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Chroniques virales – 22, 23, 24

Chapitre 22

8 avril 2020

James soupira :

– Poor Boris !

Il ne l’aime pas ce blond rond, toujours tignasse au vent. Il ne l’aime pas. Lui et ses idées.

Il déteste encore plus ce sentiment envahissant sa tête. Il pense mal. Au fond de lui, il se dit que c’est un peu « bien fait pour lui ». Qu’il l’a cherché.

Fanfaronnant, bravache, serrant des mains sans cesse, même dans les hôpitaux.

Écarter le plus vite possible cet esprit de vengeance et combattre les idées seulement. Il essaie de remonter ce puits sans fond. Sa raison doit remonter à la surface des marigots grégaires.

Européen convaincu, sa femme est française, lui irlandais, leurs trois enfants… il ne sait plus avec ce brexit, quelle nationalité il faudrait qu’ils aient.

James est inquiet bien que son épouse et lui soient diplômés, cultivés, sportifs. Ils se pensent intégrés.

Une fois par mois ils se retrouvent avec une douzaine d’amis dans un pub londonien. Alors, les idées fusent, l’humour est au rendez-vous, l’amitié profonde et indéfectible, palpable.

Pourtant il y a quelques mois au détour d’une conversation la jolie Diana lança d’une voix neutre, blanche, cette phrase  destructrice :

– Oui mais vous, avec vos trois enfants, vous profitez bien du pays.

Le silence se fit. Le sol se déroba. Les autres convives baissèrent les yeux. Les certitudes s’envolèrent en un instant. Sa femme ressentit dans sa poitrine l’agression de l’injustice. James faillit exploser de colère. Il se contint. Comment des amis, si proches, à qui l’on confiait tous nos bonheurs, nos espoirs, nos angoisses, pouvaient-ils avoir ces pensées trop longtemps refoulées ? James et Julia au même moment se sentirent, juifs, homosexuels, migrants, arabes, noirs, handicapés. Pas acceptés. Juste tolérés.

Julia explosa de rire. Son visage inondé de larmes était secoué de spasmes. Visiblement le rictus de ses lèvres empêchait les mots d’affleurer. Aucun ne sortit. Comment aurait-elle pu exprimer ce sentiment indicible ?

Brusquement elle se figea. James regarda cette madone à la lèvre ourlée d’un grain de beauté, balancer quelques billets sur la table, réunir ses affaires, le fixer, lui prendre la main, la serrer fort, et l’entraîner sans un mot hors de ce lieu d’effroi.

Il en voulait à Boris.

Ce menteur avait sillonné le pays avec son bus rouge répétant sans cesse que le Royaume-Unis verse 350 millions de Livres par semaine à Bruxelles, plutôt que de financer le système de santé. C’était un mensonge énorme. Le Brexit l’emporta et il fut conforté, plus tard, comme Premier Ministre.

Il n’en voulait pas à cette amie pour sa phrase. Il comprenait.  Le système était tellement différent d’avec la France. Les gardes d’enfants étaient impossibles pour des revenus modestes. Leurs prix prohibitifs confinaient les femmes au foyer.  En y ajoutant d’autres mesures, tout autant discriminatoires, comme les emplois à zéro heure, ou les indemnités de chômage réduites – ainsi les chiffres du chômage devenaient acceptables mais ne reflétaient pas la réalité.

Il comprenait la frustration de cette amie qui, ce soir-là, avait trouvé deux boucs émissaires. Il comprenait moins l’attitude des autres. S’exclure d’un groupe est la chose la moins aisée pour un cerveau humain. Le faire c’est comme faire fi de l’instinct de survie.

James et Julia devaient vivre avec cette angoisse du lendemain. En plus d’une expulsion, il y avait ce virus qui leur mangeait le cerveau. Julia, méditerranéenne enflammée, avait juste envie que Boris en crève et avec, Nigel Farage si possible !

James trouvait qu’il fallait demeurer digne et pensa que son Premier Ministre était certainement dans la souffrance. Il eut de la compassion. Après une discussion avec sa femme, il la ramena vers des sentiments plus humains. Après une bouteille de Midleton 12 ans d’âge, elle se ravisa. Il devait bien y avoir des  gens proches du Premier Ministre dans l’espérance. Elle imagina leurs angoisses. Finalement, elle se convainc que  seuls les faits pouvaient combattre le mensonge.

