quelque chose de plus réel que le néant
il existe peut-être
quelque chose de plus réel que le néant monsieur Beckett,
l’amour d’une femme qui n’existe plus
(la mort ni l’oubli ne nous ont pas séparés)
et que tout d’un coup on a envie de revoir
à tel point qu’on aimerait quitter la terre,
on aimerait quitter la terre
mais il n’est pas encore temps.
il suffit de dire
je reverrai bientôt peut-être ton visage, ma bien-aimée,
comme j’ai tant de fois regardé la mort en face
ou probablement de profil
au cours des jours de coups de feu de la révolte
en flânant dans les rues
dans l’espoir de te retrouver,
oui, je te retrouverai
quelque part loin le soir d’après ta mort
auprès d’un petit feu de brindilles, auprès de la source,
absolument à l’abri des hommes,
absolument à l’abri des fauves,
au seul éclair des étoiles au-dessus et dans tes mouvements
la grâce de la nudité originaire.
le poème de la crainte
d’où jaillira l’étincelle de ce poème ?
le champ est désert, clair,
les pluies ne sont pas encore tombées,
on ne voit nulle part un bosquet,
même défeuillé.
l’homme est nu, quelqu’un
(à peine)
l’a aperçu.
mets un manteau sur tes épaules et viens,
viens en automne cueillir le raisin
la vie sur la colline.
voilà ce qui nous y attire.
(soit, le fil de la langue s’est rompu).
rien de sentimental, l’existence continue,
cependant cette dame, je ne sais pas comment tu l’appelais,
est-elle toujours seule ?
je passerais parfois chez elle, surtout en hiver
mais est-elle vraiment seule ?
je crois qu’elle a de plus en plus de peine
à tresser seule ses cheveux blancs,
perfides cheveux, ils cachent quelque chose
l’étincelle de ce poème ?
une asperge ?
tu sais, cette plante comme un petit sapin
vert-vert
oui, oui,
cette plante qui ne sert à rien
même si parfois, lorsque j’étais enfant
je l’ai apportée dans la maison.
puisqu’elle était verte et fraîche.
et cachait quelque chose.
Marian Drăghici, lumière, doucement. Traduction en français et postface de Sonia Elvireanu. Préface de Michel Ducobu, Paris, L’Harmattan, 2018.