J’entrerai dans ton silence d’après Françoise Lefèvre et Hugo Horiot
Une pièce généreuse conçue par Serge Barbuscia à partir de l’histoire émouvante d’un jeune autiste que sa mère n’a pas voulu abandonner aux hôpitaux psychiatriques, la seule proposition qui lui était faite, qui s’est consacrée à son éducation, l’a imposé au collège qui ne voulait pas de lui, avec un extraordinaire résultat puisque son fils devenu adulte a trouvé sinon une vie complètement normale, du moins une vie d’écrivain, de comédien et de défenseur de la cause autiste, ce qui témoigne d’une aptitude certaine à communiquer.
La maman, Françoise Lefèvre, elle-même écrivaine, a décrit cette difficile aventure à deux dans un livre, Le Petit Prince cannibale (1990), couronné du Goncourt des lycéens. Le fils, Hugo Horiot (né en 1982) s’est fait connaître avec un récit autobiographique, L’Empereur, c’est moi (2013), suivi de Carnet d’un imposteur (2016).
« L’amour maternel ne peut être confiné dans la mièvrerie ou la naïveté, comme le voudraient certains. L’amour maternel est le moins mièvre des sentiments. C’est avant tout un acte de résistance contre la férocité du monde » a écrit la maman dans un autre livre, Se perdre avec les ombres (2004). La pièce de Serge Barbuscia fait très bien ressortir, à partir des textes de F. Lefèvre et H. Horiot, l’énergie, tissée d’obstination et de patience, qu’il faut pour aider un enfant en proie à des démons à sortir de lui-même, à s’accepter, à accepter l’autre. La mère et le fils se croisent, se frôlent sans se toucher comme pour illustrer la difficulté de communiquer. Elle (Camille Caraz) est le plus souvent en retrait (et même un peu trop distanciée parfois), à côté du fils qui se débat contre ses obsessions, un double dont il veut se débarrasser. Lui, au contraire (Fabrice Lebert), dans une perpétuelle agitation, en colère contre le monde entier, saute du et sur le lit (en pente vers le public), s’enroule dans un drap, grimpe sur les colonnes disposées en hémicycle qui sont à sa portée. Tout cela en exprimant le désespoir de ne savoir qui il est (il se débat contre un double intérieur) et de ne pas être compris du monde autour de lui. Serge Barbuscia qui intervient par moments directement dans la pièce représente le monde extérieur ; il devient à l’occasion le double de Hugo.
Une pièce généreuse, avons-nous dit, qui nous fait ressentir que les femmes et les hommes « différents » sont tout autant « humains » que nous, que leurs obsessions et leurs fantasmes sont simplement plus réels, plus vivants que les nôtres.
Adaptation et mise en scène Serge Barbuscia, composition Sonore Eric Craviatto.
Music-Hall de Jean-Luc Lagarce
On n’aime ou on n’aime pas Jean-Luc Lagarce, ses phrases alambiquées, son style répétitif. Quand on l’aime on se précipite sur tout ce qui se joue de lui.
Et moi, toujours la même chose, une vieille chose que j’ai mise au point, et depuis pas mal de temps, et qui me ressert très souvent, et pas plus tard que cet après après-midi,
pas plus tard,
et moi, souriante, lente et désinvolte,
la Fille qui en vit d’autres et se sortit toujours du marécage,
parce que marécage c’est,
ici aussi, riez, ici aussi,
et pas plus tard qu’aujourd’hui…
Celle qui s’exprime ainsi est une vieille actrice de music-hall qui a connu un certain succès, puis roulé sa bosse un peu n’importe où et qui maintenant se produit dans des salles misérables, à la recette, une recette qui souvent ne couvre même pas l’hôtel et le restaurant, d’autant qu’ils sont trois, elle a deux acolytes, deux faire-valoir, pas frais non plus, avec lesquels tout se partage à égalité.
On le devine, Music-Hall est une pièce qui charrie de l’émotion en veux-tu en voilà. Pour la faire passer, mieux vaut avoir affaire à des durs-à-cuire, de ceux qui en ont vu de toutes sortes au cours de leur carrière.
Il faut avoir roulé sa bosse, pris des coups, déchargé des camions dans le froid, s’être brûlé en été au métal des décors, avoir reçu quelques cailloux jetés par quelques enfants de la campagne, avoir mené vingt-cinq ans la troupe, « nous les héros, êtres épuisés ou juste mélancoliques, abandonnés et un peu ivres », pour pouvoir remuer les spectateurs avec ça, ce texte-là. Pour ne pas être à la surface ; pour le montrer de l’intérieur.
Là, c’est le metteur en scène qui parle, Eric Sanjou. Il dirige la compagnie Arène Théâtre basée à Moissac (Tarn-et-Garonne), joue également le deuxième boy dans la pièce aux côtés de Céline Pique et de Christophe Champain. On ne connaît pas leur pedigree à ces trois-là mais on veut bien croire, à les voir jouer, qu’ils n’ont pas trop de mal à s’identifier à leurs personnages. Ils font bien sentir que tout leur est effort, les changements de costumes comme de maquillage (à vue), les pas de danse, les chansons. Alors mieux vaut parler, se raconter, raconter éternellement les mêmes histoires. Non que ça console mais ça meuble et puis, même si tout n’est pas très exact, c’est tout de même la preuve qu’on a existé !
Dans un festival où chacun tente de se monter le meilleur, cette pièce désenchantée, qui ne cherche à casser aucune brique, n’est pas, dans l’interprétation proposée ici, la moins convaincante. C’est même sans doute l’une de celles qu’on gardera le plus longtemps en mémoire.
Moi aussi je suis Barbara de Pierre Notte
De Pierre Notte, nous avons vu, dans ce festival, Les Couteaux dans le dos, une comédie fantastique, interprétée par cinq comédiennes, qui ne nous a pas laissé un souvenir impérissable. Trop de personnages pour qu’ils dépassent la caricature, trop de verbiage. Rien de tel avec Moi aussi je suis Barbara qui fait salle pleine en Avignon depuis plusieurs saisons. Ici les trois femmes de la famille, la mère qui eut sans doute son heure de gloire comme chanteuse (tiens, voilà qui évoque la pièce de Lagarce), la fille qui chante parfois en public (est-ce bien vrai ?) mais se réfugie la plupart du temps dans la cave (en fait sous la table de la cuisine) pour se taillader les bras, et celle qui se prend pour Barbara sont toutes des personnages complexes que nous quittons avec regret à la fin de la représentation.
Cela se passe donc dans la cuisine familiale. La mère, formidable Chantal Trichet, essaye de mettre un peu de bon sens dans sa couvée qui en est bien dépourvue. Il y a encore un fils mutique et qu’on verra peu. Quant au père, il est parti. « Partir », c’est justement ce que veut faire la fille qui se prend pour Barbara, mais il ne s’agit pas simplement pour elle de partir en voyage ou de déménager, contrairement à ce que veut croire la mère. Celle-ci, en tout cas, a fort à faire, elle est, mine de rien (car elle ne ressemble à rien, les cheveux en bataille, dans une blouse de souillon), le personnage principal, même si Pauline Chagne qui interprète Barbara avec une surprenante fidélité (attitudes, propos et chansons) lui dispute évidemment la vedette. Il serait injuste de ne pas mentionner également Barbara (sic) Lamballais, sa sœur dans la pièce, émouvante de bout en bout.
M.E.S. Jean-Charles Mouveaux, accompagnement au piano Clément Walker-Viry.