Tous deux souhaitèrent qu’il sorte vite de l’hôpital pour porter le combat sur le plan intellectuel et ainsi convaincre leurs amis.

Six mois plus tard, Le Premier Ministre fut accusé, par les médias, d’avoir simulé la maladie pour masquer son incompétence. La radio venait d’apprendre à Julia qu’il  était à 69% d’opinions favorables.

Julia scruta la barre magnétique où étaient rangés ses couteaux de cuisine, elle caressa du dos de la main le métal froid du grand hachoir.

Le 3 janvier 2021 les bobbies arrêtèrent in extremis une femme munie d’une arme de poing à deux rues  du 10 Downing Street. Sous son masque chirurgical, ils identifièrent une femme à la double nationalité connue des services de police pour son appartenance à une cellule européiste.

 

Chapitre 23

8 avril 2020.

Le miroir de la salle de bain me renvoie l’image d’un inconnu. Je ne me reconnais plus. Il y a dix minutes que je  suis réveillé. France Info jingueule qu’il est 11h.

Mal dormi. La bouche sèche. J’ai l’impression que je vais bientôt souffrir d’une nouvelle maladie. Le syndrome du jet-lag en milieu confiné. Je vais me faire prescrire de la mélatonine à 5mg.

L’avantage, ce sont des nuits Nikkei et des siestes Dow Jones.

Je commence à avoir de drôles de réactions. Je tire la langue.

Le miroir me renvoie l’image d’Albert Einstein, cheveux trop longs, hirsutes.

Mon regard se porte sur l’entièreté de mon corps. Je découvre avec effroi que la tête du physicien est posée sur le corps de Bouddha. Trois semaines à lire Padmasambhava, c’est comme si j’avais décidé de changer de sport. Passer du vélo au sumo allait m’être fatal en cas d’infection. Il ne faut surtout pas dépasser 25 d’IMC pour avoir une chance de survie, disent-ils à la télé.

A gauche de mon pied gauche, non que je sois maladroit, ma balance me fait un clin d’œil aguicheur. N’étant pas un garçon facile, je ne monte pas dessus, de peur qu’elle me dise :

– S’il vous plaît, une seule personne à la fois ! »

Je ne veux pas savoir mon poids. En pleine guerre j’aurais l’impression de faire du marché noir et d’avoir mes nuits encore plus perturbées par la voix de Jean Gabin me hurlant :

– Jambier, Jambier, 2000 euros, Jammmmbier.

Il faut absolument faire quelque chose pour ces cheveux. Me moquant de moi, à voix basse, imitant ma femme, je chuchote en passant mes mains autour du visage

– Comme ça dans un mois, je pourrai me faire faire un joli carré court chez Dessange.

J’éclate de rire. C’est bon. Depuis trois semaines je sens cette petite angoisse, sorte de boule de laine grise, molle, au fond du ventre. Un effet nocebo certainement.

Il faut trouver une source d’occupation. Avec ma chérie ce serait mieux. Faire des choses créatives à deux.

C’est ainsi que l’idée me vient. Oui. Nu dans ma salle de bain.

Bouddheinstein vient d’avoir l’idée du moment.

Je propose à mon amour un nouveau jeu. Elle me regarde interrogative. Je vois dans son regard plissé une interrogation malicieuse :

– Tu t’es fait livrer des menottes?

– Non point. Je te propose d’écrire le début d’une histoire en quelques lignes et à moi de trouver la chute, l’épilogue, le dénouement.

– Oui mais  je n’ai pas ton imagination. Ma répartie n’est que verbale se plaint-elle.

– Pourtant tu écris avec concision et esprit de synthèse. Tu me domines largement et cela compensera ton manque.

– Nous pouvons aller plus loin dit-elle

– Comment ça ?

– Nous écrirons chacun une fin et nous comparerons proposa-t-elle.

– Bonne idée.

– Essayons ! Tu n’es  pas obligé de rester nu, à moins que tu ne te sentes plus fécond l’esprit à l’air libre, si on peut dire …

– Déjà les coups bas rétorquai-je en enfilant un peignoir.

Nous passâmes le reste du confinement à jouer.

Des heures durant.

