Scènes

Pinter, Zweig, Sagan : « L’Amant », « Marie-Antoinette », « Château en Suède »

L’Amant de Pinter au Guichet Montparnasse

Qui sait mieux que Pinter concocter des intrigues mettant en scène des couples qui se trompent sans montrer guère de culpabilité ? Sa pièce le plus souvent jouée ne s’intitule-t-elle pas Trahison ? Même ambiance ici avec le couple de Sarah et Richard. Sarah est à la maison. Richard, comptable, part tous les matins au bureau et ne revient que le soir. Alors, comme de juste, Sarah le trompe avec Max. Mais Richard est au courant et se montre tolérant. Il avoue d’ailleurs devant nous à sa femme qu’il rencontre lui-même régulièrement une prostituée. Tout est donc clair assez vite sauf que nous sommes chez Pinter et que nous nous attendons à être encore surpris, ce qui ne manquera pas de se produire. Il serait cruel de dévoiler de quelle façon…

La mise en scène et le jeu de Margaret Clarac et d’Alexandre Cattez qui interprètent les deux rôles principaux (un 3e comédien apparaît brièvement dans le rôle du laitier) rendent bien l’atmosphère pour le moins malsaine de la pièce. Aucune esbroufe n’est possible dans la mise en scène, l’étroitesse du plateau du Guichet Montparnasse ne le permettrait pas. Les textes de Pinter, au demeurant, n’exigent pas de grands moyens. Par contre l’exiguïté de la salle présente un avantage énorme pour des spectateurs pour une fois tous à égalité. Tous, en effet, au plus près des comédiens, sont réellement dans l’intimité du couple. Le spectateur est par nature voyeur : tout ce qui contrarie cette vocation nuit à sa réception de la pièce. Qui a vécu quelques représentations au dernier balcon (dit justement « poulailler ») d’un grand théâtre sait ce que veut dire la souffrance du spectateur trop éloigné de la scène. Rien de tel ici. Nous sommes tous, du premier au dernier rang, « chez » Sarah et Richard.

Cela présente également pour les comédiens l’avantage d’anéantir le fameux 4e mur du théâtre. Impossible en effet, dans ces conditions, d’ignorer les spectateurs. On ne peut plus jouer « entre soi » ; il faut impérativement jouer pour « eux », dans la salle. Evidemment, si un comédien n’est pas bien préparé ou en manque de forme, il ressentira plus fortement les réactions négatives du public, mais ce n’est pas l’hypothèse qu’il faut privilégier. En règle générale, la communication qui s’établit entre le public et le comédien sera pour ce dernier un avantage plutôt qu’un handicap.

M. Clarac et A. Cattez sont quant à eux parfaitement capables de nous entraîner dans les chamailleries de Sarah et de Richard et l’on se régale de cheminer avec eux jusqu’au dénouement. Seul bémol, qu’ils fassent preuve d’un peu trop de retenue dans les passages où doit se mimer la passion amoureuse. Mais nous avons assisté à la première, tout laisse penser qu’après quelques représentations la température aura monté.

M.E.S. et jeu Margaret Clarac et d’Alexandre Cattez. Guichet Montparnasse, 8 novembre 2019 – 5 janvier 2020.

 

Marie Antoinette d’après Stefan Zweig au Théâtre de Poche

Marie-Antoinette en 1783 par Elizabeth Vigée-Le Brun

Quoi de plus romantique que la destinée de Marie-Antoinette (1755-1793), née archiduchesse d’Autriche, épouse du futur Louis XVI en 1770, reine de 1774 à 1792, puis déchue au moment de l’avènement de la République et finalement guillotinée en 1793, devenue alors simple « veuve Capet », quelques mois après son époux, lequel fut par son inconsistance le véritable fossoyeur de la monarchie. Stefan Zweig, comme bien d’autres, s’est passionné pour ce destin hors norme et lui a consacré une biographie dans laquelle a puisé Marion Berry pour composer sa pièce. Un récit où alternent une voix féminine (Marion Berry elle-même) et une voix masculine (Thomas Cousseau).

