Chroniques Créations

BELLEVUE :  LYCEE PILOTE MIXTE 1955/1962

                   

L’orientation vers le lycée

Prix d’Excellence dans toute les classes de l’école primaire Marengo, en plein quartier populaire, j’étais sur une voie toute tracée, qui m’envoyait directement au Cours Complémentaire pour préparer l’Ecole Normale d’Instituteurs.

Le directeur de l’école Marengo, M. Naudy, se félicitait de posséder avec moi un candidat certain d’intégrer l’École Normale, et qui allait conforter son taux de réussite.

Mes parents en étaient fort ravis : quelle belle promotion sociale que d’avoir un fils instituteur, qui pourrait ainsi défendre les valeurs de la république laïque.

J’étais pris dans le piège, et “volens, nolens”, j’étais embarqué dans le bateau qui me mènerait à consacrer ma vie à éduquer des enfants.

M’avait-on demandé mon avis, bien sûr que non !

Toute la pression sociale me poussait dans cette direction.

Ne connaissant rien à la société et au monde du travail, cette solution ne me déplaisait pas, au moins je n’aurais pas à manier un outil ou à porter des charges…

L’usine me faisait peur !

Et je restais dans un monde connu.

C’est alors que se produisit le premier coup de théâtre, qui allait changer l’orientation de ma vie.

J’avais la chance d’avoir un instituteur remarquable, M. Guichard (voir la chronique qui lui est consacrée).

Il ne pouvait imaginer de me voir sacrifier ma vie à cette noble profession, qu’il honorait pourtant de sa présence et de son abnégation. Mais il était d’une lucidité exceptionnelle.

Il pensait que je pouvais faire beaucoup mieux, et qu’il fallait m’orienter vers le lycée.

Il convoqua mes parents, leur expliqua la situation, les envoya à une réunion au lycée Bellevue, où le jeune proviseur, un nommé Tarabout, les convainquit, que je devais intégrer ce nouveau lycée “modèle”.

Il voulait y former des ingénieurs pour construire des Airbus, et leur apprendre l’allemand pour faire l’Europe et développer de bonnes relations avec les Germains.

Au grand désespoir du directeur Naudy, mes parents finirent par accepter….

Les choses allèrent si vite, que je fus le 3ème élève inscrit pour intégrer ce lycée-pilote.

Et c’est ainsi que le 23 juin 1955, j’ai passé le concours d’entrée en sixième, qui me sembla assez difficile. Après 2 jours d’attente, mon père m’apprit que j’étais reçu.

J’étais le seul de ma classe à intégrer un lycée, 7 camarades réussirent à passer en Cours Complémentaire (équivalent à nos collèges actuels), dont mes bons copains Séguier, Cros, Massot, Combes et Lafontas. Pour la plupart, je ne devais jamais les revoir !

Voilà comment un premier aiguillage, pour employer le langage cheminot, me fit sortir du chemin tout tracé, pour prendre une route plus élevée.

J’étais le premier enfant de la famille à aller au lycée, où, de plus, pour être dans une des meilleures classes, j’allais faire du latin et de l’allemand.

Un peu d’Histoire

Le lycée Bellevue est créé en 1952, sur un terrain de 33 hectares, légué par un banquier toulousain, Théodore Ozenne, en 1884, au lycée de Toulouse, l’actuel lycée Pierre de Fermat.  Il fallait permettre aux élèves confinés en centre-ville, d’aller s’aérer.

Il s’agissait d’une grande exploitation agricole, comprenant un bâtiment du 18ème siècle, le Château.


Le château, inscrit en 1993 au titre des monuments historiques

Il existe à Toulouse une rue Ozenne, où se trouve le lycée Ozenne, lycée de Jeunes Filles.

La Vie au Lycée

Ce lycée venait d’être crée, en pleine campagne, au sortir de Toulouse, sur la route de Narbonne. Il était situé sur un flanc de coteau, les premiers bâtiments scolaires au sommet, à la lisière d’un bois, près d’un Belvédère, et les dortoirs et restaurants dans la plaine, avec les terrains de sport.

C’était un lycée de plein air, richement doté en équipements sportifs, avec même une piste d’athlétisme et un fronton. Rien à voir avec le lycée Fermat, coincé en plein centre-ville, mais dans un site “historique”.

J’avais 9 kilomètres à parcourir pour m’y rendre, et, avec le bus de ramassage scolaire, il fallait une bonne heure pour faire le trajet, soit 2 heures de perdues par jour, puisque fort heureusement je restais à la cantine.

Les classes étaient neuves, tout comme le matériel et les professeurs plutôt jeunes. Elles étaient situées sur une colline, tout près du Belvédère.

Les salles de classe étaient généreusement vitrées, et on pouvait observer toute la vie animale. Il n’était pas rare de voir un prof suspendre son cours pour observer un écureuil ou un geai et écouter chanter un merle.