En fait elle ne manquait absolument pas d’idées et finissait toujours remarquablement mes propositions. Au début, les fins étaient convenues. Il y avait de la retenue. On sentait un brin de pudeur envers des dénouements plus piquants, mordants.

A chaque proposition d’histoire, elle laissait s’exprimer une onomatopée différente selon la complexité. Les « oh » étaient la marque d’une esquisse de suite.

Les « ah » brefs montraient une interrogation.

Les « hu » aspirés comme un sifflement démontraient que la réflexion serait longue et le dénouement ne germerait pas si facilement.

Les houlalalala suivis d’un petit claquement de langue sur le palais signifiaient qu’elle devrait faire tomber des tabous, sortir de sa zone de confort.

A chaque fois, nous comparions nos chutes. Ce petit jeu nous transportait dans des questionnements plus personnels, plus intimes. Au fur et à mesure que le jeu avançait, nous nous aperçûmes de nos différences. Bien sûr nous les connaissions. Mais par le biais de l’écriture, elles devenaient évidentes.

Quelquefois je l’entendais pester. Hurler en ne trouvant pas le mot juste, s’injurier en disant qu’elle était une naine de l’écriture et que plus jamais elle n’émettrait un avis négatif sur Marc Levy. Elle promettait d’aller à Lourmarin sur la tombe d’Albert Camus s’aguerrir aux mots comme d’autres vont à Lourdes se guérir des maux.

Nos soirées deviennent moins austères. Nous faisons nos pages d’écriture. Chacun à un bout de table, nous pouvons nous observer presque en cachette tellement l’autre est dans son monde, dans un autre temps. Je l’entends pouffer à la sortie d’un point d’interrogation, le stylo claquant le point d’une rage  conquérante, dominant le sujet.

Les yeux au plafond, je pressens que le petit bruit de stylo entre mes rangées de dents, l’énerve au plus haut point. Et dire qu’il faudra, un jour désinfecter les stylos, ou pire sur ordre des scientifiques, les brûler en une sorte de Fahrenheit 451 !!

Une fois, en guise d’introduction, je démarre l’histoire avec l’extrait d’un article publié en 1832 dans le journal L’Ami des religions durant une terrible épidémie de choléra  .

Que va-t-elle trouver ?

« Il est incroyable, en effet, que la France soit le seul pays au monde où l’idée des expiations et des prières publiques ne soit point venue à la masse du peuple, ni au gouvernement. Que dire en effet d’un gouvernement et d’un peuple qui, en présence de la mort, ne savent chercher de secours que dans les pharmacies, et auxquels la religion n’inspire rien de ce qui peut relever les esprits de leur abattement, et donner à l’âme un peu de ressort et de confiance ? »

Elle termine l’histoire par un rocambolesque raccourci dont je ne connais pas le fondement précis :

Et c’est ainsi qu’en 1832, en Grande-Bretagne est lancée la première pétition féministe présentée au Parlement en 1851 demandant le droit de vote des femmes.

Au passage ce pauvre curé avait fait de bien jolies rencontres et avait manqué d’être défroqué.

Elle est vraiment douée.

Une autre fois c’est elle qui commence une histoire avec une femme recluse, seule dans le confinement. Sans ami avant l’épidémie, elle sort de l’épreuve complètement déprimée. C’est à moi de terminer l’histoire.

Ma femme lit la fin, relève ses yeux vers moi, me fixe et me dit avant un éclat de rire :

– Tu es complètement taré!

En fait la femme recluse, ayant passé son confinement avec internet comme seul compagnon, s’est aperçue qu’elle souffre d’une psychose assez rare en France mais très développée au Japon.

Elle est hikikomori. Ce syndrome fait des ravages dans l’archipel. Ces personnes refusent la société. Elles ne travaillent pas, ne font pas d’études, ne sortent pas, ne rencontrent personne, sans pour autant souffrir d’une quelconque maladie mentale.

Une fois la crise passée, elle se retire dans les Cévennes pour faire une cure avec un groupe souffrant du même trouble. Elle rencontre le grand amour avec Serge, chevrier, ayant perdu le sens social à force de philosopher avec des chèvres. La littérature scientifique du siècle dernier rapportait ce genre de comportements chez des légionnaires. Pas pour des raisons philosophiques, mais peut-être à cause de  ruptures affectives brutales.

