Comme Olivier Py qui, cette année, a fait travailler des prisonniers de la maison d’arrêt d’Avignon sur Shakespeare, Angelin Preljocaj a entraîné à la danse des détenues de la prison des Baumettes à Marseille. Nous avons pu assister à la restitution de ce travail au « Pavillon noir » de la compagnie Preljocaj à Aix-en-Provence. Elles étaient cinq, quatre jeunes femmes et l’autre un peu moins, vêtues d’un pantalon collant et d’un t-shirt, avec aux pieds des chaussures plates, installées derrière des tables de cuisine en alu, sous chacune desquelles un four allumé. Pendant la première partie qui dure aussi longtemps que nécessaire pour préparer « en live » une pâte, puis la façonner en petits biscuits et les mettre dans les fours, on attend que la danse démarre. Ce prologue trouve sa justification en rapport avec le titre de la pièce puisque les gâteaux sortiront du four et seront distribués in fine aux spectateurs (délicieux celui que nous avons goûté).
Les interprètes de Soul Kitchen n’ont commencé à travailler qu’à partir du mois de mars et ce à raison de deux séances hebdomadaires de 2 h 30. Quand on sait le nombre d’années de travail acharné nécessaire pour former les danseurs professionnels, on mesure tout de suite qu’il faut s’attendre à une chorégraphie rudimentaire avec beaucoup d’approximations dans la tenue comme dans les gestes. Ce n’est pas une critique, c’est une évidence. Qui ne voit, en effet, que l’objectif de Preljocaj ne peut pas être ici de produire un spectacle parfait comme il en a l’habitude avec sa compagnie ? Sa démarche est autant expérimentale (jusqu’où est-il possible de conduire en si peu des temps des danseuses novices, même si on les imagine ultra-motivées ?) que sociale. Doublement sociale puisqu’elle s’adresse non seulement aux danseuses elles-mêmes – invitées à se dépasser physiquement tout en découvrant un autre univers – mais encore au public qui est amené, lui aussi – ne serait-ce que fugitivement, le fossé entre la salle et le plateau ne sera pas franchi – à admettre que les personnes emprisonnées par la loi ne sont pas nécessairement différentes de lui, aucun signe apparent ne les distinguant des personnes « ordinaires ».
Et puis, il y a la chance avec laquelle il faut aussi compter. L’une des cinq – qui n’était pourtant pas, renseignement pris, plus formée que les autres – se révèle capable de se mouvoir comme une danseuse. Sans doute ne réussirait-elle pas des figures compliquées mais elle fait ce qu’on lui demande avec l’assurance, la grâce nécessaires, ses gestes sont décomposés, on la sent à l’aise, maîtresse de ses mouvements, elle a un physique de danseuse, alors on concentre son attention sur elle et la pièce devient plus que méritante, agréable. Ce n’est certes pas correct et la présence de cette jeune femme nous rappelle cruellement combien les humains peuvent être inégaux entre eux. Mais la danse, avec ses « étoiles » n’est-elle pas un art qui de toute façon oblige à établir des hiérarchies ?
Soul Kitchen. Chorégraphie Angelin Preljocaj. Assistants Céline Galli, Guillaume Siard. Musique 790, Rossini, Wagner, The Doors. Pour une raison que l’on suppose liées aux règles de l’administration pénitentiaire les interprètes ne sont pas nommées. Au Pavillon noir, Aix-en-Provence, les 20 et 21 juin 2019.