L’économie fait peur, particulièrement en ces temps-ci et dans notre pays, tant elle semble hors de contrôle. Quant aux praticiens de la science économique, les économistes, on a tendance à leur imputer une réalité dont ils ne sont pas responsables. Il est cependant vrai qu’ils sont rarement d’accord entre eux, ce qui ne plaide évidemment pas en leur faveur ni en celle de leur discipline. Plus d’État, moins d’État, favoriser l’offre ou la demande sont des positions inconciliables, même si les économistes praticiens se situent rarement aux extrémités du spectre.
À défaut de formuler des recommandations consensuelles (qui auraient de toute façon bien peu de chances d’être appliquées telles quelles par les gouvernants), les économistes peuvent au moins nous expliquer les décisions qui ont été prises en matière de politique économique et les questions qu’elles ont suscitées au sein de la profession. Tel est l’objet de l’ouvrage récent du professeur Claude Meidinger, un travail d’une grande clarté qui ne réclame pas davantage du lecteur que des connaissances élémentaires de la théorie macroéconomique, l’auteur prenant soin de rappeler les mécanismes de base.
L’ouvrage est divisé en trois grandes parties, la politique monétaire, la politique budgétaire, le système monétaire international, soit pour simplifier les taux d’intérêt, la dette, le problème de la monnaie internationale et les taux de change. Concernant le premier point une question vient tout de suite à l’esprit : pourquoi le taux d’intérêt en Europe est-il resté aussi longtemps négatif ? On ne parle pas ici, bien sûr, du taux exigé d’un particulier qui souhaiterait, par exemple, acheter un logement mais du taux des concours de la BCE aux banques commerciales, grâce à quoi, pour simplifier, elles peuvent elles-mêmes prêter aux ménages et fixer leur propre taux. Comme le souligne l’auteur, la politique des banques centrales tend à instaurer sur les marchés un taux dit « naturel », celui qui permet à la fois à l’économie d’être sur son sentier de croissance potentiel et à l’inflation de rester modérée et stable. Pour ce faire, elles fixent leur taux, dit taux directeur, en fonction des écarts respectifs de l’inflation et du produit national par rapport à leurs cibles (« règle dite de Taylor »). En cas de déflation durable, elles sont alors conduites à choisir un taux directeur très faible, voire négatif. Dans cette dernière hypothèse, les banques centrales doivent payer pour détenir des réserves en monnaie banque centrale. On comprend, dans ces conditions, que le taux directeur ne puisse pas baisser indéfiniment, les banques qui n’ont aucun intérêt à payer pour détenir de la monnaie banque centrale en réserve, préféreront les transformer en espèces (pièces, billets) dès lors que le coût de stockage de ces dernières est inférieur à celui de l’intérêt négatif. Force est alors de recourir à un autre instrument de la politique monétaire. Par exemple afficher une cible d’inflation plus élevée, comme le montre Claude Meidinger.
Si l’on ne saurait, dans le cadre de cet article, passer en revue tous les points examinés par l’auteur, il en est un particulièrement crucial pour les Français, celui du contrôle ou plutôt du non-contrôle de la dette publique. On se souvient que lors de la mise en place de l’euro, le traité de Maastricht imposait deux limites en la matière : tout déficit annuel devait rester inférieur à 3 % du PIB et la dette cumulée inférieure à 60 % du PIB, des chiffres dont l’auteur nous explique en vertu de quels raisonnements ils ont été choisis. Alors que s’est-il passé pour que la France affiche des montants presque deux fois supérieurs pour ces deux indicateurs ? L’explication est assez simple. Le gouvernement français a toujours reculé devant le coût politique d’une stabilisation, sans parler d’une réduction de la dette. Il aurait fallu l’y contraindre en appliquant des sanctions qui ne sont jamais intervenues. Et même loin de là puisque les règles n’ont cessé d’être modifiées dans un sens de plus en plus laxiste. Alors que l’article 123 du Traité de l’Union Européenne proscrit l’acquisition par la BCE de titres des États, elle en détient en profusion. Et tandis que l’article 125 du même traité interdit les prêts de l’UE aux États, le Mécanisme européen de stabilité financière (MESF, 2010) a permis le contraire jusqu’à son remplacement en 2012 par le Mécanisme européen de stabilité (MES), lequel organise les secours aux États en difficulté grâce à un fonds financé par des emprunts garantis non plus par l’UE mais par les États membres. Un subterfuge contraire aux principes initiaux de l’union monétaire qui proscrivaient tout recours auprès de l’Union – quelle qu’en soit la forme – d’un État aux finances en péril (clause no bail out). Parallèlement, les réformes successives du Pacte de stabilité et de croissance ont dénaturé progressivement les règles de Maastricht. Comme le démontre l’auteur, c’est bien le laxisme organisé au sein de la zone euro qui a permis à des pays comme la France de laisser dériver leurs finances publiques. S’ouvre alors la question des conditions de soutenabilité de la dette (soit la stabilité à long terme du rapport dette/PIB), des conditions qui, à l’évidence, ne sont pas satisfaites dans le cas français.
Les relations internationales ne font, bien sûr, que rendre encore plus complexe la conduite d’une économie nationale. Pour la France, l’appartenance à l’euro se révèle en réalité ambivalente. Si elle a perdu l’instrument taux de change qui pouvait être d’un précieux secours en cas de déficit récurrent de la balance des paiements, elle échappe en contrepartie au risque de voir sa monnaie attaquée en cas de déséquilibre extérieur excessif, ce qui n’a pu que conforter ses gouvernant dans l’idée qu’on pouvait continuer à l’endetter impunément.
Toutes ces questions et bien d’autres sont traitées en détail dans ces Controverses macroéconomiques contemporaines qui devraient s’avérer une référence indispensable autant pour les économistes que pour les simples citoyens désireux de mieux comprendre, au prix de quelques efforts, il est vrai, le monde dans lequel ils vivent.
Claude Meidinger, Controverses macroéconomiques contemporaines, Paris, 2024, L’Harmattan, 362 p. , 35 €