
Episode 208
Un sauvetage
Et le revoilà, le surfer chéri de Leslie. Ça n’avait pas l’air d’aller fort. Au milieu du décor psychédélique de son van, il avait rajouté à la peinture noire, comme pour un faire-part de décès ;
Faites l’amour, pas la guerre / Woodstock a fait faillite / Les guerres ont gagné / les fleurs sont fanées.
De tout ça on s’en doutait un peu, Bob Dylan avait prophétisé « All You Need Is Love, ça pouvait pas durer ». Joan Baez était resté Joan Baez ; personne ne lui avait dit que plus personne ne défilait contre la guerre au Vietnam.
Son surfer n’allait pas mieux, Leslie lui prodigua les premiers soins. On lui bricola une bande-son en rapport avec son état, Michel Polnareff lui chanta Marylou, Tina Turner lui servit un Proud Mary des plus hots, Keith Richards l’invita à faire partie de la bande de Wild Horses.
Il commença à revenir progressivement à la vie, à s’abandonner aux douceurs du bar de la plage.
Georges pour des raisons supérieures avait laissé les rênes à une barmaid au décolleté format Girl Power.
Il dit :
– Mademoiselle, un dry-martini please
Elle lui sourit.
Il lui sourit…
Episode 209
Quelques à-peu-près
Drôle de moment. Aucune perturbation météorologique à l’horizon ; c’est bien ce qui clochait. L’ordre, l’harmonie d’un monde parfait, un lit au carré et même l’alignement des planètes ; quel ennui. Vivement quelques bourrasques. Romain Gary l’avait bien dit : « je suis pour l’approximatif, l’à-peu-près…toute recherche de la perfection est totalitaire. »
Bon, question à-peu-près ou approximatif, on peut dire qu’on était au point. Les mathématiciennes ultimes de Jean-Do pataugeaient dans des algorithmes foireux, Louise hésitait dans la description de son futur mari que, faute d’espoir local, elle envisageait de diffuser sur un site de rencontres. Caro, elle-même, n’était plus très sûre de l’efficacité des conseils prodigués par le dénommé Ovide dans son fameux Art d’aimer.
Quel soulagement.
Le Colonel se perdait dans les méandres d’un grand fleuve d’Asie, se prenait les pieds dans le calendrier des moussons, moyennement quoi il en ressortait tout trempé. Leslie se paumait dans l’inventaire des pays appartenant encore au Commonwealth, les fonctionnaires du Foreign Office aussi, surtout depuis que De Gaulle avait proclamé : « Vive le Québec libre ! »
C’est vous dire dans quel état de bienheureuse confusion nous baignions en cet après-midi finissant.
Cher Romain, sois tranquille, il n’est pas question d’y remédier dans un avenir prochain.
Il semblait bien que Georges aussi s’était mis au diapason, il avait apporté quelques fantaisies dans la préparation de nos dry-martini… on s’y faisait bien…
Episode 210
Babioles au clair de lune
Pas d’hostilité en vue. Les mauvais coucheurs sont couchés. C’est l’avantage de la nuit.
A part pour les gens dont c’est le métier ou le tour de garde. Comme les pompiers, les strip-teaseuses, certains poètes ou les gardiens de phare avant l’épidémie d’automatisation des feux qui les a obligés à rentrer chez eux au lieu de goûter la tranquillité d’une solitude baignée par l’océan et les étoiles (par temps clairs). Les astronautes eux ne s’arrêtent pas pour autant de tourner, les jours et les nuits doivent un peu se mélanger. Ils feront les comptes plus tard.
Bienvenue au Phare. Les barmaids sont jolies et de bonne humeur, les barmen sont beaux et de bonne humeur. La musique est enjôleuse, le DJ est sous contrôle au cas où il se laisserait aller à quelque programmation hirsute. La playlist est sous la direction de Leslie qui, en tant qu’Anglaise, copine des Rolling Stones et de Marianne Faithfull, devrait en tirer le meilleur. Quand même, elle n’a jamais entendu de slow italien. Adriano Celentano, Claude Barzotti ne lui disent rien. Nobody is perfect.
Caro a embrassé Jules. Ou l’inverse. Ou les deux. Louise de V errait d’un siècle à l’autre. Le Colonel avait ancré sa jonque au bar, côté Ouest, pas loin de l’embouchure…
On tira au sort celui ou celle qui demain matin passera à la boulangerie collecter les croissants tout chauds sortis du four pour le petit déjeuner…
La nuit finissait…