Dans la zone de la plaine se trouvait une grande zone que nous allions découper en terrains de foot et nous livrer à ce jeu tous les jours pendant les deux 1/2 heures avant et après le repas. Les rencontres avaient lieu de 12 h 30 à 13 h et de 13 h 30 à 14 h. Nous organisions des tournois interclasses, en nous auto arbitrant, en général de fort bonne manière.

Dès que la cloche du dernier cours de la matinée avait sonné, nous dépêchions les plus rapides pour prendre les meilleurs terrains, tout en respectant la hiérarchie de l’âge.

Il pleut beaucoup dans la région toulousaine, climat océanique oblige, et nous jouions sur des terrains herbeux certes, mais en terre glaise. Autant dire que nous repartions en cours souvent crottés, et nos vêtements mouillés séchaient pendant les cours de l’après-midi. Les cours de latin de 2 à 3 heures étaient l’occasion de faire une bonne séance de récupération.

Nos chaussures en caoutchouc, trempées, (je ne portais que des Busnel, du nom d’un basketteur célèbre), avaient du mal à sécher, et nous étions souvent enrhumés, “le rhume des pieds”.

Vue aérienne du lycée. Le belvédère et les classes, où j’ai fait la 6ème et la 5ème, sont hors cadre, en haut à gauche. En bas à droite, les prairies “libres”, où nous jouions au foot. A noter la grande dimension du complexe sportif.

A l’époque, les espaces sportifs occupaient près de la moitié du domaine

Le Réfectoire

Vu l’éloignement de la ville, la quasi-totalité des élèves demi-pensionnaires prenaient le repas de midi au réfectoire, avec les pensionnaires.

Nous étions répartis par classe, et par tables de 8. De grands chariots amenaient les plats. Les salles étaient très sonores, et les chahuts fréquents.

La nourriture était correcte, sauf les épinards et le poisson du vendredi, dont nous contestions la tradition religieuse dans un établissement laïque.

Et chose oubliée de nos jours, on nous servait du vin, que nous buvions mélangé à de l’eau. Ce vin était léger, et nous nous en méfiions, car le bruit courait qu’il était coupé avec du bromure, comme dans l’armée. Il fallait calmer les ardeurs des jeunes ados que nous étions. Vrai ou faux, nous n’avons jamais su, mais cela suffisait à freiner notre consommation, d’autant plus qu’il était fade et insipide. A cet âge, nous n’étions pas attirés par l’alcool.

Les petits suisses Gervais étaient pourtant excellents, mais ils finissaient souvent leur vie collés au plafond.

Pour mettre un peu d’ordre, l’administration avait décidé de faire élire un chef de table, qui serait responsable de la discipline. Mais cette belle règle, “utopique” avait été contournée, et c’est l’élève le plus faible de la table qui se trouvait désigné, et qui payait les pots cassés.

Théoriquement, on devait “tourner”, chaque élève étant tour à tour, premier, deuxième, troisième, etc., à se servir. Mais ce beau principe volait rapidement en éclats, surtout le jour des frites, le plat préféré par excellence, pour lequel nous nous battions : les plus malins quittaient la cantine les poches pleines de frites, qu’ils finissaient de manger en classe, les plus faibles étaient réduits à la portion congrue.

C’était un bel exemple de lutte pour la vie, sans conséquence pour les demi-pensionnaires, qui pouvaient se rattraper le soir chez eux, mais grave pour les pensionnaires, réduits à consommer des aliments personnels.

En ce qui me concerne, je ne souviens pas d’avoir mal mangé, sauf le jour des épinards….

Le Transport

Le Lycée était situé à la sortie sud est de la ville, sur la route de Narbonne.

Nous habitions à Jolimont au nord de la ville, à 9 kilomètres de distance.

Pour m’y rendre, une seule solution, le bus de ramassage scolaire, qui s’arrêtait à l’extrémité nord du boulevard Jean Jaurés, près du pont Riquet, devant ce premier building toulousain appelé « Déromédi », du nom de son constructeur italien.

Le car sillonnait tout le quartier nord est, dont la Côte Pavée, pour rallier le lycée au bout d’une heure. Sur le trajet dans les beaux quartiers, on récupérait mes camarades Jean Jacques Voigt et Éric Gallais.

Vu le temps perdu en transport, arrivé en 4ème, j’optais pour le vélo, ce qui me faisait gagner plus d’une heure par jour. J’avais de bonnes jambes, et j’avalais le trajet à bonne vitesse.

A la fin de la troisième, je réussis à me faire offrir par mes parents une mobylette,(voir ma chronique sur la mobylette bleue, où je raconte de quelle manière originale j’avais obtenu l’accord de mes parents).

Je réduisais ainsi le temps de trajet à un quart d’heure, le porte document calé entre le réservoir, la selle et mes genoux.

