacle de deux corps nus usés par la vie (même si la nudité n’est certes pas nouvelle en Avignon, on voit moins souvent des corps âgés que des corps d’éphèbes).

L’usage de la vidéo paraît aussi judicieux dans la scène de la voiture (au cours de laquelle Ishane se fait rouer de coups avant d’être tabassé à mort puis déshabillé et abandonné par ses assassins). Il est difficile en effet de deviner ce qui se passe, la nuit à l’intérieur d’une voiture : la vidéo paraît en l’occurrence indispensable.

Ceci dit, Rau a précisé qu’il ne voulait surtout pas montrer une « reconstitution » du crime. D’où le terme de « reprise ». Au-delà du fait divers, ce qui l’intéresse c’est la situation qui l’a fait naître : Liège et son industrie sinistrée, le chômage, l’alcool, un terreau propice à l’homophobie et la pièce met justement le doigt sur toutes ces plaies. Les assassins sont de pauvres types qui auraient pu aussi bien ne pas passer à l’acte mais quand le hasard et la bêtise s’en mêlent…

Ajoutons que la démarche de Rau est portée par un manifeste, le Manifeste de Gand (Gent en flamand – Rau a été récemment nommé directeur du NT Gent) : création collective, mélange de professionnels et d’amateurs, diversité des langues, production légère, tout ceci combiné apportant au théâtre un sang neuf dont on ne peut que se réjouir.