Scènes

Ymelda met le Tout-monde en musique

« Nous allons ainsi le cercle ouvert de nos esthétiques relayées »
Édouard Glissant, Philosophie de la relation, Poétique III, 1990.

A tous ceux qui croiraient que le concept glissantien de Tout-Monde est sympathique mais peu réaliste la chanteuse d’origine haïtienne Ymelda Marie-Louise apporte le meilleur des démentis. Rappelons que selon Glissant lui-même, « la totalité [le Tout-monde] n’est pas ce qu’on dit être l’universel. Elle est la quantité finie et réalisée de l’infini détail du réel » (Traité du Tout-monde, Poétique IV, 1997). Ymelda réalise ce programme, pour autant qu’on puisse l’accomplir à une échelle humaine, en conjuguant – non pas mêlant – des êtres de chair et de sang, des musiciens haïtiens, martiniquais, burkinabé et qatari dans une œuvre polyphonique réunissant Orient et Occident.

« Les dieux venus de partout ont fondu dans le Tout-monde » écrit Glissant dans le roman Tout-monde (1993). Sans faire jamais référence au maître, Ymelda affiche néanmoins son œcuménisme lorsque, présentant ses musiciens, elle n’omet pas de préciser leurs obédiences distinctes (de l’islam au christianisme en passant par le vaudou) tout en plaçant son « concert » (à prendre également au sens premier de se concerter) sous l’invocation de son propre Dieu.

Ymelda, ses deux choristes et ses quatre instrumentistes aux racines souvent lointaines mais toujours vivantes sont emblématiques de l’identité rhizomatique mise en exergue par Glissant. Divers mais ouverts l’un à l’autre, ils produisent une musique puissante aux accents variés avec néanmoins une dominante africaine. La partie instrumentale est dominée par une section rythmique qui additionne trois percussionnistes, respectivement burkinabé (le leader qui joue également du n’goni, sorte de luth traditionnel), haïtien (aux congas) et martiniquais (au tambou bèlè). On a pu apprécier la combinaison de leurs sonorités différentes lorsque le trio, seul en scène, a fait la démonstration de sa virtuosité. On a goûté également le dialogue empreint de complicité entre la flute en roseau du musicien qatari et la voix de la chanteuse. Quant à cette dernière, elle séduit autant par sa voix chaude et bien timbrée que par ses textes où domine le créole haïtien ainsi que par sa belle présence sur la scène, la relation chargée d’empathie qu’elle instaure immédiatement avec la salle.

Le manque d’assurance qui transparaissait par instants lors de son concert à Fort-de-France ne la rendait que plus sympathique : il traduisait simplement une difficulté qui se présente à tous les interprètes du spectacle vivant n’ayant pas la possibilité de se produire régulièrement. Tel est hélas le lot des artistes de la Martinique où Ymelda a posé ses bagages.

 

Tropiques-Atrium, scène nationale de Fort-de-France, 18 mai 2018.