Chroniques Comptes-rendus

Et à la fin c’est le Sud qui gagne…la Coupe du Monde des Démocraties

C’est l’une des caractéristiques essentielles du Rugby, ce sport est pratiqué presque exclusivement dans des pays démocratiques, et c’est bien le seul dans ce cas.

Les 20 équipes ayant participé à la dernière coupe du monde appartiennent toutes à cette catégorie.

Par contre le football dénombrait 7 régimes non démocratiques sur 32 à la dernière coupe du monde, le handball 8 sur 32, le volley-ball 7 sur 24 et le basket-ball 7 sur 32.

Le rugby est donc un repère géopolitique, un marqueur de Démocratie et d’État de Droit.

Et cela pour 3 raisons :

  • Son origine anglo-saxonne
  • La complexité de ses règles
  • Ses valeurs, miracle d’équilibre entre individualisme et sens collectif.

Yves Bourdillon signe un excellent article sur ce thème dans « Les Échos » du 27/28 novembre 2023.

Et à la fin c’est le sud qui gagne…

Depuis la première coupe du monde de 1987, l’Angleterre a été le seul pays du nord à l’emporter une fois. Sinon on trouve l’Afrique du Sud 4 fois, la Nouvelle Zélande 3 et l’Australie 2. Les pays du sud ont trusté les titres.

Et pourtant la France l’a organisée 2 fois en 2007 et 2023, avec de gros espoirs de victoire, notamment cette année, où l’équipe de France faisait partie des 4 meilleures mondiales avec l’Irlande, la Nouvelle Zélande et l’Afrique du sud. Elle possédait dans ses rangs quelques-uns des meilleurs joueurs du monde, notamment Antoine Dupont, Romain NTamack, Thomas Ramos, Grégory Alldritt, Charles Ollivon, Cyril Baille, Peato Mauvaka, Julien Marchand, etc.

Avec des moyens augmentés et adaptés, des clubs coopératifs, un staff étoffé de qualité autour de Fabien Galthié, de belles séries de victoires au cours des 2 dernières années, un Grand Chelem en 2022, toute la France s’était mise à espérer, qu’à domicile, on allait enfin gagner, et que l’on bénéficierait enfin du fameux arbitrage « à la maison ».

On retrouve là un défaut bien français, l’art de faire abstraction de ce qui se passe dans le reste du monde, rugbystique en l’occurrence, en ne tenant pas compte de l’évolution de la concurrence, qui sait aussi s’améliorer sur les plans de la préparation, de l’intelligence de jeu et des moyens financiers.

On oublie aussi en France que d’autres nations ont plus d’expérience que nous pour jouer les phases finales, c’est-à-dire les matches à élimination directe : 1/4, 1/2 et finale.

En y ajoutant quelques pépins physiques, comme les blessures de Romain Ntamack et de Julien Marchand, deux de nos pièces maîtresses, et la méforme relative de certains joueurs, notamment certains ¾ centres, et le banc (ceux qui rentrent en jeu en 2ème mi-temps), on ne dispose plus que d’une équipe, bonne certes, mais pas supérieure à ses 3 concurrentes majeures. La victoire finale n’était pas du tout assurée.

L’Origine Anglo-Saxonne du Rugby

C’est un élément qu’il faut prendre en compte. Le rugby a été inventé par William Webb Ellis, au 19ème siècle, au Royaume-Uni, qui l’a codifié comme il avait inventé l’État de Droit et le régime parlementaire au 17ème. Il s’est ensuite développé dans des pays qui faisaient du commerce avec les anglais, comme le sud-ouest de la France, le Portugal, l’Argentine, l’Uruguay, le Japon, tous les pays du Commonwealth, (sauf les Indes), l’Amérique du Nord et le Chili, sans oublier l’Italie, la Roumanie et la Géorgie. L’Espagne, terre de foot et de basket compte néanmoins 52 000 licenciés

Toutes les instances dirigeantes sont dans les mains des anglo-saxons, les français ne disposant que d’un strapontin, et comme le déclare le nouveau Président de la Fédération Française de Rugby, Florian Grill, nos dirigeants n’ayant même pas utilisé cette opportunité, en ne participant pas au travail en commissions.

Comment s’étonner alors que les points de vue de la France n’aient pas plus de poids, et qu’il n’y ait qu’un seul arbitre français sélectionné pour la Coupe du Monde, la part belle étant faite aux arbitres anglophones, particulièrement rompus aux subtilités de ce sport et maîtres dans l’interprétation des règles à leur avantage ?

