Chroniques Créations

Le Bar de la plage – Episodes 135, 136 et 137

Episode 135

L’improbable probabilité d’une explosion nucléaire

Hier. Le ciel était bleu, bleu-clair fixe ; la mer aussi était bleue, bleu-intense fixe. Tout la nature était fixe, comme si elle venait d’être peinte et qu’elle attendait que la peinture sèche.

Renaud a fait une chanson qui s’appelait “Mistral gagnant”, jolie titre, là c’était plutôt “minéral gagnant” … La végétation était figée, toutes vibrations, toutes traces de vie ou de sentiment, rivetées au sol par la lumière aveuglante d’un soleil sans nuance. Pompéi vitrifiée par les laves du Vésuve.  A moins qu’une explosion nucléaire en altitude n’ait échappé à la vigilance des gardiens de l’arsenal… On pouvait toujours envisager l’hypothèse.

Aujourd’hui.

En fin de journée, on siffla la fin de l’alerte. Le vent, les vagues avaient repris leurs embrouilles, le ciel des gris, des blancs, des flous. On pouvait même imaginer l’arrivée proche d’une averse.

Le bar de la plage affichait les expressions du naturel désordre humain. Line avait oublié de mettre 50% de son bikini, Louise de V portait les alliances de ses deux précédents mariages (une erreur stratégique selon Jules, propre à décourager un éventuel troisième candidat), Caro, en érudite à boucles brunes et minirobe noire, lui fit remarquer que jamais Cléopâtre n’avait mentionné César devant Antoine ; pas davantage Elizabeth Taylor n’avait évoqué ses ex devant Richard Burton, très susceptible sur le sujet dit-on. Jean-Do embrassait une de ses amies, mathématicienne ultime à talons aiguille.

Georges était affairé à la préparation des dry-martini.
Il se mit à pleuvoir.

Le stock de bombes atomiques destinées à liquider prématurément la planète était sous contrôle.

Hypothèse optimiste.

 

Episode 136

Brève incursion vers le haut

La météo ne disait rien qui vaille, ne promettait rien, ne se mêlait de rien. Bref, elle était insignifiante, n’en parlons plus. N’empêche qu’il fallait bien commencer cette journée qui d’ailleurs ne nous avait pas attendus pour entamer sa révolution cosmique quotidienne, heureusement. On approchait de ce moment où tout bascule vers la soirée et aucun signe de destin à l’horizon. En général, on s’en passe très bien – d’autant qu’ils augurent rarement du meilleur, manie contracté dès l’origine – mais cette fois-ci un petit coup de pouce à notre apathie moyenne aurait pu être le bienvenu.

Leslie traînait un spleen profond depuis la nuit dernière où un type prometteur s’était révélé décevant : il n’avait jamais regardé l’enregistrement live du concert Return to Sin City. Tribute to Gram Parsons où Keith Richards & Friends chantent Wild Horses (Pourtant plus de 3 000 000 de vues sur YouTube). Elle dit :

– Ce qu’il faudrait, c’est qu’il nous arrive quelque chose de sublime…

Même prononcée à mi-volume, avec une pointe d’accent West London suggérant une marge d’interprétation possible, la proposition traça un sillon brûlant dans le magma de nos pensées attiédies. Quelque chose de sublime… Une journée avec quelque chose de sublime… Attirant… Effrayant… Irrésistible… Mais à quoi cela pouvait-il bien ressembler ? On avait tous plus ou moins une vague idée du sublime mais, pour être honnête, il faut avouer que tout cela restait moyen, pas tout à fait à la hauteur de ce qu’on peut attendre du sublime… Beauté sublime, air sublime, action sublime, amour sublime, geste sublime, phrase sublime ; on avait beau chercher, rien de tout ça n’existait dans la panoplie terrestre… Une fille sublime, à la rigueur.

Le temps passait, le jour s’amenuisait sans que rien de sublime n’apparaisse.

Georges préparait une rangée de dry-martini.

Finalement, le sublime est désespérant.

 

Episode 137

Diverses spéculations et controverses sur l’origine de l’amour et autres passions

Les mouettes jacassaient en bande comme une chaîne d’infos en continu.

Au bord de l’eau, l’ami Pierrot le fou d’amour faisait chanter son saxo – des intonations à la Stan Getz dans sa période bossa nova. Leslie rodait pas loin de là… Sans doute l’influence magique des poètes et des musiciens sur l’âme des filles.

Même Pascal a calé sur le sujet. “Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas”, eh oui.

Tout pour agacer ce raseur de Platon. Caro, érudite classique à boucles brunes, est d’accord :  avec son rationalisme à tous crins, son vrai, son juste tout desséché, etc.,  il a embrumé plus d’un dîner et endormi les belles Athéniennes. A son Banquet tout le monde était parti avant la fin.

Rives du Danube (les grands fleuves ont toujours leur mot à dire) : des psychanalystes viennois émoustillés par les charmes de leurs servantes, nièces, cousines et autres galantes, proclamèrent que dans cette histoire “tout était sexe”. Un peu rapide, non…, même si Leslie reconnaît qu’il y a du vrai là-dedans. Louise de V soutient l’hypothèse, mais ajoute que tout est aussi question de personne et de dosage. C’est vrai qu’à Versailles, époque grand siècle, Pompadour, du Barry, Régence et soupers fins, les choses étaient souvent très emmêlées… Tout le monde s’y perd. Et puis Dieu créa la femme et Brigitte Bardot , évidemment tout recommença.

Les mouettes persistaient à s’engueuler. Notre ami Pierrot le fou d’amour poursuivait son rêve de note bleue. La rattraperait-il un jour ?

Devant la première ligne de dry-martini, Line dit :

– Marivaux a écrit Les jeux de l’amour et du hasard, alors…

Elle semblait moins triste que d’habitude quand elle était amoureuse, elle était drôlement jolie quand même… Jean-Do embrassait (encore) une de ses copines, mathématicienne ultime à talon aiguille : la logique attendrait bien encore un peu…