Chroniques

La Roque d’Anthéron 2023 – Les Concertos de Beethoven et l’Électro – Le Triomphe des Femmes

2023 sera dans l’histoire du Festival de Piano, l’année où est apparue l’Électro.

Intercalée entre les Concertos n° 5 et 4 de Beethoven, cette première soirée offre l’opportunité de découvrir les « Grandbrothers », fers de lance de l’Électro.

Grandbrothers : « Late Reflections » Piano et Musique Électronique

Ce groupe de deux est composé d’un pianiste Erol Sarp et d’un ingénieur-concepteur de logiciel Lukas Vogel. C’est à ma connaissance la première fois que je vois un ingénieur représenter la moitié d’une formation musicale.

Le pianiste joue du piano, tandis que sur son ordinateur l’ingénieur joue avec les notes. Grâce à des dispositifs mécaniques qu’ils ont eux même conçus, ils tirent des effets singuliers.

Un concert donné dans la cathédrale de Cologne leur a permis d’enregistrer le disque « Last Reflections », salué, bien sûr, par la critique.

Peu habitués à ce genre musical, nous sommes venus, curieux d’écouter ce que les spécialistes musicaux décrivent comme « une opération à cœur ouvert sur un grand piano ».

Le concert débute à 21 h 10 dans l’immense auditorium du Château de Florans, qui peut effectivement évoquer une cathédrale de verdure ; la température est tombée à 30°,

Les cigales s’en donnent à cœur joie.

Les artistes attaquent leurs premières notes, avec 3 effets quasi immédiats :

1 les oiseaux s’envolent, et quittent les lieux : ils ne reviendront pas.

2 les cigales, stupéfaites, arrêtent leurs chants

3 devant la puissance des basses, les mal entendants, chanceux, retirent leurs appareils acoustiques, ce qui rend leur écoute plus confortable. Tant pis pour ceux qui ont conservé une ouïe de qualité…

Le son atténué, je persiste à écouter le concert, toujours porté par l’espoir de découvrir de belles choses.

Nous avions écouté sur « You Tube » un extrait de leur musique. Avec un son maîtrisé, il nous avait semblé déceler quelque chose de planant, pas désagréable à écouter quelques minutes.

Malheureusement la techno reste la techno et la ligne mélodique reste d’une affligeante uniformité, avec la répétition à l’infini des mêmes notes, le tout noyé dans une puissance sonore insupportable.

Nous ne serons jamais des adeptes de ce que certains qualifient de musique.

Et nous regrettons que les organisateurs ne nous aient pas concocté une bonne soirée de piano jazz, il y a tellement de grands artistes, qui auraient ravi une assistance beaucoup plus dense (seulement ¼ des 2000 places étaient occupées).

Au bout d’une heure, l’ingénieur ne trouve rien de mieux que de pousser à fond les basses. Un torrent de décibels nous engloutit. Tout mon corps se met à vibrer, sous l’effet de la puissance des ondes acoustiques. Quelques réminiscences du cours de physique de terminale me font envisager la destruction irrémédiable de certains organes, le cœur par exemple.

Dans un soudain réflexe de survie, nous quittons courageusement l’amphithéâtre de plein air, bientôt suivis par d’autres curieux/déçus.

Ce concert aura tout de même fait quelques heureux parmi un public jeune et semble-t-il, dépourvu de culture musicale classique.

 Le Concert d’Ouverture Chamayou, Bringuier et l’Orchestre de Chambre de Paris : Un Empereur en Exil

Grosse affiche le 20 juin pour ouvrir le Festival 2023, le 5ème concerto de Beethoven, dit l’Empereur, et sa 4ème symphonie.

Au piano Bertrand Chamayou, avec toute sa finesse et sa délicatesse.

En mise en bouche, l’orchestre interprète une ouverture de Mayer, compositrice allemande peu connue du début 19ème siècle.

Nous découvrons une œuvre agréable, bien jouée, qui rappelle celles de Rossini : un compliment.

Ensuite Chamayou attaque en douceur le 5ème concerto, que nous avons tous en tête tellement nous l’avons écouté, dans de grandes interprétations, dont celle de Lars Vogt, ici-même, avec le même orchestre. Cela avait été un pur ravissement.

Mais là les choses se gâtent. Chamayou joue dans son style empreint de délicatesse, tandis que Bringuier fait parler la puissance, faisant jouer l’orchestre en surrégime permanent. Les violons n’arrivent plus à suivre, les silences sont sacrifiés, on n’entend plus que les cuivres et les basses.

Bringuier va trop vite, il asphyxie l’orchestre, ainsi que le soliste qui en perd ses moyens.

Et je me prends à évoquer le regretté Lars Vogt, qui savait magnifier l’œuvre de Beethoven et tirer la quintessence de ce même orchestre de Chambre de Paris.

Insuffisance de préparation, pas ou peu de répétitions, la déception fut grande.

Chamayou et Bringuier saluant à l’issue du concerto l’Empereur

Dans la 4ème symphonie, on retrouva hélas les mêmes défauts, Bringuier étant à nouveau pris en excès de vitesse.

