Publications

« La langue ankor – Encore la langue » de Jean-Louis Robert

L’esquif poème lancé lance ivre
en exil anse danse
sur la page blanche de silence

Jean-Louis Robert nous invite à une divagation littéraire à bord de son île-bateau, où prolifèrent

des épissures de signes
vides 

inventant à l’occasion un mélangue français-créole réunionnais : Francéole est ma langue, proclame-t-il.

tu me langilang
OL
ÉRK je te poète
sous la roche de l’anguille fabuleuse
je te galang galang
OL
ÉRK tu me danse
en cadence dans la gangue d’angoisse

Il y a des poèmes de circonstance inspirés par les suppliciés de la vie

leurs cris farlanguent
comme fouet
la chair fragile
du jour

puisqu’il est passé le temps de l’innocence :

les mots de l’émotion
chialent à mort
sur nos murs

Il y a des visions surréalistes

voici que le cratère
déborde de rires ancillaires
hystériques les femmes échangent leurs visages
offrant aux nuages
la géométrie indécente de leur nudité

mais le réel se révèle parfois pire que les pires cauchemars

je pleure mon île ombilicale
Elle ploie sous le poids du béton
y explosent les décibels détonent
et des tonnes d’immondices
c’est le progrès qui veut ça  

 °                      °

°

Ce précieux petit recueil qui devrait séduire tous les amoureux des jeux avec les mots

lame la mer
douce amère
l’âme erre

s’ouvre par un conte en prose de quelques pages, en créole avec traduction consécutive en français, un cadeau au non créolophone ainsi apte à goûter la musique particulière du créole réunionnais. Cela commence ainsi

Dann tan la, domoun té koné pa pouwar langaz
(En ce temps-là, les gens méconnaissaient les pouvoirs de la parole)
tout té fé ryink èk lo miks, lo miks Kaf sirtou
(tout se faisait exclusivement avec les muscles, nègres surtout)

Grâce à la parole, le travail est miraculeusement allégé et c’est encore grâce à elle, après qu’on l’ait envoyée en mission dann gran péi déor (dans le grand pays du dehors), que l’esclavage sera finalement aboli.

°                      °

°

Nos lecteurs connaissent le Jean-Louis Robert nouvelliste et essayiste mais assez peu le poète. Ce recueil leur fera mieux connaître cette facette de son talent[i].

La langue ankor – Encore la langue, Éditions K’A, La Réunion, 2020, 150 p., 12 €.

PS / Une présentation très complète de J.-L. Robert et de son œuvre sur Île en île :

http://ile-en-ile.org/robert/

[i] Cf. https://mondesfrancophones.com/author/j-lrobert/