Soleil couchant de et avec Alain Moreau.
Le monde francophone ne se résume pas au partage d’une langue (aussi diverse soit-elle selon les endroits). Il est aussi le lieu de créations multiples dans les domaines les plus variés. Et la partie francophone de la Belgique, la Wallonie, s’illustre d’une manière toute particulière par ses spectacles de marionnettes. Le passage en Martinique de Soleil couchant d’Alain Moreau est l’occasion de faire connaître à nos lecteurs ce théâtre très particulier, car il s’agit bien de théâtre joué dans des salles dédiées et présenté dans les plus grands festivals. Nous gardons ainsi en mémoire Silence d’Isabelle Darras et Julie Tenret, vue en Avignon en 2014, une pièce muette, pleine d’optimisme bien que son cadre soit celui d’une maison de retraite et les personnages manipulés par les auteures-interprètes un vieux couple dont la femme mourra avant la fin de la pièce[i]. L’Herbe de l’oubli de J.-M. d’Hoop (Cie Point Zéro) se rattache à un théâtre documentaire ; elle s’intéresse aux survivants de Tchernobyl, ceux qui vivent juste à côté de la « zone d’exclusion », et fait intervenir des témoignages filmés[ii]. Dans les deux cas cependant, la partie principale reste aux marionnettes.
Dans Soleil couchant – pièce muette comme Silence – la marionnette portée est de taille humaine, le marionnettiste la tient derrière la tête, ce qui lui permet de la faire bouger, l’autre bras rentré dans une manche de la poupée, complétant ainsi l’illusion d’un personnage manchot mais vivant, capable d’utiliser le seul bras qui lui reste.
Du vieillard d’Alain Moreau, on voit d’abord la tête, un peu plus grosse que nature, portant lunette et qui laisse deviner, quand il cesse de s’activer, comme font certains vieillards incapables de rester en place, et se tourne vers le public, le faciès un peu hébété de qui n’est plus tout à fait présent. Puis il y a cette main dont il n’arrive pas toujours à maîtriser le tremblement. Il est sur une plage, derrière lui un château de sable ruiné mais suffisamment solide pour qu’il puisse s’y asseoir quand il faut. On entend le bruit des vagues. Au début, il s’occupe, maladroitement, à planter des petits piquets supportant un bout de tissu qui flotte dans le vent comme un drapeau ou une manche à air (le terme le plus précis serait peut-être celui de « faveur », ces brins de tissu cousus sur la voile et qui s’orientent convenablement seulement lorsqu’elle est correctement bordée). Après, après, il se passe beaucoup de choses pendant les cinquante minutes du spectacle qu’il serait malséant de dévoiler. Sans jamais quitter ce petit bout de plage, territoire dérisoire d’un vieillard à la dérive.
Si, au début, on est un peu gêné par la présence tellement visible d’A. Moreau, on l’oublie bien vite pour ne plus se concentrer que sur la poupée, sauf quand celle-ci, devenue vivante à nos yeux et capable d’initiatives propres, « décide », à deux reprises, d’inviter son manipulateur dans le jeu. Le dispositif très simple fait appel à un ventilateur dissimulé à cour pour faire le vent et à un projecteur posé à jardin pour créer les ombres de la fin de journée. Une musique discrète intervient par moments. À la fin le vent forcira, le bruit des vagues se fera plus fort. Comme il se doit, le marionnettiste se détachera de sa marionnette sans que celle-ci devienne pour autant moins crédible.
Une pièce hypnotique, émouvante, d’un réalisme poétique qui ne peut que toucher les petits, les grands et encore davantage les vieux spectateurs qui voient s’approcher le naufrage.
Soleil Couchant de et avec Alain Moreau (qui a également réalisé la marionnette).
Tropiques-Atrium, 27 octobre 2018
[i] https://mondesfrancophones.com/espaces/periples-des-arts/billet-davignon-2014-1-silence/
[ii] https://mondesfrancophones.com/espaces/periples-des-arts/avignon-2018-16-jean-michel-dhoop-hakim-bah-off/