Et bien sûr, j’allais à la vitesse maximum permise par la machine, cherchant chaque jour à améliorer le temps de la veille.

J’eus bien sûr quelques accidents, des dérapages, et un bus de la ville pris de face, tout cela

sans dégâts physiques ou techniques. Bien sûr mes parents n’en furent informés que de nombreuses années plus tard…ce qui ne m’empêcha pas d’autoriser mes enfants à utiliser un cyclomoteur à l’adolescence ! Il fallait leur faire confiance…

Mixité et Prix d’Excellence

Il n’y avait pas suffisamment de filles pour que l’on en trouve dans toutes les classes. 

Sur les 7 années passées à Bellevue, je me retrouvais 4 fois dans une classe mixte et 3 fois dans une classe exclusivement masculine, en 6ème, 5ème et 3ème.

Une remarque s’impose alors, j’eus 3 fois le prix d’excellence, pendant les 3 années “sans filles”.

Est-ce à dire que les filles me faisaient perdre mes moyens ? Que nenni !

En fait j’étais tombé sur une excellente élève, Annie Daviaud, qui m’avait déjà devancé pour le prix Fabre de la ville de Toulouse, en CM2, (elle avait fini première, et moi deuxième), et elle m’a toujours devancé d’un rien, par exemple avec une moyenne générale annuelle de 14, 81 et moi de 14,77 en classe de 4ème : quelques points perdus bêtement en musique ou en travail manuel.

Il y avait une deuxième raison, certains professeurs étaient plus sensibles au charme et à la rouerie féminine, alors que je m’interdisais tout comportement de courtisan, pour ne pas employer un mot plus courant….

Je n’allais jamais poser des questions intéressées aux professeurs à la fin des cours, alors que mes concurrentes étaient beaucoup plus habiles sur ce plan !

Mais l’avenir allait démontrer, qu’en général, à cette époque, si les filles avaient de meilleurs résultats scolaires, elles réussissaient moins bien dans la vie professionnelle.

C’est d’ailleurs pour cette raison, qu’il a fallu inventer la parité…

Pour illustrer mon propos, je me souviens d’un professeur de physique et chimie, par ailleurs animateur d’un ciné-club, et notoirement homme de gauche, le dénommé Clerc, qui faisait en classe une cour éhontée à une gentille élève, qui n’avait qu’un seul tort (ou un seul mérite), son père, un riche homme d’affaires, possédait entre autres, l’un des plus grands cinémas de la ville de Toulouse.

C’était pour nous un grand plaisir que de voir ce “socialiste” se prosterner aux pieds de la petite bourgeoise…et évidemment il devait subir nos moqueries !

Année Scolaire 1960/1961 – La Classe de 1ére A’C1 avec 7 filles pour 14 garçons Je suis au 2ème rang à droite, Annie Daviaud, ma concurrente au 1er à gauche, elle intègrera Polytechnique Féminine à Cachan. Derrière moi, mon ami Peulh Camerounais : Hassana Dia. En haut 1er à gauche, Michel Jonquières, futur Centralien. Au milieu, le seul avec une cravate, mon camarade allemand, Hans Ortstein. Au milieu du 1er rang, Annie Lecoeur grâce à qui j’ai survécu en Latin. A ma droite, Gilles Ducaud, qui m’accompagnera à HEC.

Pour clore ce chapitre sur les rapports entre prix d’excellence et mixité, il me faut ajouter, que j’obtins enfin ce prix dans une classe mixte, en deuxième année de Prépa HEC au lycée Pierre de Fermat.

Mais pour être honnête, il y avait peu de filles dans cette prépa !

Et pour les statisticiens, un bilan : je fus 9 fois prix d’excellence sur 14 années de scolarité, une belle satisfaction (voire une revanche), pour un pur produit des classes populaires !

 Une précision, je me battais pour avoir ce prix pour 2 raisons essentielles :

– ma volonté « innée » d’être le premier,

– le plaisir que je savais procurer à mes parents, fiers de voir leur fils devancer les enfants de bourgeois.

– et peut-être aussi une troisième, assurer des lendemains qui chantent, pour conserver ce langage lutte des classes.

Le Corps Enseignant et les Élèves

Durant les 7 années passées au lycée Bellevue, j’eus l’occasion de voir défiler un certain nombre de professeurs, pour la plupart d’un excellent niveau.

Mais il y avait des exceptions, et ce sont ces exceptions qui sont le plus souvent restées dans nos mémoires, celles que l’on évoque, quand on se retrouve entre “Anciens” et qui nous font encore rire.

Il faut faire plus d’efforts pour se souvenir des bons, et on peine souvent à retrouver leurs noms.

Ce sujet est si riche, qu’il mérite un développement particulier, tout comme celui des élèves, certains méritant même une chronique individuelle, comme je l’ai déjà fait pour Jean-Claude Danis, poète et paléontologue.

Ce sera pour une prochaine fois…