Chroniques Créations

Le bar de la plage – épisodes 144, 145 et 146

Episode 144

Autant en emporte le temps…

La météo était favorable à la navigation. Les mouettes n’en demandaient pas tant, elles se livraient à leurs habituels exercices de voltige. Bande-son à fond.

Et un jour les hommes se mirent à compter le temps, même pour un après-midi aussi agréable qu’aujourd’hui.

Déjà le cadran solaire. Par temps clair, pas besoin de lui pour savoir où on en était de la journée, il suffisait de regarder où en était le soleil ; les jours de brouillard, il était muet. Vinrent les calendriers ; certes encore utiles aux pompiers, aux éboueurs et aux postiers à la saison des étrennes, mais pour le reste… à part dater les millésimes des Bordeaux et les actes de naissance (et de décès) dans les registres des mairies. Oublions les anniversaires qui rendent vieux… Comment Socrate savait-il qu’il vivait cinq siècles avant JC…

Et puis la chronologie, en voilà une idée. Les plus heureux sont les profs d’histoire – sans date, sans année qu’est-ce qu’ils feraient ? Allez raconter que la bataille d’Austerlitz n’a pas eu lieu avant-hier (même si le JT n’en n’a pas parlé) – et les auteurs de romans policiers à énigme et détectives perspicaces – que faisiez-vous mardi 12 mars entre 20 heures 30 et 21 heures ? On la vénère, on croit qu’elle met de l’ordre dans le mouvement désordonné des vies et des événements, le vent se charge vite de dissiper les illusions.

Comme dit Blaise Adonis Tanoh, un copain ivoirien de passage au bar de la plage :” ici vous avez l’heure, nous, nous avons le temps”. Faut dire qu’il n’est jamais pressé.

Caro, impitoyablement belle selon les mots mêmes de Jules, s’interposa : ” Alex, les Grecs ne s’intéressait pas au temps”

– Au temps ou à la météo ? Evidemment à Athènes il devait faire toujours beau, on les voit toujours en tenues légères, au théâtre, papoter sur l’agora et même chercher des noises à leurs voisins de Sparte.. ben voyons, qui sait qui a inventé ce fameux Chrono, Chronos etc…

On sentait Caro légèrement floue… l’effet Jules…

Quand même, ne pas s’approcher du bord de mer sans l’Almanach du Pêcheur Breton dans la poche de son ciré, horaires des marées, coefficients, etc

Le soleil avait fini de plonger dans l’eau.

Georges aligna les dry-martini.

Personne ne demanda l’heure.

Personne n’avait de montre.

Episode 145

(Quelques réflexions personnelles et égoïstes sûrement un peu oiseuses)

L’autre jour le vieil homme était de passage. Toujours coiffé de son panama blanc à bandeau noir assorti à son costume de lin blanc légèrement froissé. Et pieds nus bien sûr. On l’a entendu ou on a cru l’entendre se féliciter auprès de Georges de la longévité du bar de la plage. Eh oui, (Jackson l’avait craint un moment) le bar de la plage a échappé aux ravages de la loi “littoral” qui, mieux qu’un raz-de-marée, a dézingué pas mal d’élégants établissements de plage au grand dam de leurs propriétaires et de leurs clients, sous les applaudissements du clergé écolo.

Le vieil homme semblait s’étonner qu’ici le temps n’ait pas laissé plus de traces de son passage, en général il ne fait pas ce genre de cadeau à la beauté originelle… à croire qu’il en est jaloux comme d’une rivale insolente…

Autre hypothèse : le dry-martini conserverait les fraî-cheurs aussi bien que l’eau de vie les cerises… (Aucune vérification scientifique du phénomène disponible, tant pis).

Ce n’était évidemment pas le seul souci de cette fin d’après-midi d’un jour ordinaire d’un siècle ordinaire… la plupart de ses malfaçons sont à l’affiche et sur les ondes tout ce qui dénonce, condamne, lynche. Les notes bleues du saxo de notre ami Pierrot le fou résisteront-elles encore longtemps aux aboiements haletants des micros enfiévrés. Le bikini de Leslie, même dans sa version complète, est menacé d’extinction.

Fait-il meilleur sur un sampan remontant ou descendant un grand fleuve d’Asie… Le Colonel n’en est plus très sûr….

– Alors Alex t’es de mauvais poil , un peu… beaucoup… désespérément…

C’était Leslie

– Et alors il n’y a pas de mal à ça…et toi…tu as une tête d’Anglaise par temps de brouillard.

– Désormais le soleil se couche sur l’Empire et je m’en fous… David Bowie ne chantera plus avec Annie Lennox. leur version duo de Under Pressure à Wembley … et ça c’est immoral.

Pardonnez-nous cet accès de morosité,

Trop de nuages.

Coup de vent annoncé.

Ciel dégagé en vue

 

Episode 146

C’était une belle journée

Alors là, pour une belle journée, c’était une belle journée. Au sens météorologique et au-delà. Aucun importun à l’horizon, les mouettes n’ont rien signalé.

L’idylle entre Caro et Jules se précisait sans qu’on ait une idée du degré de précision. Vers midi, le Colonel a déclaré “Parfait…Parfait” sans qu’on sache, comme d’habitude, à quoi ou à qui il faisait allusion. C’est dans des circonstances comme celles-ci qu’en général les vacanciers envoient une carte postale à leurs voisins restés chez eux ” ici, soleil magnifique, nourriture superbe, on se régale” ; certains vont même jusqu’à ajouter quelque chose dans le genre “dommage que vous ne soyez pas avec nous”. Même en vacance, la nature humaine ne fait pas relâche.

Un mot de ma tante cartomancienne en Cornouailles, comme elle le dit elle-même, elle vend de l’avenir. En or ou en stuc, radieux ou un peu embrouillé, peu importe c’est toujours de l’avenir et c’est cela qui compte. Le contraire de tueur à gages. Son point faible est le pronostic hippique, on finit bien par se rendre compte que les chevaux sur lesquels on a misé, ne sont pas à l’arrivée. Enfin, elle progresse : dans le dernier tiercé, elle a deviné un cheval sur trois.

C’est vraiment un beau métier. Quand je serai grand, autrement dit dans l’hypothèse où je quitte le bar de la plage pour la vie sérieuse, je ferai cartomancien ou quelque chose dans le genre.

Un groupe de psychanalystes viennois dépressifs seraient en congrès à Las Vegas ; ils iraient mieux.

Louise de V a repéré un type bien sous tous rapports, en veste de tweed et cravate en tricot (il est critique de cinéma parisien ; il voit plein de films à l’oeil et en dit du mal). Louise a plein de projets bizarres dans sa tête.

Lady Gaga chante “Remember the Way We Were” (voir la BO du film A Star is Born, pour les filles il y a aussi Bradley Cooper)

Line est mélancolique, c’est bon signe : elle ne va pas tarder à tomber amoureuse. Normal : avec ses boucles dorées en plus, elle est tellement jolie.

Je me demande pourquoi tous les jours ne ressemblent pas à aujourd’hui…