Comptes-rendus Créations

La Roque d’Anthéron – 2022

DU JAZZ, DU CLASSIQUE ET DES CIGALES

C’est au festival de Piano de La Roque d’Anthéron, que l’on peut bénéficier d’un tel cocktail !

Si l’on y rajoute la chaleur, 35°à 21 h le jeudi 21, on a une bonne idée des impressions ressenties par les festivaliers, la première brise légère n’intervenant pas avant 22 h. Et malgré cela, le plaisir est toujours aussi grand de prendre place sur les gradins du beau théâtre de plein air, situé dans le Parc de Florans, environné par le bruit assourdissant du chant des cigales.

CONCERT DE JAZZ  21 JUILLET 2022 PIANOFORTE

Festival de Piano, les pianistes de jazz sont forcément de la partie.

Si le piano jazz est le plus souvent associé à d’autres instruments pour constituer une formation, et j’apprécie particulièrement les trios ou quartets, l’idée originale à La Roque d’Anthéron en 2022, a été de constituer un quartet avec 4 pianistes, 2 jouant sur piano classique, et 2 sur piano électrique Fender Rhodes.

Quatre grands noms au générique : Baptiste Trotignon, Bojan Z, Éric Légnini et Pierre de Bethmann. Au programme : « Pianoforte » jazz à 8 mains. Bien que d’horizons différents, tous ont atteint leur maturité musicale, après avoir enregistré plusieurs œuvres, joué dans des environnements différents et s’être inspirés de musiques variées. Leur rencontre était donc porteuse de promesses, et nous attendions des surprises.

Trotignon, de Bethmann, Bojan Z, Légnini

Nous ne fûmes pas déçus, entre succès classiques, et créations personnelles, le concert offrit un large tour d’horizon de ce qu’est le jazz actuel, les pianistes opérant en quartet, en duo, et passant alternativement du piano à queue au Fender. A partir de standards classiques, notamment Charlie Parker, Duke Ellington et de musiques brésiliennes, comme celle de Carlos Jobin, nos 4 pianistes se sont lâchés durant toute la soirée, se livrant à des improvisations aussi diverses que variées.

Nous eûmes ainsi le plaisir d’écouter « Moods », composition de Baptiste Trotignon, « La Lenteur » de Pierre de Bethmann, « Seeds » de Bojan Z, et « Boda-Boda » d’Éric Légnini. Le concert se termina en apothéose, avec le célèbre morceau de Freddy Mercury, « We are champions » !

Il y a longtemps que je souhaitais écouter Baptiste Trotignon, séduit par son toucher suave, la douceur de son jeu, et son art pour vous amener dans d’autres sphères. Il a travaillé avec Nicolas Angelich, et il y a bien une certaine similitude dans leur style.

Éric Légnini n’est pas un inconnu, nous l’avions rencontré le 25 juin 2021 aux arènes de Bouillargues, commune proche de Nîmes, où il accompagnait Thomas Dutronc, dans un orchestre où figuraient ses amis Rocky Gresset à la guitare et Thomas Bramerie à la contrebasse. Chargé d’animer le bar sur la scène, et expert en tire-bouchon, il avait démontré après le spectacle toutes ses qualités d’œnologue. Épicurien, il fait déguster son jeu comme il le ferait d’un bon repas. Excellent pianiste au toucher velouté, et belge comme son nom ne l’indique pas, il apporte au jazz un côté bon vivant et une certaine profondeur.

Pierre de Bethmann, celui que je connaissais le moins, si ce n’est qu’il a fait des études poussées de gestion, diplômé de l’Escp en 87. Il abandonnera sa carrière de conseil en management en 95 pour devenir musicien. Très éclectique musicalement, il apporte au quartet une touche originale. Longiligne et très mince, son look contraste fortement avec celui d’Éric Légnini, qui serait plus proche d’un Claude Nougaro un peu enveloppé.

Bojan Z est certainement le plus célèbre des 4 protagonistes. Originaire de Belgrade, de son vrai nom Bojan Zulfikarpašić, il mène une carrière internationale et échappe à toute classification. Il mélange et déforme de manière harmonieuse un bagage musical haut en couleur. Il est vraisemblablement à l’origine du choix de Freddy Mercury pour le morceau de clôture de la soirée.

Il fait aujourd’hui partie des leaders du jazz européen. C’est lui aussi, qui prenant le micro à la tombée du jour, vers les 10 h, signala que le chant des cigales venait de cesser, avec la tombée de la nuit, et que le calme était revenu. 

Légnini, Trotignon, Bojan Z, de Bethmann

Belle soirée, très chaude comme dans une boîte de jazz, mais avec une ambiance plus retenue, celle d’un concert classique en plein air, devant un public acquis au jazz depuis déjà longtemps…et dont la moyenne d’âge dépassait celle des pianistes.

L’ŒUVRE AU NOIR ALINE PIBOULE LE 22 JUILLET 2022 AUDITORIUM MARCEL PAGNOL LA ROQUE

Retour dans une salle climatisée de 200 places (l’auditorium Marcel Pagnol), pour ce concert plus intimiste d’Aline Piboule. L’artiste nous explique au préalable, qu’elle souhaite dépasser le cadre du concert traditionnel en concevant ses programmes sur des thématiques autres que strictement musicales.

Elle a même créé avec Pascal Quignard un récital autour de son livre « Boutès ». Son thème du jour est « l’œuvre au noir », un sujet devant illustrer tristesse et méditation sur la mort. Pour ce faire, elle jouera des morceaux de Schubert, C.W. Gluck, G. Scambati, T. Adès, Liszt et César Franck.

