Scènes

 Avignon 2019-I « Architecture » de Pascal Rambert (IN)

Peut-on rêver meilleur spectacle : un auteur célèbre, Pascal Lambert (Clôture de l’amour, créée en Avignon en 2011, etc.), une pléiade de comédiens tout aussi prestigieux, un lieu magique, la Cour d’Honneur du Palais des Papes ? De fait, la découverte du plateau peint en blanc pour la circonstance, avec des meubles tout aussi blancs organisés dans un apparent désordre, les robes longues et fluides des dames, les costumes élégants des hommes, blancs également, installe immédiatement une ambiance de luxe, de calme et peut-être de volupté. Impression trompeuse car les nombreux personnages de la pièce ne cesseront de se déchirer : famille je vous hais. On n’est pas chez les Atrides, bien sûr, mais cette famille s’y entend pour se faire du mal. Moyennant quoi il est faux que l’éducation adoucisse les mœurs puisque tous ces gens-là ont fait de grandes études et sont architecte comme Jacques, le pater familias, philosophe comme Stan, le fils homosexuel honteux, éthologue comme Anne qui « vit dans une termitière » selon Laurent, son mari, patron d’un journal de gauche, etc. Tout ce beau monde s’exprime finement, crûment à l’occasion, la parole circule, ainsi que les personnages, entrecoupée par des monologues où chacun crie sa douleur, ses frustrations. « Les gens que je raconte sont des gens qui se prennent des couteaux dans le ventre, qui sont attaqués, qui croient en des choses, qui n’y arrivent pas et tombent à genoux » a déclaré P. Rambert dans un entretien.

Les comédiens sont prestigieux, en effet. La pièce a été écrite pour eux par un auteur qui les a déjà utilisés en tant que metteur en scène dans d’autres spectacles. Chaque personnages est d’ailleurs nommé par le prénom du comédien qui l’interprète : « Jacques » Weber, « Stan »islas Nordey, « Anne » Brochet, « Laurent » Poitrenaux. Il y a également « Denis » Podalydès, « Arthur » Nauzyciel, « Emmanuelle » Béart et quelques autres. Cela étant, la Cour d’Honneur formant un immense amphithéâtre, il est bien difficile pour les spectateurs des rangs les plus élevés, attirés par la distribution éblouissante, et qui n’ont pas nécessairement saisi les noms des divers personnages, de s’y retrouver. Car il faut bien avouer, que la sonorisation soit en cause ou leur élocution, que certains comédiens se font difficilement entendre, ce qui complique énormément la compréhension de qui est qui et des enjeux derrière les disputes entre les membres de cette famille d’Europe centrale, au départ prospère, qui connaîtra les malheurs de l’entre-deux-guerres.

Il reste des morceaux de bravoure, comme lorsque Emmanuelle, médecin, se décrit effervescente : « mon corps devient fou mon corps comme tout corps a besoin d’amour d’attouchements qu’on s’en occupe le corps d’une femme c’est un champ de jacinthes sauvages, c’est-à-dire un espace libre puissant délicat ultra-sensible or l’époque est le contraire de ça l’époque malmène mon corps… », et prône « l’amour non possessif… en tant que femme je ne suis pas une voiture… » (I-5).

Autre scène puissante, celle, juste avant l’entre-acte où Stan vide son sac devant son père : « cette façon de nous attraper par les cheveux de nous faire tourner autour de la table avec mes sœurs en larmes mon frère en larmes ou moi en larmes et mes sœurs attrapées à deux par les cheveux tirées autour de la table pour avoir confondu à six ans arc brisé et arc en plein cintre et maman qui hurle et toi qui hurles qui jettes ta serviette sur la table… » (II-7).

Pourquoi les spectateurs ne sont-ils pas tous restés jusqu’au bout, avec quelques départs sporadiques au fil de la première partie et davantage profitant de l’entre-acte ? Sans doute parce que, quels que soient ses mérites et ceux des comédiens, Architecture n’était pas faite pour la Cour d’Honneur. Même si le texte nous fait passer (en paroles) d’une ville à l’autre, voire sur un bateau, le propos demeure intimiste et nous, spectateurs, voudrions pénétrer dans cette intimité, ce qui s’avère ici impossible, sauf peut-être pour les plus proches de la scène.

Du 4 au 6 et du 9 au 13 juillet 2019 à 21h30. Durée 3 h 30, entre-acte compris.