Né en 1913, mort en 2008, Aimé Césaire aura eu une longue carrière tant politique que littéraire, les deux indissociablement liés au demeurant, puisque les poèmes, au-delà de leurs innovations formelles, nous en apprennent beaucoup sur ce qui a motivé l’action du député-maire, indignation et action, l’action qui naît de l’indignation.
Pour marquer le cent-dixième anniversaire de la naissance de celui qui fut député de la Martinique entre 1945 et 1993 et maire de Fort-de-France entre 1946 et 2001, la Fondation Clément et l’association ACA (Aimé Césaire actuel) organisent conjointement deux expositions, l’une qui retrace les faits saillants de cette longue carrière, l’autre consacrées aux images rapportées par trois photographes à l’issue de leur exploration de la nature martiniquaise.
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L’exposition Césaire proprement dite qui occupe le niveau inférieur des espaces de la Fondation est divisée en plusieurs sections : les origines, depuis les bateaux négriers jusqu’au village natal de Basse-Pointe, les misères coloniales ; les ruptures idéologique (la négritude), esthétique (le surréalisme) et politique (d’avec le communisme) ; le guide et le bâtisseur. Cette dernière section ne sera pas celle qui intéressera le moins le visiteur martiniquais ; c’est aussi les accomplissements dont Césaire était sans doute le plus fier et qu’il a revendiqués dans ses poèmes, par exemple dans le Cahier : « Je m’exige bêcheur de cette unique race » ou dans le dernier vers du poème Corps perdu : « Je commanderai aux îles d’exister ». On sait tout ce que Césaire a fait pour Fort-de-France ; il l’a lui-même énuméré dans un discours reproduit dans l’exposition (« Nos victoires à nous c’est la Trénelle urbanisée, c’est l’Ermitage aménagé, c’est Volga- plage protégée contre les eaux et des bidonvilles passant au rang de villes », etc.) Autant donc pour le bâtisseur. On peut juger moins brillant le bilan du guide. Partisan successivement de la départementalisation, de l’indépendance et de l’autonomie de la Martinique, son action à Paris eut surtout pour résultat d’enfoncer son île dans la dépendance.
Le combat pour la défense et l’illustration de la négritude est bien davantage à mettre à son crédit, même s’il s’est inscrit dans un courant préexistant, initié aux Etats-Unis par W.E.B. Du Bois auquel l’exposition rend un juste hommage. Le nom de Césaire restera sans nul doute associé à ce combat mais s’il faut prendre un pari, c’est son œuvre littéraire et au premier chef sa poésie qui devraient l’inscrire durablement dans l’avenir. N’est-ce pas au titre de la littérature que l’on se souvient de Hugo, de Lamartine, de Chateaubriand ? Gageons qu’il en ira de même pour Césaire. Certes, il n’eut pas le prix Nobel (il paraît que l’on ne pouvait pas couronner aussi tôt un second caribéen après Derek Walcott !) et on ne peut que le regretter, tant on eut aimé le voir installé dans le panthéon suédois à côté de Saint-John Perse, son alter ego guadeloupéen. Mais le Nobel n’est pas plus un gage d’immortalité que l’Académie. La renommée de Césaire n’en a pas besoin : ses poèmes parleront pour lui aussi longtemps qu’il y aura des lecteurs.
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Les photographie qui occupent les deux espaces du rez-de-chaussée de la Fondation Clément au François développent des approches différentes ; paysages de forêt tropicale par Juliette Agnel et Nicolas Dermé, mais en couleur pour l’une, en noir et blanc pour l’autre, focus sur des détails de la végétation pour Xuebing Du. Ces photographies qui sont placées sous l’invocation du recueil Moi, laminaire sont accompagnées de poèmes retranscrits sur les cimaises ou enregistrés.
Aimé Césaire, un homme de ruptures
Nous, laminaires. Paysages naturels de la Martinique, photographies contemporaines
Fondation Clément, Le François, Martinique, 29 septembre-24 novembre 2023.