Je lui accorde ce « Tu es complètement taré » et comprends ma psy qui veut absolument que je lui reparle de mon père.

Ma femme s’étouffe quasiment de rire, et me regarde en se vissant l’index sur la tempe.

Chaque jour est une source de découverte de l’autre.

Un vrai bonheur, une jouissance intellectuelle.

A la fin du confinement nous avions appris au moins une chose :

Nous avions des ressources pour vieillir ensemble sans nous ennuyer.

 

Chapitre 24

Avril 2020

Cela fait quelques mois que j’ai repris du service dans un hôpital de bord de mer. Une place dans un service de radiologie, IRM, scanner. Il y règne une belle ambiance. Peut-être que l’air iodé et ce soleil catalyse la joie de vivre. En tout cas je retrouve, comme à mes débuts, une humanité dans cet hôpital public. Il y a quelques mois, j’ai quitté un cabinet privé, la rage au ventre. Les patients étaient devenus des clients. C’était de l’abattage. Les relations avec les malades étaient, de fait, désastreuses. Heureusement, tout ça est derrière moi. Ce n’est pas une nouvelle vie. Simplement la continuité. Mon chemin.

Ce soir je marche d’un pas rapide, descendant des hauteurs de La Ciotat, je longe le port par le quai François Mitterrand ; le soleil couchant, dans mon dos, illumine l’église Notre-Dame-de-l’Assomption d’un topaze ambré. Je souris, pensant que j’aimerais bien trouver un blush de cette teinte.

Son esprit s’envole … Au loin elle voit  les chaînes des ancres des bateaux à quai tombant dans la mer  noire. Elle pense que son ami lui a déjà parlé d’une photographie où des enfants plongent après avoir escaladé ces énormes maillons faisant comme une gourmette portée en proue. Elle se dit qu’il faudrait qu’elle recherche ce cliché sur internet. Elle ne se rappelle pas le nom du photographe. Renis,Ronis…Willy Ronis c’est ça. Il est, comme ça, son ami, qu’elle voit beaucoup moins depuis que sa vie a bifurqué. Il a toujours une anecdote sur toute chose, sur des lieux, des gens. Il en est exaspérant quelquefois. Mais c’est son ami, alors…

Elle presse le pas. Les magasins sont fermés. Le quai déserté. Elle ferme les yeux et se dit comme quand elle était petite : grave cette image, garde-la dans ta tête. Elle fait cet exercice chaque fois qu’il y a une chose étonnante, belle, émouvante, cocasse. Le mot pour cette image est : unique.

La situation l’est. Le silence, les eaux noires, cette église glorifiée par le soleil, l’isolement dans un lieu d’habitude si bruyant, si mouvant d’une foule estivale par habitude, rendent l’instant unique.

Clic. L’image est dans son cloud neuronal. Les intelligences artificielles ont encore beaucoup de pain sur la planche. Il leur faudra du temps pour recréer l’émotion de nos sens entremêlés Les puces électroniques vont se gratter encore longtemps.

Elle reprend ses esprits :

Mon cœur de sportive contrôle facilement l’accélération de mon pas.

Le pays traverse un moment grave, la majeure partie de la population est enfermée, la plupart ne peut travailler.

Et comme chaque soir le silence est rompu par des applaudissements venant des balcons. Des encouragements aux services de santé, professeurs, infirmières, manipulateurs radio, sans oublier les aides-soignants, les gens de services, les directions, les secrétaires, les agents d’entretien, les laborantins et les pharmaciens. J’ai juste l’impression de faire mon travail. Ces encouragements m’en rappellent d’autres, ceux aussi exaltants des lignes d’arrivée. Cette pensée seule me fait prendre quelques pulsations supplémentaires.

J’entre dans le hall de l’hôpital qui ressemble aux 195 derniers mètres du marathon Nice-Cannes. Des barrières de cheminement pour ne pas mélanger les secteurs normaux avec les secteurs Covid.

Mécaniquement je m’alcoolise les mains avec précaution, méticuleusement, enchaînant tout au long de la nuit de douze heures maints changements de blouse, tunique, charlotte, gants, lunettes. Des gestes professionnels cadencent ma garde. Ici on ne fait pas n’importe quoi.

Comme l’électricité, la radioactivité,  le virus impose des procédures contraignantes.

