Nous avons foi au sens et la vie nous déroute
C’est par son dernier recueil, posthume, que nous découvrons Paul Le Jéloux (Pontivy 1955 – Dol-de-Bretagne 2015). Après une licence d’anglais, il enseigna à Londres, Brazzaville, Tananarive puis Paris avant de se replier, en 2006, dans sa Bretagne natale. Entretemps, il avait traduit des poèmes de l’anglais, participé à la création de la revue bilingue franco-anglaise Twofold, et écrit ses propres poèmes qui donnèrent la matière de trois recueils, tous chez Obsidiane, avant ce Jardin sous l’ombre.
Poèmes posthumes, poèmes écrits à la fin d’une vie, on n’est pas surpris d’y voir roder
la mort qui n’a pas de forêt
elle peuple les rêves de ceux qui ne sont plus enfants
celle qui reste un mystère
frise d’angoisse suave, crinière d’un monde empourpré.
La nostalgie est à fleur des vers, par exemple, dans cette évocation du pays d’enfance
La patrie c’est les planche et les bidons
l’arrière-cour corrodée avec ses vieux pavés et ses brins d’herbe
piétinés. C’est la réglisse, la pâte d’amande, …
Ou ici, avec l’emploi d’un temps du passé
Je n’ai pour patrie dans les os
que les hommes et les femmes que j’ai aimés
Le reste ce sont fougues intellectuelles
ruisseaux dans les nuages.
Ceci n’empêche que la sensualité parfois se réveille
Asseyons-nous dans ce bar un peu crasseux,
le regard souple et cruel d’une jeune rousse,
les yeux bleu outremer de la poupée sainte et putain,
et puis une petite croix propitiatoire sur la poitrine.
Importe avant tout l’émotion, la mère du poème
Elle est rive d’amour et philtre d’épopée
elle est poésie sûre
Elle est poésie dure
L’unique qui dit le cœur.
Le contact avec la réalité est pour le poète vieillissant autant d’occasions de désenchantement, entre ce qui est condamné à disparaître
J’ai acheté mon journal et j’ai vu la barrière se fermer
pour un tortillard qui n’en a plus pour très longtemps
et ce qui n’est que trop moderne, la rumeur d’aujourd’hui
avec ses portables, ses journaux gris, sa démocratie.
Le Jéloux avait-il quelque chose contre la démocratie ? Il est certain qu’il ne portait pas en très haute estime ses frères humains
L’espèce n’a pas changé qui bifurque en Dieu et en Diable
Mourante de détresse, affûtant son malheur.
Le bonheur, néanmoins, reste toujours possible, qui surgit quand le poète se laisse surprendre par une image pourtant familière
J’ai dévalé midi et joué avec l’église qui est un coquillage sacré,
sous son fardeau de dogmes mais bien libre avec ses pierres
un peu bleues et sa flèche du mercredi qu’on dirait si près des nuages.
On peut encore s’amuser à se moquer – gentiment – des bobos ou des bistrots parisiens dans deux poèmes où pointe un humour discrètement grinçant.
La Bretagne de Le Jéloux est terrienne, elle laisse entrevoir à peine la mer au bout du paysage
Des bouts de forêt bivouaquent
près de la mer à gueule pentue
en cul de chèvre, à enclumes de gisant.
Une particularité du recueil tient à la place accordée aux animaux. On en trouvera la liste ci-dessous. Tous les genres sont représentés depuis les éléphants rouges jusqu’à la petite puce, souvent dans des associations incongrues (l’affable guêpe du théâtre réel, un candélabre passe en chenille sous un tableau noir). Comme beaucoup d’écrivains, Le Jéloux fut un homme à chats, c’est du moins ce qui ressort du poème dédié à sa chatte Cosette,
maîtresse assassine
revenante des gouttières, muscle de lianes,
fricoteuse des pointes de l’automne…
La poésie de Le Jéloux est riche de ces trouvailles qui apparaissent dépourvues de sens au premier degré, d’autant plus fascinantes, comme l’osselet des désirs lents, une embarcation giboyant de comètes, une lucarne boit le vin de la grande nuit…
Une vie d’homme, c’est comme une œuvre, ça se conclut par deux simples vers
J’ai bien compris que rien ne s’accomplit que dans la solitude
Et que la gaieté et les pleurs sont de même verdure.
Le Jardin sous l’ombre, Obsidiane, « Les Solitudes », Paris, 2017, 95 p., 15 €.
PS : Le bestiaire de Le Jéloux dans Le Jardin…
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