Il y a des résurrections que là où il y a des tombeaux. Nietzsche
C’était la nuit où nous avions refusé de porter nos propres croix. Luezior
Dans le crépuscule aux dents de suie tout peut-il être atteint, tout peut-il encore être mordu sans cicatrices ?
Sous la langue, le poète garde goût des fruits croqués et / ou désirés.
L’auteur se demande s’il verra encore longtemps ce lait de l’enfance, ce débordement d’amour ?
Et de se poser cette lancinante question: comment savoir ce qu’il y a dans la poussière des chemins lorsque le loup s’est enfui peut-être on l’a tué / Dis que reste-t-il du vent de l’ombre de cet instant que reste-t-il à marée montante dans l’anse cambrée de nos dunes lorsque, au galop, le cheval a disparu ?
Les mots, étoiles filantes dans un ciel d’interrogations, de souvenirs, se pressent vers un estuaire incertain baignant dans des crues rebelles.
Faut-il relever les paupières avec cette obsédante question :se remet-on jamais d’être né ?et qu’est-ce que l’on peut espérer assis sur le parfum du soir ?
Le poète voudrait tellement savoir si on peut encore se noyer dans une mer aux yeux de fruit défendu : il est temps de vouloir la vie, savoir si le temps, fondu dans l’eau des corps, peut être retenu juste pour revoir l’amante froissée dans la saumure de la nuit.
Rêves, doutes, certitudes, balaient, rident, le sable des jours : parfois la vie patine et c’est tellement difficile /D’être un homme /Un virage peut déchirer un visage au milieu de la tôle.
Fragilité de l’instant qui file comme sable dans les béances du cœur Dis que reste-t-il du vent de l’ombre de cet instant. L’assurance et l’offrande, peut-être juste pour se rassurer et l’espoir car il faut bien vivre même avec des cicatrices et même quand elle essuyait l’hiver avec ses larmes.
Entre flux et reflux des ombres et la gelée onctueuse et cendrée du temps, la force du souvenir s’articule toujours dans les pliures du désir.
Aimer c’est le nœud de l’espoir et du désespoir, c’est l’idée tremblante du possible, c’est draper des ombres dans l’éclat du rien. C’est une île dans le ciel/ Une île avec des hanches.
Sous la plume élégante de l’auteur les paysages s’animent de Venise à Hambourg à Hammamet et sa médina aux yeux véronèse, les souvenirs palpitent, vibrent comme des éclairs sur un corps d’orage.
Dans le remous des fantômes avec brûlures et ressacs, la mémoire se fait rumeur, elle vrille les tempes, pousse, culbute et pourtant un poète qui donne mille vies/ N’abandonne pas car les chrysanthèmes se fanent quand même.
Pour Duault, le temps est un rouleau compresseur qui parfois, le broie: j’attends la fin:/ Du jour peut-être ou de cette vie qui coule si lente.
Omniprésente est la force du mot, j’ai écrit avec mes rêves mais aussi avec mon sang. L’ardeur qui pousse doute et foi s’entrecroisent, se lacent dans une imploration: emporte-moi très loin; mais vers quel rivage, vers quelle chute, vers quel après?
Le Féminin est omniprésent dans ce recueil: femmes fragiles, femmes vénéneuses, femmes-miroir, femmes-fileuses de sentes perdues, femmes-oiseaux dont les ailes viennent casser le désir bleu d’un moment où tout paraît possible : quand le ciel est clair comme un vers d’Apollinaire.
Lire La cérémonie des inquiétudes c’est tressaillir dans la nuit des silences et des questions, ce qui n’empêche pas une folle dérive de gravité dans le murmure du plus secret, du plus enveloppant, même si parfois les oiseaux ont des ailes de glace.
Mais depuis la mise en scène initiale, l’exil n’est-il pas programmé ? Dans ce recueil A. Duault se fait orant d’une poésie à méditer, oraison dans un repaire d’incertitudes où s’écoulent les traces, où passe la vie, où s’ordonnent les souvenirs
Le lecteur en garde précieusement mémoire pour rêver, aimer dans les déchirures de la nuit et les soubresauts du jusant.
Alain Duault, La Cérémonie des Inquiétudes, Gallimard, Paris, 2020.