Des Valeurs Libérales

Citons toujours Yves Bourdillon : « surtout la séduction qu’exerce ce sport sur des sociétés plus ou moins libérales pourrait s’expliquer par le fait qu’il joue sur des valeurs en accord avec les leurs. Cocktail miraculeux entre individualisme et sens du collectif, le rugby exige beaucoup d’esprit d’initiative, car à tout moment tout joueur, quelle que soit sa position sur le terrain, ou son poste dans l’équipe, doit pouvoir improviser et prendre le jeu à son compte…mais en tenant compte de ses partenaires et du plan de jeu ».

Valeurs que l’on retrouve dans les sociétés libérales.

Ajoutons-y l’imprévisibilité des rebonds d’un ballon ovale, qui redonne une part de hasard, et les mystères des décisions arbitrales. Vous aurez alors une idée assez proche du charme de ce sport qui reflète si bien notre vie en société.

Organiser la Coupe du Monde 2023 : une chance pour la France

Les anglosaxons avaient prévu son organisation en Afrique du Sud.

En employant des méthodes pas toujours orthodoxes, les dirigeants de la FFR de l’époque avaient su se l’accaparer. Rendons leur grâce pour ce bon résultat !

La vengeance étant un plat qui se mange froid, nous l’avons peut-être payé avec l’arbitrage de M. Ben O’Keeffe en quart de finale, foncièrement et factuellement défavorable aux français…

Cependant une Coupe du Monde à la maison c’est forcément un succès populaire et économique. Les stades ont été quasiment pleins pendant les 2 mois du tournoi, et même les « petites » équipes ont fait recette.

Commençons par analyser les ratés, qui se concentrent sur les premiers matches, avec du personnel bénévole en sous nombre et pas assez formé, et des transports publics défaillants.

A Marseille le 09 09 2023 avant Argentine/Angleterre, au milieu des argentins en bleu et blanc

Ayant assisté avec mon petit-fils Charles aux 2 premiers matches à Marseille, nous fûmes victimes de cette impréparation, il nous fallut 1 heure 15 pour rentrer dans le magnifique stade vélodrome et assister à Argentine/Angleterre. Pas assez nombreux, certains contrôleurs ne savaient même pas scanner les billets.

Encore mieux, lors de France /Namibie, le placeur lisait son plan à l’envers !

A noter la faiblesse coupable de l’organisation du métro de Marseille, seul moyen de transport pour acheminer au stade une grande partie des 65 000 spectateurs. Un exemple, le dimanche 21 septembre, pour France/Namibie, sur la seule ligne alimentant le stade, la cadence des rames était celle d’un dimanche normal, une rame toutes les 10 minutes, 1 h 30 avant le début du match. Malgré une grosse marge de sécurité, nous avons gagné nos places juste au moment des hymnes. Il y eut aussi des problèmes d’accès aux stades à Bordeaux et Nice.

Par contre, à St Denis, pour Écosse/Irlande, grâce à la réservation d’une place de parking (à moitié vide ?) l’accès et la sortie furent très faciles.

Un autre gros problème logistique s’est aussi posé pour les boutiques : il fallut faire des queues de 20 à 40 minutes pour pouvoir acquérir un sandwich et une bouteille d’eau (plus généralement une pinte de bière). Il y en avait pourtant de nombreuses, mais un personnel très mal organisé perdait beaucoup de temps à servir et à encaisser. Manque de professionnalisme évident !

Autre reproche à faire à l’organisation France 2023, la localisation des places dans le stade. Et pourtant j’avais pris la précaution de réserver les packs famille pour Marseille et St Denis plus de 2 ans à l’avance, au prix fort. Grosse déception, si les places étaient assez près de la touche (10ème au 15ème rang), elles étaient décentrées par rapport au centre du terrain entre les 15 mètres et l’en-but. Vu le prix élevé des places, c’est se moquer des fidèles spectateurs…

Quant au système de revente des places, testé sur un seul match, il n’a pas fonctionné.

Enfin, dernier raté, la réalisation des reportages télé par TF1 (avec des relais France 2 et la Six), ne fut pas à la hauteur de l’évènement. Deux points noirs, les images avec peu de ralentis, réalisés par des caméramen ne connaissant pas suffisamment le rugby, et des commentateurs plutôt faibles (sauf Yachvili et Magne). On a regretté la qualité des reportages de Canal+.

Analysons maintenant ce qui a fait le succès de cette opération :

Ce fut le principal sujet d’actualité en ce bel été indien qui s’acheva hélas le jour de l’élimination de l’équipe de France.

L’ambiance dans les stades : ce fut une grande fête universelle, comparable à celle des JO.

600 000 : le nombre de visiteurs étrangers, issus de 115 pays (dont 45 % d’Anglais et 5 % d’Irlandais).Source les statistiques officielles – World Rugby.

Quel plaisir de voir ces foules de supporters bigarrées s’acheminer vers les stades et occuper leur place en extériorisant leur joie d’en être et de participer. Les spectateurs dans leur majorité portaient les couleurs de leur pays,

Des chants, de la communion, de la fraternité, le tout arrosé par une folle quantité de pintes de bière, (173 000 lors de Irlande/Écosse à St Denis pour 83 000 spectateurs, et tous ne buvaient pas de cette boisson houblonnée). Pas de débordements, on retrouve là les valeurs du rugby.