L’engagement au piano de Aline Piboule est total, peut-être un peu trop à notre goût. Sa volonté de montrer les vertiges de la mort avec force est cohérente avec son style, et elle finit bien avec les 3 morceaux de César Franck, prélude, choral et fugue. Un rythme moins rapide et une plus grande douceur auraient pu sublimer ce concert. Par moment, en forçant un peu le trait, nous avons même craint pour la santé du piano.

Aline Piboule n’a pas le niveau des grands pianistes, et elle ne l’aura jamais. Pour se faire une place au soleil, elle a préempté une niche, où l’on peut se faire connaître, soit en allant chercher des auteurs quasi inconnus, et l’on comprend pourquoi, soit en intellectualisant ses prestations, d’où la recherche de thématiques extra musicales, comme l’Œuvre au Noir (Yourcenar) ou Pascal Quignard (Boutès).

Malheureusement, trop d’esprit écrase l’âme indispensable au jeu d’un bon pianiste.

SOIRÉ LARS VOGT / MOZART AU PARC DE FLORANS LE  22 JUILLET 22

Pour cette grande soirée avec orchestre, la grande majorité du public est venu pour voir Lars Vogt diriger l’orchestre de chambre de Paris, avec un programme mozartien, le 22ème concerto et la 40èmesymphonie, avec en ouverture le « Langsamer Waltz » de Webern.

Au piano était annoncée l’américaine Imogène Cooper.

Dans une chronique intitulée « Le Grand Combat de Lars Vogt », j’avais évoqué, il y a un an, dans MF, la grave maladie dont il souffrait, et le combat courageux qu’il menait.

Lars Vogt, le grand absent

C’est dire si ses admirateurs étaient ravis de la retrouver à La Roque. Hélas, un coup de fil des organisateurs venait nous informer de son forfait, 2 jours avant la soirée. Autant dire, que même absent, Lars Vogt fut omniprésent pendant toute la durée du concert. Il fut remplacé au pied levé par Philip von Steinäcker, jeune chef allemand né en 1972 à Hambourg, qui dirigea en 2019 et 2020 l’orchestre philarmonique slovène avant de diriger celui de Rijeka.

Remplacer Lars Vogt est un challenge difficile, tant ce dernier fait corps avec ses musiciens, dans une osmose exceptionnelle, peut-être la composante essentielle de son succès. Mince et dynamique, Philipp von Steinäcker s’engagea totalement dans sa mission et réalisa une prestation remarquable. S’il lui était impossible d’égaler Lars Vogt, il sut dégager une force et une vitalité dignes de lui, en sublimant l’émotion suscitée par la situation.

Il sut s’adapter à un orchestre de Paris, transcendé, qui voulait envoyer un message clair à son chef. En quelques mots, il sut transmettre à Lars Vogt toute l’énergie et la joie indispensables à son combat.

Le concert se termina par une remarquable ouverture des Noces de Figaro, un vrai hymne à la joie en message d’espoir à Lars Vogt.

Imogène Cooper, Philipp von Steinäcker et l’orchestre de chambre de Paris

Un mot sur la pianiste Imogène Cooper, amie elle aussi du chef défaillant.

Son jeu sobre et minimaliste nous a laissé un peu sur notre faim. Peut-être son émotion l’a-t-elle freinée dans sa prestation, ou la chaleur, tant elle nous a semblé en dedans ?

Et les cigales ont chanté jusqu’à la tombée de la nuit, conférant un côté magique à cette soirée exceptionnelle, toute entière dédiée au grand absent Lars Vogt, que nous souhaitons ardemment retrouver au programme du Festival 2023.

MARIE-CATHERINE GIROD/CONCERT MENDELSSOHN LE 23 JUILLET A L’AUDITORIUM MARCEL PAGNOL LA ROQUE

Dans le cadre de la journée Mendelssohn, Marie-Catherine Girod nous a délivré une très riche prestation.La landaise, native de Peyrehorade (1949), a eu la bonne idée d’alterner des œuvres du frère et de la sœur Mendelssohn, Fanny la cadette étant jouée en même temps que son aîné Félix. Elle a eu raison de nous prévenir sur la ressemblance entre les créations des deux, sur une gémellité parfaite, dans l’écriture, vraiment le même langage pianistique et harmonique.

Un profane, ce qui est mon cas, ne peut discerner ce qui provient du frère ou de la sœur : Il y a bien un esprit de famille qui se traduit par un style similaire, et entraîne une continuité dans l’enchaînement des morceaux.

D’une sensibilité pleine de tact, pratiquant un jeu d’une grande légèreté, M.-C. Girod nous a embarqué dans un voyage initiatique, au gré des romances et des fantaisies, entamé par le « Rondo Capriccioso en mi majeur opus 14, avant de conclure sur les célèbres « Variations Sérieuses en ré mineur opus 54 » de Félix Mendelssohn.

D’une sensibilité pleine de tact, pratiquant un jeu d’une grande légèreté, MC Girod nous a embarqué dans un voyage initiatique, au gré des romances et des fantaisies, entamé par le « Rondo Capriccioso en mi majeur opus 14, avant de conclure sur les célèbres « Variations Sérieuses en ré mineur opus 54 » de Félix Mendelssohn.

Nous la réécouterons avec plaisir.

La Roque d’Anthéron 24 juillet 2022