Tribunes

Éloge de la nouvelle

Vous n’aimez pas les nouvelles, me dites vous ? Moi, si. Dieu sait que j’adore les grands gros gras romans qu’on attrape le matin, on se vautre quelque part, on déjeune d’un vague bout de fromage et, abrutie, heureuse, la tête vide de tout, on s’arrête tard dans la nuit et on s’endort avec les personnages longtemps après le mot fin. Ou au contraire les grands gros gras romans qu’on savoure, tous les soirs, dix pages par dix pages en ayant envie qu’ils ne finissent jamais, ou ceux qu’on reprend, par le milieu de préférence, comme La recherche…

Dieu sait si…

Mais les nouvelles, ah, les nouvelles !…Il faut dire que je suis adepte des transports en commun et une nouvelle, en général, ça fait huit – dix stations de métro. Tout juste. Ou alors, quand on attend chez le dentiste, chez le coiffeur, avant qu’il ne soit l’heure de…, pendant que se mijote le… ou encore pendant qu’après avoir tapé le 1, le 3, encore le 1 etc., on attend que le technicien veuille bien répondre.

Les nouvelles se savourent une par une et elles sont longues en bouche, leur saveur vous dure tout le temps d’après, elles dansent dans les têtes comme de petites coquines. J’ai tout oublié sauf l’ambiance de livres que j’ai aimés – Les déferlantes, par exemple, il ne m’en resté que l’odeur des embruns. Mais les nouvelles, ce sont comme de petits cailloux dans les chaussures, elles ne se laissent jamais oublier. Elles sont si courtes, si légères, que vous y revenez avec délice.

J’adore les recueils collectifs, comme ceux qu’a publiés Leila Sebbar, avec des éclats si vifs que quand un livre s’est égaré, on court le racheter pour l’avoir sous la main. Il y en avait aussi un qui s’appelait Des nouvelles d’Algérie, lu juste avant mon premier voyage à Alger, souvent poignant. Il y a les nouvelles Maïssa Bey, sombres, douces et toutes tissées de silences… – Je ne sais pas pourquoi, les nouvelles vont bien à l’Algérie ! En ce moment, d’humeur classique, c’est un recueil d’Isabelle Eberhardt, que je lis, Amours nomades, je le prends, le laisse, le reprends, il se glisse dans une poche, et à chaque fois, c’est un bouquets de senteurs, des amours à la fois violentes et légères, des vies passionnées et des tristesses si limpides.

Il y a les grands classiques, Marcel Aymé, Maupassant – mais ne sont elles pas un peu longues, celles-là ? Il y a celles, talentueuses pourtant, que je ne trouve publiées que sur Facebook : Maya Alonso, Monique Luna Barrault Troizel, Smaïn Seddik, Jibril Daho. Il y a celles que je n’ai pas encore lues, comme les Nouvelles d’Algérie[1] (ne pas confondre) recueillies par Leïla Marouane, Rachid Boudjedra, Hamid Skif, et Amin Zaoui ; il y a les « Goncourisées »comme celles de Marie Ndiayé – un peu trop proches du roman en fait, mais très longues en bouche, elles aussi ; les « Académiefrançaisisées » comme Oran, langue morte, d’Assia Djebar (très beau) – et il y a les inconnues, comme un adorable recueil intitulé Elles, de Bernadette Braun, découvertes dans un petit salon du livre: de minuscules histoires de femme, tout en finesse, comme par exemple celle d’un petit chaperon rouge qui aurait connu le GPS .

Et puis presque à côté, il y a encore les contes comme ceux recueillis par Nora Aceval ou le délicieux Monde sans les enfants de Philippe Claudel, les chroniques (celles, bien anciennes, de Delphine de Girardin et celles, plus récentes d’Alexandre Vialatte), les Brèves, comme celle de Philippe Delerm (ah ! La première gorgée de bière et autres…, sauf qu’elle n’était pas si longue en bouche que ça, cette première gorgée!). Mais on finit par s’éloigner, s’égarer, par en arriver à de gros recueils qui ne tiennent pas dans une poche, ou de textes délicieux qu’on oublie à peine lus.

 Vous n’aimez pas les nouvelles, me dites vous ? Essayez encore, je pense vous avoir donné le mode d’emploi…

Les nouvelles, c‘est comme les bouquets de violettes à deux sous des dames d’autrefois, comme un loukoum, un dé à coudre de raide, l’éclat de rire d’un petit enfant : un tout petit et merveilleux bonheur.

Ouvrages cités

Aceval Nora, La science des femmes et de l’amour, Al Manar, 2009, Contes libertins du Maghreb, Al Manar, 2008, Contes du Djebel Amour, Seuil, 2006.

Bey Maïssa, Nouvelles d’Algérie, Aube, 1978, Sous le jasmin, la nuit, Poche, 2009.

Braun Bernadette, Elles, Baudelaire, 2009.

Chaulet Achour Christiane et alii, Des nouvelles d’Algérie, 1974-2004, Metaillé, 2005.

Claudel Philippe, Le monde sans les enfants et autres contes, Poche, 2008.

Delerm Philippe, La première gorgée de bière et autres minuscules plaisirs, Gallimard, 1997.

Djebar Assia, Oran, langue morte, Acte sud, 1999.

Eberhardt Isabelle, Amours Nomades, Poche, 2008.

Gallay Claudie, Les déferlantes, Rouergue, 2008.

Girardin (de) Delphine, Chroniques parisiennes du vicomte de Launay (I-III), Mercure de France, 1986.

Marouane Leïla et alii, Nouvelles d’Algérie, Magellan, 2009.

Ndiayé Marie, Trois femmes puissantes, Gallimard, 2009.

Proust Marcel, A la recherche du temps perdu (I-IV), Pléiade, 1987-1989.

Sebbar Leïla et alii, Une enfance algérienne, Gallimard, 1997, Une enfance outremer, Poche, 2001, Les algériens au café, Al Manar, 2002, Mon père, Chèvrefeuille étoilée, 2007, A cinq mains, Elyzad, 2007, C’était leur France, en Algérie avant l’indépendance, Gallimard, 2008 etc., etc. (voir le site de Leila Sebbar pour une bibliographie complète !).

Vialatte Alexandre, Chroniques de la montagne (I-II),  Poche, 2009.


[1] Lu depuis : un univers désolé, kafkaïen, (presque) désespéré. Et de belles écritures.