2,4 millions de spectateurs sont venus aux stades, contre 1,7 au Japon. C’est 40% de plus.

Le pays a montré qu’il avait envie de rugby.

Florian Grill, président de la FFR

Orchestre Jazz/Rugby avant Écosse/Irlande à St Denis le 7 octobre 2023

Un mot sur les particularités des nations présentes : sans vouloir caricaturer, il faut bien reconnaître le comportement impeccable des anglais, soudés derrière leur équipe et reprenant toujours à propos leur hymne « Swing low, sweat chariot ».

Des argentins assez classe, aux belles couleurs bleu et blanche, comme le Racing. Ils furent hélas vite éteints par les 3 drops de Ford en match d’ouverture à Marseille.

Plus basique, dirons-nous, la tenue des sud-africains. Il valait mieux ne pas être assis à côté de l’un d’eux, car leur corpulence les faisait allègrement déborder de leur siège. Avec les irlandais, c’étaient les plus forts consommateurs de bière. Et comme ils bondissaient souvent de leur siège, le gobelet de à la main, vous pouvez imaginer les dégâts. A Marseille et à St Denis, on finissait les matches en pataugeant dans la bière, dont l’odeur imprégnait l’atmosphère.

Tous les publics étrangers étaient composés d’amateurs de rugby, de connaisseurs.

Une exception, le public français.

Beaucoup plus jeune, il était venu faire la fête, habillé en bleu/blanc/rouge, chantant en permanence les tubes comme « Pena Baïona », une vieille chanson de Joé Dassin, « dans les yeux d’Amélie », et exécutant une perpétuelle holà. Je m’aperçus assez vite en dialoguant avec mes jeunes voisins lors de France/Namibie, qu’ils ne connaissaient pas grand-chose au rugby : ils étaient venus s’amuser. Ils n’ont même pas vu la grave blessure de Antoine Dupont, démoli par un buffle namibien qui le cherchait depuis le début du match, avec ou sans ballon…

Antoine Dupont, meilleur joueur du monde 2021

Et le jeu ?

Si certains matches furent disproportionnés, et avec pour seul intérêt, le nombre d’essais marqués par l’équipe dominante, 14 pour la France contre les Namibiens, il y eut de magnifiques matches, et la révélation de quelques nations supposées faibles.

Le Portugal, dirigé par Lagisquet, a fait un formidable parcours, battant les Fidji, match nul avec la Géorgie, et tenant tête à l’Australie et aux Gallois. Avec des joueurs qui jouent en ProD2 à Colomiers ou à Béziers.

L’Angleterre, moribonde en début d’année, qui atteignit la demie finale, ne perdant que d’un point contre les Springboks, après avoir mené 78 minutes, et battus sur une pénalité qui aurait dû leur être accordée ! Le plan Borthwick a failli réussir.

Le plus beau match, Irlande/All Blacks en quart de finale, qui aurait constitué une finale, tout comme France/AfSud, également en quart, qui devait se jouer à un point, celui perdu à cause de la tricherie du talentueux Cheslin Kolbe, que l’ensemble du corps arbitral (néozélandais) feignit de ne pas voir.

Mon ami Ben, qui fut un Centre talentueux dans sa jeunesse, ajoute les commentaires suivants, caractéristiques de cette Coupe du Monde :

. la composition des poules qui a non seulement amené une foule de matchs peut être sympathiques mais qui tenaient plus de l’entrainement avec opposition, (au total moins d’une dizaine de vrais matchs sur 47, et encore que les splendides France/NZ et Irlande/AF Sud n’étaient que des matchs de poule sans conséquence sur la suite) mais surtout a ruiné le crescendo dramatique de la compétition -méli-mélo des 1/4 et ½

 « et si on avait eu un ¼ AF Sud/ NZ, imaginez le raffut dans le Sud »

. le jeu : des joueurs puissants, rapides, grosse technique, tout ça pour pendant 79 minutes et demie se rentrer directement dedans et balancer des chandelles à l’ancienne maquillées sous un jargon technicotactique.

Un motif d’admiration : la vitesse d’exécution.

. L’arbitrage. Tellement décisif. Je ne mets pas en cause la sincérité ou l’intégrité des hommes seuls sur le terrain mais la législation si complexe qu’elle laisse une si grande part à l’interprétation et aux inclinations locales, et le « protocole annexe « de décision et vérification : juges de touche muets ?

Comité de vidéastes masqués trop bavards (ces fameux bunkers). Voir sur le sujet l’intervention de Ian Foster auprès de la World Rugby, mais bien sûr quand c’est la NZ qui parle, c’est autre chose que Dupont se plaignant « d’avoir été arbitré comme une petite équipe ».

