Docteure en Littérature générale et comparée de Sorbonne Université, Faculté des Lettres (ex Paris IV), Christina A. Oikonomopoulou enseigne depuis 2003 les cours Écritures théâtrales-monde d’expression française, Culture théâtrale et terminologie française, ainsi que Histoire et dramatologie du théâtre européen et mondial au Département d’Études théâtrales de l’Université du Péloponnèse en Grèce. Ses intérêts scientifiques et académiques s’articulent autour des pièces de théâtre de dramaturges « francographes » – en d’autres termes des créateurs qui écrivent des pièces en français mais qui ne sont pas d’origine française – contemporains et ultra-contemporains qui abordent dans leurs créations plusieurs questions propres à l’actualité mondiale et à la quête existentielle de l’homme universel contemporain.
Le livre est structuré en deux grandes sections qui suivent la préface très intéressante du professeur de l’Université Aristote George Fréris, pionnier des études francophones en Grèce. Dans la première partie de l’ouvrage qui constitue d’ailleurs l’introduction, l’autrice présente de manière analytique et documentée le cadre théorique et conceptuel, historique et institutionnel de la francophonie et des études francophones contemporaines, afin d’en repérer les dimensions interlinguistiques, transnationales et interculturelles. Elle examine par la suite plusieurs cas d’auteurs qui écrivent en français et dont la langue est marquée par une diversité exceptionnelle tant stylistique, esthétique que thématique. Christina A. Oikonomopoulou analyse en profondeur les circonstances dans lesquelles ces dramaturges choisissent d’écrire en français. Dans ce cadre, elle procède à une classification des créateurs francographes selon des critères spécifiques, telles que la territorialité, le vécu, la liaison et surtout la relation avec la langue française en tant que langue maternelle ou langue adoptive. Nous repérons ainsi des dramaturges dont la migration géographique et linguistique s’était faite par choix personnel, comme par exemple dans le cas de Margarita Liberaki, Fernando Arrabal et Samuel Beckett, ou forcée par des agents extérieurs, comme le colonialisme ou encore à cause des circonstances historiques d’une guerre ou d’un régime totalitaire. C’est ainsi le cas des écrivains et dramaturges qui ont vécu la face sombre de la migration territoriale, existentielle et linguistique, parce que contraints d’immigrer en France ou dans d’autres pays francophones en raison des difficultés politiques, économiques dans leur pays d’origine. Parmi ces derniers on trouve par exemple l’écrivaine hongroise Agota Kristof qui perçoit la langue française comme une « langue ennemie » ou la Roumaine Alexandra Badea pour qui le français s’identifie à sa « langue de liberté ».
À travers cette exploration des diverses conditions de la francophonie et de la francographie, l’autrice met en évidence l’identité nostalgique et parfois angoissante et douloureuse de leurs textes théâtraux et d’autre part le dynamisme de l’exploration linguistique et les défis de l’écriture théâtrale qui en émergent, strictement liés à l’autoréférentialité, la recherche identitaire et existentielle de dramaturges qui revendiquent, somme toute, une dimension particulière et multidimensionnelle sur la carte du monde de l’évolution théâtrale de notre temps.
La section suivante de l’ouvrage parcourt largement les frontières géographiques de l’Europe à travers la présentation du travail dramaturgique des créateurs francophones originaires du Vieux Continent. L’autrice se concentre principalement sur des pièces de théâtre écrites entre la fin des années 1980 et jusqu’au début de l’année 2022. Elle intègre dans son parcours d’analyse et de recherche des écrivains issus des pays et des espaces européens comme la Belgique, le Luxembourg, la Vallée d’Aoste, l’Irlande, l’Espagne, l’Italie, la Pologne, la Roumanie, la Serbie-Croatie, la Grèce, ainsi que la partie européenne de la Turquie et de la Russie. Elle fournit des informations chronologiques et culturelles sur les premiers essais de ces dramaturges francographes, et surtout des éléments sur le développement et l’essor d’une écriture théâtrale multiforme et multidimensionnelle. En dehors des informations sur le parcours personnel de chaque dramaturge, l’autrice analyse l’écriture de ces écrivains en mettant en évidence la particularité de leur esthétique et de leurs thématiques. Cette analyse minutieuse et très bien argumentée est complétée par plusieurs informations sur les représentations des pièces mentionnées. Nous trouvons aussi à la fin de chaque sous-chapitre une bibliographie et une « sitographie » très riches et variées. Il convient en outre de noter que cette étude est le résultat de l’étude approfondie et de l’analyse critique de plus de huit cents pièces de théâtre, à partir des sources directes et primaires qui témoignent, dans la plupart des cas, des relations personnelles de l’autrice avec les créateurs qu’elle examine.
Cet ouvrage de Christina A. Oikonomopoulou n’est pas une simple monographie sur les écritures dramatiques-monde d’expression française. Il s’agit en réalité du premier projet – en Grèce et éventuellement à l’échelle mondiale – de recherche sur les dramaturges et les dramaturgies francophones et francographes. En résulte un ouvrage très bien argumenté qui met en relief d’une part l’apport du langage comme code de communication et d’ouverture des frontières culturelles au sein des écritures théâtrales, tout en témoignant sur les mutations de la condition humaine contemporaine. Ce travail se révélera précieux pour des recherches futures dans le domaine du théâtre. Il intéressera également les amateurs de l’art et du théâtre qui aimeraient découvrir des pièces de théâtre francographes inconnues provenant de divers coins de l’Europe encore ignorés.
Christina A. Oikonomopoulou, Théâtre francophone – Écritures théâtrales-monde d’expression française, Tome I : « Europe », Prologue par Georges Fréris, Athènes : éd. Papazissis, 2022, ISBN13 9789600239539, 636 p.