Je retrouve mes collègues. Tous méconnaissables derrière leurs masques verts ou bleus. Mais leur voix les identifie. A présent nous sommes une équipe. Je pense que ce n’est pas la guerre. J’appréhende bien ce que je vis mais j’ai du mal à mettre des mots sur mes ressentis et à les transcrire simplement. Mon ami l’écrirait ainsi :

« Ici point d’odeur de poudre, peut-être celle du curare et des désinfectants.  Ils sont toute autre chose que des combattants, ils tentent de remettre de l’ordre. La guerre est l’entropie du chaos.  La vie est un combat terrible entre ordre et chaos. Les malades pourraient être des combattants, ils ne sont que le champ de bataille de forces invisibles. Le personnel médical fait le job comme il le fait d’habitude sauf qu’en ce moment, la population compte sur lui comme en des bigoteries. Ce ne sont « que » des soignants, des humains. »

Une petite pause en plein milieu de la nuit et là c’est une débauche de pizzas, de cake aux olives, de gâteaux, et même des sushis qui viennent nous rappeler que dehors il y a encore une vie, des gens qui donnent, qui nous nourrissent. Trop ? Plus que de raison ? Ont-ils peur que nous nous arrêtions faute d’énergie ? Peut-être que les gens seront plus solidaires avec nous quand sera à nouveau venu le temps de manifester pour sauver des lits d’hôpital, des services, des maternités et pour la reconnaissance de notre travail. Les citoyens accepteront-ils de remplacer les gâteaux par des impôts ? Il faudra peut-être choisir entre un abonnement Netflix et une couverture médicale qui garantira masques et respirateurs ….

Pour le moment elle se sent utile. Cette reconnaissance, lui donne une vraie force. Une confiance.

La pause s’achève sur des rires en regardant des vidéos délirantes sur l’application TikTok.

Cette nuit est active. Au bout de douze heures de scanners pulmonaires de patients en détresse respiratoire, elle remarque son haleine du matin confinée des heures durant, cette odeur lui restera en mémoire, elle aussi. Elle se douche, se change et repart chez elle, le soleil toujours dans le dos. Le Cap de l’Aigle est violet, l’eau translucide, calme, apaisée.

Elle a hâte de rejoindre son amoureux. Avant de se câliner il faudra prendre des précautions encore et encore. Elle transporte du risque chez eux. Elle se sent déstabilisée par l’angoisse de la transmission. Elle serre les dents et remercie celui qui partage sa vie de supporter ce risque.

Regardant le haut du parc du Mugel, elle se demande quand ils pourront trottiner sans contrainte,  rejoindre la Principauté de Figuerolles, se baigner, grimper  le Lion de la Calanque, plonger à nouveau au milieu de la foule des baigneurs avant de déguster un mojito dans une ambiance jazzy, le soir sur la terrasse de Chez Tania.

Quand ?

Son téléphone vibre. Son vieil ami vient de lui laisser un message. Elle l’ouvre. Il ne change pas. Il a le don des mots justes au bon moment. Avec une simple trouvaille littéraire, il nous remercie pudiquement, toutes et tous, du travail que nous faisons.

– Voici un petit texte d’Henri Miller relatant sa rencontre avec Michel Simon.

Elle connaît Michel Simon. Le film Le vieil homme et l’enfant l’avait bouleversé.

Au début de février, après un bref séjour dans cette morgue à ciel ouvert qu’est Monte Carlo, où nous avons pensé périr d’ennui, nous nous sommes installés dans la grande villa de Michel Simon à La Ciotat. Malheureusement, lorsque nous sommes arrivés le mistral soufflait. Il n’y avait que la cuisine, où nous prenions nos repas avec le jardinier et sa femme (Dieu les bénisse !), qui fût à peu près chaude. Néanmoins, La Ciotat avait une beauté sauvage et odorante qui nous rappelait étonnamment notre Big Sur. Et dans la calanque proche, quand le vent tombait on était divinement bien.

Un second message arriva.

– Je te souhaite une journée divine. Merci pour tout. Prudence. Bises.

Plus tard dans ce moment entre chien et loup de mes rêves, ivre de fatigue, mon corps ne faisant qu’un avec celui que j’aime, les images de Big Sur se mêlant au parfum délicat de son double, je sus que  j’étais divinement bien. Utile aux autres.