Une petite sélection hasardeuse et non exhaustive des spectacles vus à Avignon
1. Les passagers, de Frédéric Krivine
Frédéric Krivine dit s’être senti “hanté” par un fait divers dont Israël a été le théâtre, « la rencontre explosive entre un homme et une femme, un terroriste et une passagère, le premier sauvant la deuxième avant de tuer à l’aveugle ». De cet épisode tragique, il a fait un huis clos théâtral pour deux personnages, ici mis en scène par Laurent Capelluto.
Emmanuel Salinger en officier de police israélien mène un interrogatoire pervers et sarcastique, en ce sens qu’il suscite, par son intransigeance, l’aveu de ce qu’il sait déjà, ou de ce qu’il pressent après qu’a été menée une enquête minutieuse. Débusquer les mensonges, de part et d’autre ! Le regard bleu se fait d’acier face à Amina, qu’incarne la comédienne chevronnée, Axelle Maricq. Commerçante palestinienne, Amina va poser son étal et vendre son poisson sur la place de Jérusalem, pour ce faire emprunte une ligne de bus fort fréquentée, connaît les arrêts et les fouilles sans raison aux points de passage. Jusqu’au jour où dans ce bus son voisin, parce qu’il est son client, qu’une sorte d’amitié les lie, lui conseille de descendre au prochain arrêt… juste avant qu’il ne commette son attentat meurtrier.
Mais chacun au fil de l’interrogatoire semble découvrir l’autre, et que la réalité n’est pas manichéenne ; chacun, de la situation politique qui mine la région, a eu un jour à souffrir. Chacun peu à peu s’adoucit. Et parce que le policier Stern accepte de raconter à Amina, comme à son propre fils, le « conte de l’éléphant », celle-ci qui, contrainte par les commanditaires de l’attentat du bus porte en elle une bombe, ne la fera exploser qu’une fois relâchée, libre, hors du commissariat, épargnant l’autre ainsi qu’on l’a elle-même épargnée. Un rebondissement, une chute à laquelle j’avoue ne m’être pas attendue, ni préparée !
Il ne semblait d’abord s’agir que d’une simple convocation de routine au poste de police, et ce furent des destins qui se jouèrent, en une histoire grave, émouvante, porteuse de sens et génératrice de réflexion. Une histoire par laquelle nous devrions tous nous sentir concernés, et qui grâce à un subtil jeu de miroirs démultipliant les deux personnages seuls en scène, prend au cœur du festival une valeur universelle.
2. Un certain penchant pour la cruauté
Texte à paraître bientôt dans la collection L’Avant-Scène
Pierre Notte met en scène ce texte apparemment anodin et comique, à bien y regarder plus cruel et plus profond qu’il n’en a l’air. Un texte inédit, écrit par Muriel Gaudin, qui endosse aussi le rôle principal de l’histoire, en ce sens qu’elle est celle par qui progresse l’intrigue. Femme de caractère, Elsa tient la dragée haute à son époux, à sa fille, à son amant, voire au musicien qui en fond de scène accompagne le jeu !
Mais le jour où la famille accueille Malik, adolescent noir émigré, venu d’Afrique – de ceux que l’on nomme pudiquement “mineur isolé” – et que lui confie une association caritative, les vérités se font jour et les masques tombent : la mère parfaite, portant en étendard la bonne morale et les bons sentiments, la donneuse de leçons à tous vents ne pourra assumer la différence, accepter l’autre dans ses spécificités, sa culture et sa couleur. Elle n’est pas raciste, non, mais… que sa fille Ninon tombe amoureuse de Malik n’est pas du tout à son goût !
À ce premier thème se joint, qui crée le suspense, entraîne des quiproquos et, de façon comique, renforce le propos, une réflexion sur comment connaître et assumer son identité : de qui Ninon est-elle la fille, de son père déclaré ou de l’amant, ami de la famille ? Seul un test ADN saura dire la vérité…
Sur le ton de la comédie, Muriel Gaudin traite en quelque sorte un sujet voisin de celui abordé dans Chasser les ombres – où se dit le mal de vivre dans le couple la mixité —, à savoir notre difficulté persistante à vivre l’altérité au quotidien.
Avignon, le 30 juillet 2022