Comptes-rendus Critiques Scènes

Théâtre : Rambert, Goupil, Van Gogh, Pirandello

Quelques jours à Paris, l’occasion de voir un peu de théâtre au hasard des disponibilités, car les salles sont généralement bien remplies. Certes, il y a une majorité de têtes blanches parmi les spectateurs mais le théâtre a encore de l’avenir.

Clôture de l’amour

La pièce la plus prestigieuse de ce petit échantillon, reprise parisienne du texte de Pascal Rambert couronné par deux prix (Syndicat de la critique, Centre national du théâtre), interprété par Stanislas Nordey et Audrey Bonnet, les deux comédiens pour lesquels il fut spécialement écrit et qui l’ont créé lors du festival d’Avignon en 2011, joué depuis plus de deux cents fois.

Comme le titre l’indique, il s’agit d’une rupture amoureuse. Sa particularité : deux monologues séparés par un bref intermède musical (la chanson Happe d’Alain Bashung interprétée par une chorale de collégiens). L’homme tire en premier, la femme en second. Comme la pièce dure deux heures, on mesure la difficulté de l’exercice pour les comédiens, d’autant que le texte, profus, répétitif doit être particulièrement difficile à apprendre. Mais encaisser le texte de l’autre, tout en exprimant pratiquement sans bouger les sentiments qu’il provoque est également un exercice difficile. Si les deux comédiens sont suffisamment chevronnés pour surmonter ces épreuves le résultat n’emporte cependant pas complètement l’adhésion.

Dans cette joute verbale, chaque compétiteur entreprend de noyer l’autre sous un déluge de paroles et il y parvient. Mais le spectateur ? Lui aussi finit par se noyer, même s’il ne peut qu’être subjugué par les performances des acteurs. Le texte est pourtant un beau morceau de littérature comme on en jugera par l’extrait suivant emprunté au monologue de « Stan » :

il faut que les choses soient dites / oui parfaitement il faut dire les choses / on ne peut pas éternellement continuer à faire comme / si la vie était un panier de fraises / la vie n’est pas un panier de fraises Audrey / oui parfaitement cette expression / et alors ? / où as-tu vu ça ? / qui croit que la vie est ? / qui croit ? / qui pense ça ? / qui peut imaginer une seule seconde ? / qui serait assez stupide pour ? …

Les répétitions, les hésitations ne sont pas gênantes en elles-mêmes, au contraire elles sont un procédé très efficace au théâtre, le problème, ici, est plutôt que le discours n’avance guère, il n’y a pas de révélation fracassante qui pourrait expliquer les sentiments si véhéments qui s’exposent sur le plateau, portés par un jeu volontairement excessif conformément au souhait de l’auteur-metteur en scène. Ainsi, il écrit à propos du jeu de Stanislas Nordey :

Le corps est le support. Il porte en son entier la diction […] Les mains, la bouche, les yeux, les jambes – ce ballet dur – cherchent avancent, repartent, rentrent, sortent, re rentrent, re sortent, vont devant, vont loin (sur le plateau là-bas), au sol, en haut, tancent, exaspèrent, recommencent, recommencent encore […] On a suivi le sens depuis l’intérieur du corps de Stanislas Nordey…

Description exacte qui confirme le talent d’un comédien capable de se plier à de pareilles exigences. Et sa partenaire mérite de semblables éloges. Mais le texte est long, trop long sans doute, compte tenu de ce qui a été dit plus haut, prononcé par ailleurs sur un rythme très rapide et avec un niveau sonore soutenu qui ne facilitent pas l’écoute. Il y a trop peu de moments où les comédiens comme les spectateurs peuvent souffler (on ne dit pas se détendre car ce n’est pas du tout ici le propos). Ceci explique sans doute que certains spectateurs (spectatrices plutôt et plutôt d’un âge respectable) aient déclaré forfait avant la fin, ce qui n’a pas empêché que la pièce se termine sous des applaudissements nourris et prolongés.

Au Théâtre des Variétés du 26 octobre au 11 novembre. Texte et mise en scène de Pascal Rambert, avec Stanislas Nordey et Audrey Bonnet. Le texte est publié par Les Solitaires Intempestifs.

The Loop

Changement total d’ambiance avec The Loop, comédie déjantée de Robin Goupil, un succès du dernier festival OFF d’Avignon. Deux policiers s’efforcent de faire avouer à un voyou qu’il a commis un assassinat. Son avocate est là pour le défendre. Quand ou aura ajouté que le voyou est le fils du maire de la ville, ce qui a toutes chances de compromettre l’enquête, on aura à peu près dit ce qui est possible sans dévoiler l’intrigue. Pourquoi The Loop (« la boucle » en français) ? Parce que la scène de l’interrogatoire sera jouée trois fois et chaque fois, évidemment, avec des variantes qui font progresser dans la compréhension du drame, si bien que le spectateur est tenu en haleine jusqu’au bout, tout en prenant plaisir à se laisser surprendre.

