Un quart de siècle : belle longévité que celle de cette revue académique publiée annuellement et sans interruption depuis 1995. Une revue au format A4, 272 pages copieusement illustrées en noir et blanc, avec un cahier de reproductions en couleurs, autant dire que chaque numéro ne manque pas de matière. Basée en Martinique, dirigée par le professeur Dominique Berthet, la revue consacre traditionnellement ses dernières pages aux créateurs de la Caraïbe élargie. La plus grande partie du volume est néanmoins occupée par des développements autour du thème de l’année.
Le n° 25 est consacré au Montage et à l’assemblage. Comme à l’ordinaire, le directeur a fait appel pour les contributions qui ouvrent le numéro à des personnalités connues de la recherche en esthétique, et, s’agissant de montage, il est inévitable que certaines d’entre elles se penchent sur le cinéma. Dominique Château rappelle à ce sujet que le terme « montage » a été employé pour la première fois par des techniciens français du cinématographe avant d’être repris aux alentours de la révolution de 1917 par le Russe Lev Kouléchov qui est considéré comme le premier théoricien du cinéma.
Mais au-delà du septième art, qu’est-ce qui distingue le montage de l’assemblage ? Il faut ici rappeler, comme nous y invitent Marc Jimenez et Dominique Berthet, la polémique qui a bousculé le monde des idées peu avant la deuxième guerre mondiale, avec, pour simplifier, d’un côté Lukacs, pour qui le montage n’est rien qu’une fantaisie des mouvements d’avant-garde, incapable de véhiculer la vision cohérente réclamée par la Révolution, bref un simple assemblage. Ses adversaires – Adorno et d’autres – défendent au contraire, avec des nuances l’idée que les œuvres relevant de « l’esthétique de la non-cohérence » (expression forgée par Jean-Marc Lachaud) comme les collages, montages, etc., témoignent de la crise du sens caractéristique de la modernité et possèdent de ce fait une authentique puissance critique… du moins tant que subsiste leur effet de choc.
Pour en revenir à la distinction assemblage/montage, on retiendra pour simplifier que le montage, s’il part de l’hétérogène, demeure « téologiquement orienté ». L’exemple type étant alors le film commercial dans lequel le montage disparaît aux yeux des spectateurs. Tandis que l’assemblage joue sur la juxtaposition, la superposition pour déstabiliser le regardeur. L’assemblage serait donc le lieu privilégié d’où peuvent émaner les chocs caractéristiques de l’œuvre d’art contemporaine.
Lieu privilégié mais évidemment pas exclusif. Il n’en demeure pas moins que si le choc exercé sur les regardeurs devient le critère principal de l’œuvre d’art contemporaine, comme les contributions de la revue nous incitent à le croire, son domaine s’en trouve drastiquement rétréci (combien d’œuvres présentées à la Biennale de Venise ou dans les autres Mecque de l’art actuel satisfont ce critère ?). Quant aux artistes, désormais tenus de se montrer « créatifs », ils n’ont d’autre salut à espérer que dans un renouvellement perpétuel.
Une telle conception de l’art contemporain soulève immédiatement la question de son public. Ou plutôt de ses publics. Le public « averti » n’est pas choqué par Foutain de Duchamp qui n’est plus pour lui qu’un jalon dans l’histoire de l’art. Mais tant qu’un « gogo » mis en présence de l’œuvre emblématique de la modernité réagira par un « Fontaine-Foutaise ! » prononcé, selon sa personnalité, en catimini ou de manière plus sonore, cela sera le signe qu’elle conserve sa puissance de choc et qu’elle demeure donc « de l’art » au sens retenu plus haut. A noter dans ce numéro 25 la contribution de Christian Ruby qui pose le public lui-même comme « montage ».
Si l’on ne saurait rendre compte dans le cadre d’un bref compte-rendu de toute la richesse de ce numéro de Recherches en Esthétique, il faut au moins se pencher sur l’article dans lequel le peintre québécois Bernard Paquet revient sur sa pratique du tournant des années 1990, pratique qu’il situe dans un « mouvement pictural caractérisé par un retour éclectique de la figuration et de la citation ». Car les œuvres reproduites dans l’article sont typiques du procédé de l’assemblage. Concrètement, chaque tableau juxtapose des rectangles représentant des motifs différents et dans des manières différentes, du réalisme le plus cru à l’abstrait, faisant surgir ainsi des « contiguïtés imprévues ». En d’autres termes, il s’agit, selon l’artiste « de mettre des choses ensemble tout en les distinguant ». On est donc bien en droit de parler à son propos d’assemblage. Le résultat tel qu’il le décrit, en mettant en avant les « tropismes réciproques exercés par les composantes », et tel qu’on peut le vérifier d’après les reproductions, fait bien des œuvres de ces assemblages, c’est-à-dire pas seulement des juxtapositions hétéroclites, sans supprimer pour autant l’hétérogène, comme le prouve en particulier ce phénomène, également vérifiable sur la reproduction de Corps à corps, que leurs différentes parties « suscitent souvent des extensions hors cadre de leur perception ».
° °
°
Puisqu’on s’intéresse ici au montage et à l’assemblage, c’est l’occasion de signaler la revue Espace – Art actuel, basée à Montréal, qui se consacre sous la direction d’André-Louis Paré aux « pratiques artistiques de la sculpture, de l’installation ou de toute autre forme d’art associée à la spatialité ». A l’instar de Recherches en Esthétique, les différents numéros d’Espace – Art actuel s’organisent autour d’une thématique principale, souvent originale, par exemple, pour s’en tenir à des numéros récents, l’influence des psychotropes sur les artistes (n° 120, automne 2018) ou le regard porté par ces derniers sur les animaux (n° 121, hiver 2019). La revue, bilingue français-anglais, au format 22 x 28 cm, qui contient de nombreuses reproductions en couleur des œuvres, paraît trois fois par an.