Il s’agit bien en effet d’un récit. Un récit instructif et distrayant à la fois, autant à cause de l’originalité du destin de Marie-Antoinette que du talent des deux interprètes. Même si l’on connaît l’histoire de France (et l’on peut gager que tel est bien le cas du public du Théâtre de Poche), il y a toujours quelque chose à glaner dans les informations apportées par S. Zweig. Demeure le mystère de cette femme si frivole qui a certainement prêté le flanc à la critique pour que les médisances et la haine se déchaînent à son encontre, qui a gaspillé les deniers publics sans compter et qui, pour autant que l’on sache, ne fut pas un parangon de fidélité conjugale, qui pourtant, aux heures sombres de la Révolution, s’est montrée bien plus forte que son mari. Pas assez néanmoins et, en tout état de cause, il lui était concrètement impossible de se substituer à un roi toujours présent pour, par exemple, commander aux troupes restées fidèles.

Si, à la sortie de la pièce, le mystère demeure entier, personne ne regrette sa soirée. A côté du théâtre documentaire, fort en vogue de nos jours, le théâtre-récit démontre avec une pièce comme celle-ci toute sa légitimité.

Adaptation, M.E.S. Marion Bierry. Avec Marion Bierry et Thomas Cousseau. Théâtre de Poche Montparnasse. A partir du 5 septembre 2019.

 

Château en Suède de Françoise Sagan au Théâtre de Nesle

Château en Suède est la première pièce de Françoise Sagan (alors âgée de 24 ans), la meilleure de l’avis général et la plus souvent jouée sur les planches. C’est une sorte de vaudeville, drôle et brillant où tout le monde trompe tout le monde allègrement, à ceci près que la neige empêche de s’éloigner du château pendant plusieurs mois et que le mari de la comtesse Eléonore menace de mort toute personne qui regarderait sa femme d’un peu trop près. Or voici que le jeune cousin qui a débarqué au château ne manque pas d’être fort épris. La comtesse cèdera-t-elle ? A quelle extrémité la jalousie poussera-t-elle le mari ? Ce petit monde ne manque pas de personnages pittoresques à l’instar de Sébastien, le frère snob et caustique d’Eléonore installé à demeure au château, la tante Agathe, maîtresse des lieux, une Ophélie à l’esprit quelque peu dérangé qui ne devrait logiquement pas être là, un valet raide qui s’exprime maladroitement à la troisième personne.

La jeune troupe qui a entrepris de monter la pièce ne manque pas d’enthousiasme et, bien que constituée principalement d’amateurs, de talent. Les habits dix-huitième imposés par la tante, le plus souvent approximatifs, introduisent une note de fantaisie supplémentaire. Jean-François Bertin qui interprète Sébastien et domine toute la troupe de sa haute taille au point de paraître trop grand pour la minuscule scène du Théâtre de Nesle (lui-même à peine moins exigu que le Guichet Montparnasse), tire fort bien son épingle du jeu dans un rôle qui exige de se montrer brillant. Indiana Loessin, co-metteuse en scène, incarne en Eléonore une jeune première primesautière à souhait. Les autres comédiennes et comédiens ne déméritent pas. Ils ont tous l’air de s’amuser (ce qui est d’ailleurs la moindre des choses dans une comédie). Bref, pour qui veut se détendre de manière intelligente, cette production du Château en Suède est un choix tout trouvé.

M.E.S Indiana Loessin et Jean-Baptise Clarenc. Avec Constance Berté, Jean-François Bertin, Joffrey Bluthé, Laetitia Goirand, Indiana Loessin, Antoine Meslin, Guillaume Schoettlé. Théâtre de Nesle les 10,17 et 24 novembre et les 5, 6 et 7 décembre 2019.