Et l’ami Ben de conclure : l’Equipe de France… celle de 2023 n’était plus celle de 2022. Une question : cette fameuse préparation physique à l’intensité supérieure, data comprise, n’a -t-elle pas grillé certains joueurs comme Aldritt ou Flamant … tout le monde n’est pas uniformément réceptif aux mêmes méthodes…

 

Mais ne galvaudons pas le succès des Sud-Africains, qui avaient certainement le meilleur sorcier de la compétition : gagner ses 3 derniers matches (1/4,1/2 et finale), d’un seul point d’écart, il faut une sacrée mentalité et un sens exacerbé de la victoire, peut-être ce qui a manqué aux français et aux irlandais.  C’est une qualité que ne possédaient qu’une minorité de joueurs français.

Les Springboks fêtant leur 4ème titre le 28 octobre 2023 à St Denis

La déclaration du capitaine Siya Kolisi, après le match, montre l’extrême degré de motivation de cette équipe, qui a peut-être fait la différence :

« En 2019, nos supporters espéraient qu’on puisse gagner la Coupe du monde. Là, ils l’attendaient, a comparé le capitaine. Ils ont été derrière nous depuis le début. Il y a tellement de choses qui se passent mal chez nous, tellement de divisions. C’est comme si nous, on était la dernière ligne de défense. On a montré que des gens avec ces origines différentes peuvent travailler ensemble, pas seulement dans le rugby, mais dans la vie en général. Sans 1995, le rugby n’en serait pas là. Il y a des gens avant moi qui se sont battus pour que les gens comme moi (il montre sa peau noire) puissent jouer dans cette équipe. Alors moi, j’ai la responsabilité de tout donner pour honorer ce maillot et inspirer le pays. » Et lui laisser un point d’avance.

 

On a aussi vu de grands joueurs dans de grandes équipes.

La Dream Team désignée à l’issue de la compétition comprend 5 français, 5 irlandais et 4 néozélandais pour un seul sudaf, ce qui montre que c’est une toute une équipe qui gagne, et pas une somme d’individualités.

Voici cette liste

1 – Cyril Baille France Stade Toulousain

2 – Dan Sheehan – Irlande

3 – Tadhg Furlong – Irlande

4 – Eben Etzebeth – Afrique du Sud

5 – Scott Barrett – Nouvelle Zélande

6 – Caelan Doris – Irlande

7 – Charles Ollivon – France – Stade Toulonnais

8 – Ardie Savea – Nouvelle Zélande- meilleur joueur du Tournoi

9 – Antoine Dupont – France -Stade Toulousain

10 – Richie Mo’unga – Nouvelle Zélande

11 – Will Jordan – Nouvelle Zélande

12 – Bundee Aki – Irlande

13 – Garry Ringrose – Irlande

14 – Damian Penaud – France – CA Béglais

15 – Thomas Ramos – France – Stade Toulousain

On notera dans ce quinze mondial la présence de 3 toulousains, d’un toulonnais et d’un béglais.

 

Bilan de cette Coupe du Monde 2023 en France

Ce fut finalement et globalement une belle coupe du monde, malgré la non-victoire des français, et un résultat logique, l’une des 4 équipes favorites a gagné.

Il y aura évidemment beaucoup de leçons à tirer de cette défaite d’un seul petit point.

Mais les bases sont là, le Top14 est l’un des meilleurs championnats du monde, voire le meilleur, et la relève est là, puisque les rugbymen français de moins de 20 ans sont déjà Champions du Monde.

Contrairement à l’Irlande, nous n’avons pas une génération qui atteint la limite d’âge.

Le nouveau Président de la Fédération Française de Rugby a bien compris la tâche qui l’attend : faire mieux avec moins de moyens. Son passage par HEC lui permettra de mieux maîtriser les objectifs politiques, financiers et sportifs, et de réintégrer la France dans les instances dirigeantes de World Rugby.

Une grande satisfaction personnelle, avoir pu assister à plusieurs matches avec mes petits enfants : un souvenir inoubliable. Charles à Marseille et Alexandre à St Denis.

Ce sera beaucoup plus difficile dans 4 ans, la prochaine Coupe du Monde se déroulant en Australie.

 

Annexe

*Le refrain de la chanson « Dans les Yeux d’Amélie »

En ce temps-là, j’avais le soleil jour et nuit
Dans les yeux d’Emilie
Je réchauffais ma vie
À son sourire
Moi, j’avais le soleil nuit et jour
Dans les yeux de l’amour
Et la mélancolie
Au soleil d’Emilie
Devenait joie de vivre

Je n’ai toujours pas compris ce qui a fait de cette chanson l’hymne de la Coupe du Monde !