Feu la mère le père de Madame de Monsieur
Aller voir un Feydeau de nos jours, n’est-ce pas trop ringard ? Les lecteurs de cette chronique se demandent peut-être ce qui nous a pris. En fait, confessons-le, l’acte ne fut pas prémédité. Souvent, en Avignon, lorsqu’on veut meubler le temps entre deux pièces que l’on a dûment programmées, on se retrouve à voir une pièce simplement parce qu’elle est jouée dans le quartier où l’on se trouve à l’heure qui convient. Et, curieusement, très souvent ces pièces à peine choisies se révèlent très bonnes, voire meilleures que celles qu’on ne voulait pas rater. Ce fut le cas, lors de ce festival, pour Zorba et, encore plus fort, pour Nous voir nous. Cette fois-ci, ce fut donc un Feydeau. Avouons que nous sommes entré dans la salle presque à reculons, sans avoir d’ailleurs percé le pourquoi de ce titre bizarre, avec « la mère » et « Madame » surchargées d’un « père » et d’un « Monsieur ». Féminisme quand tu nous tiens ! Les mots rayés sont ceux du titre originel choisi par Feydeau. Un certain Lucien revient du bal des Quat’ Z’arts fort tard dans la nuit ; il réveille sa femme et s’ensuit une scène de ménage inévitable ponctuée par les interventions maladroites d’un valet plus qu’à moitié endormi. Coup de théâtre : toujours pendant la même nuit mais plus tard quelqu’un sonne ; c’est la bonne de la mère de Madame qui vient annoncer son décès. Réjouissance sous cape du mari désargenté qui attend impatiemment l’héritage de sa femme. On n’en dira pas davantage : évidemment, ce coup de théâtre ne sera pas le dernier. Ce que l’on dira, par contre, c’est que le titre modifié correspond à une inversion des rôles dans la version jouée en Avignon. Ce n’est pas le mari qui est allé s’encanailler tout seul au bal des Quat’ Z’arts mais son épouse. Son costume inénarrable de Roi Soleil n’est pas celui de Louis XIV mais de Louise XIV ! Tout à l’avenant. Et ça marche ! Le spectateur naïf que nous fûmes a avalé sans broncher la substitution et accepté l’idée que « Madame » puisse aller s’amuser sans « monsieur » jusqu’à point d’heure. Sans doute parce que c’est une pratique pas si inhabituelle au jour d’aujourd’hui.
A ceci près (Lucien devient Lucienne, Yvonne devient Yvon), le texte de Feydeau est respecté et … c’est du Feydeau, pas très subtil, très drôle néanmoins pourvu qu’il soit bien interprété, ce qui est le cas ici. Avec une mention spéciale pour Agnès Chamak qui joue Madame. Mais les trois autres sont très bon aussi. Quant au décor plutôt misérabiliste et réduit au minimum sur le plateau exigu du Théâtre des Brunes, il est à l’unisson de ce spectacle déjanté. On a noté en particulier la chambre du valet réduite à un escabeau sur lequel se juche le dit-valet quand on lui accorde un instant de repos.
M.E.S. Odile Huleux. Production Deux Brunes.
L’Ecume des jours
Il y a une erreur à ne pas faire par le spectateur de théâtre : revoir une pièce qui l’a auparavant transporté dans une nouvelle version. Même si celle-ci est parfaitement honnête, il sera déçu, inévitablement. Telle est la mésaventure qui nous est arrivée avec cette nouvelle adaptation du roman le plus célèbre de Boris Vian. Celle-ci est pourtant l’œuvre de Paul Emond, auteur talentueux dont une adaptation précédente, celle de Madame Bovary, tourne régulièrement. Mais nous étions restés sur une Ecume des jours d’une sobriété exemplaire, toute en émotion, avec néanmoins le fameux pianocktail dont une traduction rudimentaire était présente sur le plateau. Dans la nouvelle production m.e.s. par Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps, il y a de la musique, un micro, une guitare électrique, des chansons, ce qui crée une ambiance éclectique, pas vraiment en phase avec celle d’un roman qui subsume la fantaisie, la drôlerie et l’inventivité verbale sous une poésie empreinte de mélancolie. Même si le jazz est au centre de l’écriture de L’Ecume des jours, c’est sous une forme purement littéraire… Reste heureusement l’essentiel à savoir un texte prodigieux servi par trois jeunes comédiens sensibles (une fille qui joue Chloé et deux garçons, l’un qui interprète Colin, l’autre qui se charge des rôles de Chick l’ami de Colin, de Nicolas son serviteur et d’Alise, l’amie de Chick, le Christ). Tout cela fait un spectacle plaisant où l’on retrouve les sentiments poignants du livre chaque fois que les comédiens reviennent au texte.
Production Théâtre de la Huchette et Atelier Théâtre Actuel.