La poésie hérésie sacrale
sacramentel craché dans un mais
C’est toujours grâce aux soins attentifs de Jean-Louis Bouttes que nous pouvons offrir à nos lecteurs cette nouvelle brassée de poèmes posthumes de Paul Le Jéloux. Qu’il en soit ici à nouveau remercié. MF.
La beauté
La beauté, ça ne bouge pas
ça vous mange
c’est ça les anges
occupez-vous de vos oignons
si ça finit mal pour vous
ça ne vous regarde pas
tenez-vous le pour dit
La beauté, elle ne bouffe pas des radis
ça vous raidit?
ça vous fait des brûlures?
Rassurez-vous, beauté, ça se casse
ça devient méchant (c’est cruel aussi!)
La beauté c’est rare
fichument rare. Et cher.
ça fiche des coups
ça s’égare et ne revient pas
ça demande l’intelligence
parfois le goût de la bêtise
(mais n’est jamais dans les proverbes)
la sagesse l’évite
ou la cherche dans les fleurs
(Est-on alors content?)
À l’attendre on devient mou et flou
elle fait onduler le moral
ça se comprend.
Parfois on trouve,
… à qui perd gagne
Les bretonnants
Ils n’ont jamais connu les gammes
Mais se parlaient comme on parle aux oiseaux
Rendez-leur les clefs du château
Qu’ils ont construit à grande misère
Demain tout s’effacera pour couronner la mer.
La disparition
Mettez-moi à mort
on ne parlera plus de boucherie
on apprendra les langues
avec le seul azur du ciel
le corps sera fait coquillage
le poème grandira dans l’exact soleil
et le temps soudain cessera de gémir
il fera très froid et très chaud
ce sera la paix spirituelle
la paix éternelle
et ce sera enfin jour de l’amour
la fin de la dette
L’espace ne sera plus une poussière d’encre
régi par l’austère mathématique
ce sera le printemps de la poésie
le midi du désir
tempéré par les dieux grecs
les ruses d’Hermès
l’erreur ne sera plus fatale
l’hystérie ne sera plus un trouble des nerfs
la sérénité plus un évitement
le courage aura enfin sa religion
et les sacrifiés qui furent les seuls témoins
de leur splendeur
auront droit à une jeunesse nouvelle
et auront leur billet pour les montagnes russes
de Dieu
Le Chinois ourdira un complot contre les Parques
et Platon se perdra dans la cire de la Chine
Ô mais c’est un rêve
mettez-moi à mort avec le Logos
dévorez-moi avec les cloportes de Michaux
tout en haut brille la lune de Jouve
Filiation
Quand les cendres seront apaisées
qu’il restera l’opale de nos voix
dans la voix des nuées
nous serons la ressource et le lait
des cris futurs, des joies des lendemains
rien ne se fera sans nous qui avons frôlé
des roses et les tulipes de l’amour, des murs
et les ferveurs de l’amitié —
Tout sera chanson dans la tristesse
et absence dans le ciel bleu,
mais nous serons les pas de Novembre
le lys blanc des fêtes heureuses ou miséreuses
selon que la conscience aura des plis qui nous suivent
nous trouve dans ce puits froid, cette verdeur de Dieu -‐
Nous serons musique et petits chats à la chasse
des myrtilles, du jeu, de l’encoche des gestes,
Des viveurs de plantes voraces, des jurés muets.
Nous serons l’enclos du sol, son petit rire sablonneux,
ses gerçures et déceptions,
La vie sera bosselée et pleine de cerceaux
même pour les fils de la machine
même pour les dieux de ce temps-là.
Nous serons saugrenus, lourdauds, comparés au nouveau,
amants des pauvres luzernes dans la mémoire infinie.
Et l’histoire n’en finira pas de tourmenter les hommes
dont nous serons les petits papillons
pour des leçons apprises par cœur —
On se souviendra un peu, écopant nos images vieillies,
Le vrai monde brillera,
quand nous serons anéantis.