C’est de la franche comédie, les comédiens en font des tonnes, servis par une mise en scène qui cultive adroitement les gags visuels. L’auteur-metteur en scène n’avait ici d’autre objectif que de nous faire rire et il y parvient sans coup férir.

Au Théâtre des Béliers parisiens. Texte et mise en scène de Robin Goupil, avec Aurélie Boquien, Tristan Cottin, Juliette Damy, Stanislas Perrin.

On peut voir en début de soirée, dans le même théâtre, Big Mother de Mélodie Mourey, une pièce cinq fois nominée aux Molières en 2023, une autre comédie qui porte pour sa part sur une machination politique lors d’une élection présidentielle aux États-Unis, avec en arrière-plan le scandale de Cambridge Analytica.

Van Gogh

Encore une autre ambiance dans le très petit théâtre du Guichet Montparnasse où Ghislain Geiger et Julien Séchaud, deux habitués de la salle, nous racontent la biographie de Vincent Van Gogh en mettant l’accent sur sa relation avec Théo qui fut pour lui plus qu’un frère, l’être le plus cher dont le soutien fut déterminant pour l’encourager et lui permettre de peindre.

Une telle pièce ne peut qu’être reçue de manière très différente selon qu’on connaît ou pas la vie de Van Gogh. La vie et l’œuvre résumée par quelques tableaux des plus célèbres. Le décor est réduit à peu de choses, une nécessité vu les dimensions de la salle : un matelas par terre, deux chaises, un chevalet. Les changements d’ambiance sont marqués par des coupons de tissus de couleurs différentes suspendus à une cloison. Le spectateur attend la manière dont seront représentés les deux épisodes les plus violents dans la vie de Van Gogh, lorsqu’il se coupe l’oreille après la brouille avec Gauguin qui l’avait rejoint à la « Maison jaune » en Arles, et quand il met fin à ses jours à Auvers-sur-Oise d’une balle dans la poitrine. Julien Séchaud a choisi de montrer ces deux événements à demi caché, dos au public.

Les spectateurs qui ne connaissaient pas la vie du peintre maudit ressortiront instruits d’un spectacle qui ménage par ailleurs de beaux moments d’émotion. Les autres auront plaisir à se remémorer certains faits, voire à en découvrir d’autres, par exemple, au début de la carrière de Van Gogh, ses tentatives amoureuses, dont quelques mois en concubinage avec une prostituée.

Au Guichet Montparnasse les vendredi à 19H. De et avec Ghislain Geiger et Julien Séchaud.

Variations Pirandelliennes

Trois comédiens ont trouvé leur auteur mais au lieu de s’en tenir à l’un de ses textes, ils ont choisi de monter deux pièces brèves et deux extraits. Le spectacle commence par Cecé. Titre éponyme, le nom d’un homme du monde doté d’un tempérament altruiste ; il a aidé bien des gens, dont l’entrepreneur qui vient lui rendre visite pour le remercier et qui finira se trouver chargé d’une mission à laquelle il ne s’attendait pas. Tout repose sur la manière dont Cecé, sans en avoir l’air, contraint son obligé à lui rendre ce service. L’autre pièce brève, La Fleur à la bouche, met encore en scène deux personnages masculins, cette fois dans un café ouvert toute la nuit. Un « monsieur » qui a raté son train décide d’y attendre le matin ; il y rencontre un autre homme, visiblement désœuvré, qui engage la conversation et finit par la monopoliser jusqu’à ce que nous comprenions ce qui l’agite. Les deux mêmes comédiens deviennent respectivement le curé du village et le frère de Donna Anna dans l’extrait de La Vie que je t’ai donnée ; Donna Anna vient de voir mourir son fils revenu sous son toit après sept mois d’absence silencieuse : comment peut-elle se comporter face à cette mort qu’elle refuse ? Enfin, dans l’extrait de Circulez, une femme du peuple, Bijou, se livre à une confession pleine de bruit et de fureur en présence du cadavre de son homme ; elle en a gros sur le cœur et ne se prive pas de le faire savoir.

Après Cecé, un vaudeville bien enlevé, les trois autres morceaux abordent directement quoique de manière différente le thème de la perte, de la mort. Tout cela n’est pas sans intérêt et l’on ne regrette donc pas d’être là, malgré un jeu parfois inégal et bien que le monologue de Bijou n’apparaisse pas comme le meilleur des choix possibles.

Au Théâtre de Poche Montparnasse du mardi au samedi à 21h et jusqu’au 9 novembre. Avec Cédric Altadil, Valérie Aubert (également à la mise en scène) et Samir Siad.