Iphigénie M.E.S. Chloé Dabert
Le « tendre Racine » n’apparaît guère dans cette pièce où la jeune Iphigénie est promise au trépas par un caprice des dieux. La tendresse n’apparaît à vrai dire que dans la scène 2 de l’acte II, entre Iphignénie et son père Agamemnon. Ce dernier ne sait comment se comporter envers celle qu’il doit immoler et qu’il aime pourtant. Elle ne comprend pas son inhabituelle froideur :
« N’osez-vous sans rougir être père un moment ? »
Comment ne pas se réjouir a priori de voir Racine honoré dans le IN qui n’accable pas ses spectateurs avec les classiques ? Malheureusement, la mise en scène de Chloé Dabert déçoit quelque peu nos espérances. Le décor, même s’il n’emporte pas tous les suffrages, ne nous a quant à lui pas déçu : cette grande tour d’échafaudages, à jardin, qui pourrait aussi bien figurer la proue d’un navire de guerre (puisque la flotte des Grecs en guerre est bloquée dans le port, en attendant que le vent, délivré par les dieux, veuille bien se lever et conduire les vaisseaux jusqu’à Troie) permet des déplacements intéressants. Les costumes modernes, vagues tenues martiales pour les hommes, robes noires pour les femmes, conviennent également. Par contre le jeu des acteurs interroge : qu’attendait Ch. Dabert de ses comédiens ? qu’ils jouent « tragique » ou « distancié » ? C’est bien difficile à dire quand on regarde la pièce. Les comédiens semblent plus souvent à côté de leur personnage que dedans. Agamemnon butte plusieurs fois sur son texte (nous avons pourtant assisté à la dernière représentation, Yann Boudaud avait eu tout le temps nécessaire pour s’entraîner). Iphigénie (Victoire Du Bois) bien que convaincante par moments semble trop souvent embarrassée d’elle-même sur le plateau. Achille, le fiancé d’Iphigénie (Sébastien Eveno) débite son texte comme s’il était pressé d’en finir. Seule Clytemnestre, la mère (Servane Ducorps) tire au mieux son épingle du jeu. Certes les comédiens, aujourd’hui, n’ont guère l’occasion de dire des alexandrins mais Ch. Dabert dans les entretiens qu’elle a donnés avant le spectacle a longuement insisté sur le travail du texte qu’elle a réalisé avec les comédiens (« la ponctuation, les retours à la ligne, sans élision » jusqu’à ce que le jeu devienne « pleinement ludique ». Alors, on a du mal à comprendre…
Summerless d’Amir Reza Koohestani
Les festivaliers se souviennent de Koohestani, Iranien basé désormais à Munich dont la pièce Hearing avait été présentée en 2016 au théâtre Benoît XII. Il s’agissait en fait du premier volet d’une trilogie qui se clôt cette année avec Summerless. La situation racontée dans Hearing (« l’interrogatoire ») était très forte : deux jeunes filles d’un foyer d’étudiantes étaient mises sur le gril par la surveillante alertée qu’on aurait entendu un homme dans une chambre[i]. Et Koohestani savait rendre palpables la pression exercée par la surveillante et le désarroi des deux étudiantes. Aussi la déception est-elle grande avec ce nouvel opus bien que la situation soit encore très forte puisqu’il s’agit cette fois d’une petite fille, élève à l’école primaire, qui s’est amourachée de son professeur d’arts plastiques et refuse d’en démordre. Il y a trois personnages : le professeur, sa femme, enceinte, surveillante générale de l’école et la maman de la petite fille ; celle-ci n’apparaîtra que tout à fait à la fin, en vidéo. L’usage de la vidéo est, au demeurant, assez pertinent tout au long de la pièce : il permet de « montrer » le travail du professeur en train de peindre une fresque sur un mur de l’école alors qu’en réalité il se contente d’agiter son pinceau dans le vide. Par contre, en l’absence de l’élève, sauf à la fin, la pièce se réduit à des discussions entre les deux femmes et à une vague suspicion contre le professeur dont il n’a pas trop de mal à se défendre. A cela s’ajoute que Koohestani a voulu également aborder la question très générale de l’enseignement en Iran – avec (là comme ailleurs !) un fort développement du secteur privé face à la déliquescence du public – au risque de lancer les spectateurs sur une fausse piste.
Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète de Gurshad Shaheman
On se prend parfois à plaindre les comédiens obligés, parce qu’il faut manger, d’accepter des emplois peu gratifiants. Soit donc dix-sept d’entre eux assis par terre dans la pénombre. A tour de rôle ils seront éclairés et se mettront à parler. Certains auront le droit de se lever, les autres pas. Aucun ne pourra se déplacer. Sans aucune emphase ils réciteront chacun leur histoire. Des histoires de migrants mais qui, mises ensemble, ne ressemblent en rien à une pièce comme, par exemple, Migraaaants de Matéi Visniec. Ni dialogue ni théâtre, ici : on est dans le témoignage. Une sorte de fioriture de la M.E.S. (également de G. Shaheman) malgré tout : des monologues se chevauchent lorsque l’un prend le relais de l’autre, ils s’entrecoupent puis le premier devient de moins en moins audible et le suivant prend le dessus. Sans doute la raison pour laquelle cette pièce est présentée dans la note distribuée au public comme un « véritable oratorio théâtral » ou un « labyrinthe sonore » ! Et certes on ne refuserait pas de se perdre dans un labyrinthe. Hélas, les exposés qui se succèdent sans aucune recherche d’éloquence ont pour principal effet de nous ennuyer. Comme nos lecteurs nous l’ont déjà vu écrire, il ne suffit pas de défendre une juste cause – celle des migrants sans doute en est une, a fortiori celle des homosexuels, travestis et autres « trans » persécutés « au nom d’Allah » (d’où le titre) dans leurs pays d’origine, dont il est surtout question ici – pour faire du bon théâtre. Cette pièce pétrie de bonnes intention en fournit une nouvelle démonstration.
[i] http://www.madinin-art.net/avignon-2016-13-artaud-momo-jaz-hearing/