Les Parisiens d’Olivier Py (IN)
Dans un très beau décor de Pierre-André Wetz, Olivier Py a adapté son roman Les Parisiens (2016), fresque foisonnante dont les multiples personnages font partie à un titre ou à un autre au groupe des « importants » dans la capitale de la France, ceux qui comptent, ceux que, en d’autres temps, on aurait appelé des « notables » mais le terme est trop restrictif car il y a des prostitué(e)s et autres gigolos dans le monde décrit par Py. Cette satire des gens de pouvoirs et de leurs favoris ne manque pas d’intérêt ; on sent que l’auteur sait de quoi il parle même s’il grossit évidemment les choses. Py a retenu pour son adaptation vingt-trois personnages sur les quatre-vingt de son roman et un fil conducteur, la nomination d’un nouveau directeur à l’Opéra de Paris.
La quasi-totalité des personnages sont des individualistes farouches, incapables d’amour mais obsédés par le sexe auquel ils semblent consacrer l’essentiel de leur énergie, le reste étant mobilisé pour faire avancer leur carrière. Quelques rares exceptions : Jacqueline, reine de l’intrigue qui se régale de manipuler les importants pour pousser tel ou tel qui aspire à faire partie du groupe, lui aussi, ou à monter dans la hiérarchie. Duverger (Pierre Bergé dans la vraie vie ?), malade, revenu de tout sauf du pouvoir, généreux mécène qui tient le ministre de la Culture sous sa coupe. Un père trop exigeant qui n’a pas su se faire aimer de son fils rebelle. Un dominicain, magnifique figure de la vertu, revenu de toutes les superstitions pour ne plus prêcher qu’une religion d’amour du prochain, qui se dresse seul, avec une admirable compassion, face à l’océan du vice.
L’obsession du sexe se montre dans les répliques de la plupart des personnages, dans des scènes de copulation esquissées, dans la nudité, celle d’une jeune transsexuelle « femen » qui exhibe à tout bout de champ sa poitrine barbouillée de slogans politiques, celle surtout, intégrale et longuement exposée dans l’une des scènes inaugurales, de deux jeunes gays. Le pouvoir et la soif du sexe vont le plus souvent de pair : c’est bien connu. S’il faut en croire Py, orfèvre en la matière, le sexe homosexuel y tiendrait encore plus de place chez les importants que ce que le bon peuple imagine.
C’est ainsi en tout cas dans la pièce. « Certaines scènes peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes spectateurs », nous avertit-on à bon escient. Gageons que les plus vieux éprouveront également un sentiment d’écœurement justifié face à l’étalage des turpitudes des célèbres et des puissants.
Tout cela, il convient de le souligner, est joué excellemment (et sans micro !) par une dizaine de comédiens contraints d’animer des personnages parfois fort différents. On retiendra en particulier, parmi les comédiens confirmés, Philippe Girard dans les rôles de Duverger, du père et de frère Dominique et l’immense (par la taille) Mireille Herbstmeyer dans le rôle de Jacqueline.
Le décor qui ferme initialement la scène représente des façades haussmanniennes. Il se divise à la demande en quatre blocs qui, une fois retournés, font apparaître divers lieux, comme l’appartement bohème partagé entre un jeune dramaturge et une comédienne (respectivement gay et lesbienne comme de juste). Pour figurer le bureau du ministre, un rideau représentant un tableau de Tintoret plus grand que nature, avec un Christ en croix, tombe des cintres.
On est habitué, chez Py, directeur du festival d’Avignon pour la troisième année consécutive, aux outrances. Il fait, ici, pour qui connaît un peu son œuvre, preuve d’une retenue (certes relative) inhabituelle et bienvenue. Il y a du Molière dans cette pièce satirique qui n’est pas qu’un divertissement.
Phèdre de Jean Racine (OFF)
Après avoir entendu Jeanne Balibar massacrer (suivant les instructions de Frank Castorf) le monologue le plus célèbre de Phèdre dans Das Leben des Herrn de Moliere (cf notre billet n° 1), on éprouvait le besoin impérieux d’entendre la « véritable » Phèdre de Racine. La compagnie « Comme un tigre » présente sa version de la pièce avec six comédiens. Le résultat est parfaitement honorable. Les vers de Racine sont là dans toute leur majestueuse beauté. Quelques incidents de parcours ici ou là (mot qui accroche, diérèse omise) ne suffisent pas à gâcher le plaisir du texte. Après un commencement incertain, comme si les comédiens avaient un peu de mal à entrer dans leurs rôles, le jeu participe également au plaisir. La directrice de la compagnie, Aura Coben qui a assuré la M.E.S., au physique gracile, sait montrer son désarroi, dans Phèdre, quand la situation se noue avec le retour de Thésée. Le désespoir d’Hippolyte, l’inflexibilité de Thésée sont également bien rendus.
Parmi les autres personnages, il faut souligner celui d’Oenone, la suivante de Phèdre, dont le rôle est capital pour faire avancer l’intrigue. La comédienne qui joue le rôle fait bien sentir à la fois la dévotion à sa maîtresse et la frustration liée à sa condition subalterne. Le théâtre moderne (voir Les Bonnes de Genet) n’est pas le seul à montrer la relation d’amour-haine dans le couple maître et domestique. Sans doute Oenone croit-elle bien faire en prodiguant ses conseils à Phèdre, en chargeant Hippolyte devant Thésée. C’est pourtant elle qui, ce faisant, provoque la perte de sa maîtresse tant aimée, mais celle aussi pour laquelle elle a quitté son pays, ses enfants. Comment ne pas voir dans la maladresse inconsciente d’Oenone le retour du refoulé ?