Effectivement Beethoven suscite la puissance, mais encore faut-il bien maîtriser sa musique pour en tirer le meilleur parti.

Chamayou put se rattraper en jouant seul une pièce pour piano en Do Majeur de Haydn, le maître de Beethoven, et Bringuier nous gratifia en bonus d’un scherzo extrait du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn, parfaitement exécuté, ce qui démontra à postériori qu’il aurait pu diriger un excellent concerto, s’il avait mieux dosé sa prestation.

Malgré mes réticences le public se montra ravi, applaudissant même à contretemps et entre les différents mouvements du concerto. Les temps changent et la culture musicale aussi !

Samedi 22 Juillet : Concerto n°4 et 7éme Symphonie de Beethoven

Anne Queffelec, et le Hong-Kong Sinfonietta dirigé par Yip Wing-sie

Le Triomphe des Femmes

Pour la deuxième fois à La Roque, nous avons le privilège d’écouter Anne Queffelec (en 2019 dans le 27ème concerto de Mozart).

Et comme son prénom ne nous l’indique pas, Yip Wing-sie, est une cheffe d’orchestre.

Cet orchestre est une pure merveille, sous l’autorité de sa cheffe, qui communique excellemment avec la pianiste.

L’enchantement démarre dès les premières notes du concerto, celui qui a ma préférence, et que j’écoute le plus.

Anne Queffelec maîtrise totalement son sujet, et il faut voir ses mains fines et nerveuses, suspendues au-dessus du clavier, quelques secondes, faisant apprécier les silences de Beethoven, et attaquer soudain un mouvement.

Que d’émotion ! Quelle beauté !

Yip Wing-sie met en valeur la pianiste, qui peut s’appuyer sur un orchestre complice, qu’elle met de facto en valeur à son tour.

Le partage est total, la symbiose parfaite, pour le plus grand plaisir de l’auditeur.

Si la Perfection existe en musique, nous venons d’y accéder en cette belle soirée d’été.

En bonus, AQ nous distillera un menuet en sol majeur de Haydn, un bijou.

Yip Wing-sie et Anne Queffelec saluant après leur brillante interprétation du 4ème concerto de Beethoven

En deuxième partie, l’orchestre joue la 7ème de Beethoven.

Dès les premières mesures, la magie opère à nouveau. Puissance pour l’ouverture et le final, douceur et mélancolie pour le 2ème mouvement, tout y est, et je retrouve mon âme d’enfant quand mon père nous la faisait écouter dans la cuisine familiale à Jolimont (sur les hauteurs de Toulouse).

Quand le rythme devenait rapide, nous prenions plaisir à imiter le chef d’orchestre, et nous enregistrions à tout jamais dans nos têtes ces merveilles de la musique classique.

C’est une fin de concert en apothéose, qui vient sceller le triomphe de 2 femmes, la pianiste Anne Queffelec, au sommet de son art, et la cheffe YipWing-sie, pour la maîtrise parfaite de sa direction d’orchestre.

Dimanche 23 Juillet : David Kadouch et le Sinfonietta Concertos n°1 et 2 de Beethoven

Nous allons terminer notre cycle Beethoven par les 1ers et 2èmes concertos.

En scène, une jeune pépite du piano français, en la personne de David Kadouch, qui n’a pas encore atteint ses 40 ans. Très à l’aise, cool comme on dit aujourd’hui, il va tirer le meilleur de ces 2 concertos les moins connus du génie allemand.

Il peut s’appuyer sur le Sinfonietta de Hong Kong, toujours aussi bien dirigé par la cheffe Yip Wing-sie.

Le moins joué des deux est paradoxalement le 2ème, composé 3 ans avant le premier, et composé dans la tradition mozartienne.

C’est donc fort logiquement que l’orchestre débutera par le second pour terminer par le premier en deuxième partie…

Yip Wing-sie et David Kadouch ovationnés à l’issue de la 2ème partie

 Il faut dire que le refrain du 3ème mouvement, un Rondo espiègle et brillant est joué souvent et que nous l’avons dans l’oreille.

David Kadouch parachèvera cette belle soirée en offrant deux morceaux en bonus, un court morceau de Fanny Mendelssohn et un nocturne de Chopin.

A noter en introduction, la création européenne d’une œuvre du compositeur chinois D. Lo, né en 1986, et présent dans l’auditorium.

Intitulée Autumn Rhythm II, elle ne nous laissera pas un souvenir impérissable. A part le percussionniste qui s’en est donné à cœur joie, l’absence de mélodie et d’harmonie écorchait les oreilles. C’était plutôt un opus pour scie, égoïne et perceuse !

On n’en saluera que plus la qualité de l’orchestre capable de jouer ce type d’œuvre que la critique professionnelle ne manquera pas d’encenser, sous prétexte qu’il faut tout écouter et avoir l’esprit ouvert…

le 23 juillet 2023

Les Muses

La Roque d’Anthéron

Photos RS