A l’initiative du ballet Preljocaj, installé à Aix-en-Provence, cette même ville accueille entre le 12 juillet et le 8 août une série de manifestations placée sous le signe de la danse, avec en vedette la nouvelle chorégraphie du Lac des cygnes par Angelin Preljocaj lui-même. Des quelques notations – éminemment subjectives – qui suivent, à propos des soirées auxquelles nous avons pu assister, il ressort combien le paysage de la danse s’avère, aujourd’hui, contrasté.
Le 25 juillet, dans le cadre en plein-air du Parc Jourdan, quelques danseurs du ballet avaient le champ libre pour montrer leurs propres créations. En contra dos, duo chorégraphié par Victor M. Caliz, qu’il interprète avec Emma Perez, a particulièrement soulevé l’enthousiasme, une danse à la fois dynamique et tendre qui s’ouvre sur un morceau d’Alberto Iglesias (Parle avec elle). Il n’avait qu’un défaut : être trop court. On n’en dira pas autant du solo qui l’avait précédé, Ailleurs (chorégraphie d’Anna Tatarova), dans lequel la danseuse, Mirea Delogu, a peiné à transmettre l’état d’esprit d’une aliénée. Dans la même veine, Psychose de et avec Baptiste Coissieu a davantage convaincu en dépit de son narcissisme affiché et de quelques longueurs dues à des pauses que le rythme de la danse n’exigeait pourtant pas.
Le 28 juillet, toujours au Parc Jourdan, il fut donné d’assister à une prestation des danseurs du CCN de Marseille. Le collectif (La)Horde à la tête du Ballet national de Marseille a produit récemment Room with a view, influencée par le romancier dystopique Alain Damasio et faisant intervenir sur le plateau le DJ Rone, une pièce mobilisant dans un décor minéral, dix-huit danseurs constamment sur le plateau, une chorégraphie inventive, avec des morceaux acrobatiques, sur une musique qui s’impose tant aux danseurs qu’aux spectateurs. A côté, les quatre morceaux présentés le 28 juillet, reprises (Tempo Vicino de Lucinda Childs, Lazarus de Dona Doherty) ou créations (MOOO de Lasseindra Ninja, One of four periods in time – Ellipsis de Tania Carvalho) ont paru bien conventionnels. Ou peut-être n’étions nous pas dans l’état d’esprit qui convenait…
Entretemps, le 27 juillet, au Pavillon noir, le lieu qui abrite le ballet Preljocaj, Josette Baïz (Compagnie Grenade également basée à Aix-en-Provence) a présenté une pièce, Inventaire, interprétée par deux jeunes gens qui racontent leur histoire de danseurs. Ces deux jeunes gens (Lola Cougard et Joffrey Piberne) sont non seulement d’agréables danseurs mais ils sont drôles et les petits intermèdes, parfois appuyés par des vidéos qui les montrent enfants lors de leur apprentissage, sont autant de transitions pleines d’humour entre les pièces successives. Ce panorama, varié, jamais ennuyeux égraine des chorégraphies originales de Wayne McGregor, Hofesh Shechter, Jean-Claude Galotta, etc. jusqu’à Jérôme Bel, apôtre de la « non-danse ». Parmi toutes ces courtes pièces, le public a particulièrement apprécié Les Déclinaisons de la Navarre de Nicola Chaigneau et Claire Laureau, un moment de danse-théâtre très drôle et qui a fait l’objet d’un bis au cours duquel les deux interprètes, survoltés, se sont lâchés encore davantage.
Que dire de Garden of Chance, encore au Pavillon noir, le 30 juillet, sans passer pour le béotien de service ? Ce « spectacle » (le mot qui semble s’imposer ici) est annoncé comme un instant de poésie surréaliste et pataphysique. Pourquoi pas ? Hélas, si toutes les intentions sont bonnes en art, elles ne suffisent pas. Christian Ubl se présente comme danseur, son partenaire comme magicien. Ce qui s’est déroulé sur le plateau du Pavillon noir ce soir là ne rassemblait pourtant ni à de la danse ni à de la magie, à moins qu’il faille considérer comme telles les gesticulations maladroites des deux comparses et les manipulations tout aussi maladroites par les spectateurs de photos coupées en deux. Car les spectateurs, nolens volens, sont mis à contribution. A la rigueur, on aurait pu admettre que le spectacle de deux bonhommes un peu patauds qui se démènent comme ils peuvent recélait un brin de poésie mais les deux protagonistes de ce mauvais théâtre en faisaient des tonnes. Pourtant le public, semble-t-il, a bien aimé. Alors ?
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Un air de danse s’est clôturé en beauté les 3 et 4 août avec le Lac des cygnes. Quand Preljocaj s’attaque à une pièce ultra-classique du répertoire de la danse, cela donne un ballet qui sans être absolument classique s’avère néanmoins sage par comparaison avec les pièces où le chorégraphe s’exprime plus librement. Pas de quoi bouder son plaisir pour autant. Et, cette fois, nous étions d’accord avec le public qui a multiplié les rappels.
Le Lac des cygnes était présenté au Théâtre de l’Archevêché, une vaste cour attenante à la cathédrale, le site privilégié du festival d’opéra qui se tient dans la bonne ville d’Aix depuis 1948 au mois de juillet, un lieu emblématique qui convient parfaitement pour ce ballet créé au Bolchoï en 1877. Le chorégraphe n’a pas repris l’intégralité de la musique de Tchaïkovski pour le livret du Lac des cygnes ; il lui a par contre emprunté d’autres morceaux et ajouté ici ou là de la musique électronique (signée 79D). Le résultat est agréablement éclectique, par exemple lorsqu’un quadrille réglé au cordeau se termine en fête techno.
Suivre le déroulé du ballet n’est pas toujours évident, d’autant qu’il ne se termine pas toujours de la même façon. Preljocaj a situé son Lac des cygnes aujourd’hui. Les scènes dans la famille de Siegfried se déroulent dans une grande ville avec vue sur des gratte-ciels. Les projections en noir et blanc sur l’écran de fond de scène ou sur des écrans intermédiaires transparents installent une ambiance oppressante, avec néanmoins de très belles images comme lorsque surgissent derrière un arbre en fleurs les grues qui serviront à la construction de l’usine voulue par le père de Siegfried.
Preljocaj sait jouer sur le registre de nos sensations, enchaînant une scène de bagarre aboutissant à la mort de Siegfried avec la danse de deuil des signes blancs, superbe moment de grâce. Si nous avions une réticence à exprimer, elle concernerait certains costumes à notre sens peu grâcieux comme ces jupes longues et noires, transparentes ou non, qui habillent certaines danseuses. Mais on admire avant tout la qualité de la danse, l’élégance et la discipline des vingt-six danseuses et danseurs portés par une musique superbe.
Ballet Preljocaj, Un air de danse, Aix en Provence, juillet-août 2021