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« Nous et les oiseaux » de Carino Bucciarelli

Roman homodiégétique à plusieurs voix narratives, le nouveau roman de Carino Bucciarelli semble une descente dans un labyrinthe morbide et étrange.

L’auteur imagine une histoire qui sort du cadre réel et se multiplie bizarrement avec des personnages qui disparaissent d’un lieu pour apparaître dans un autre. Le narrateur semble perdre le sens de la réalité suite à un incident sur l’autoroute: sa voiture heurte une pierre et tombe en panne. Isolé en plein champ enneigé par un hiver rude et agressif, il laisse sa femme et ses deux enfants en voiture et part chercher une borne téléphonique pour demander une dépanneuse.

Ce n’est pas la vie de son personnage qui intéresse l’auteur, mais une situation qui pourrait tourner au cauchemar, la manière dans laquelle le réel le plus banal pourrait être renversé d’un coup et jeter le personnage dans un monde étrange où il ne se reconnaît plus. Sa vie devient errance et quête, car il veut prouver son identité sans y parvenir par manque de documents. Il devient alors un autre, celui créé à partir d’une fiche électronique stockée dans la base de données de la police.

On lui attribue une identité qui n’est pas la sienne, mais celle d’un autre ayant le même nom et prénom que lui.

Plusieurs Delatour entrent en jeu pour se substituer au premier personnage du même patronyme . Mais ce n’est qu’à la fin que le lecteur peut démêler les différentes situations étranges qui s’entremêlent et comprendre la relation entre les différents personnages.

On croit, au début, que nous ne suivrons que deux personnages auxquels la vie s’entête à jouer un mauvais tour et les séparer brutalement sans raison : Olga et Stéphane Delatour, un couple désuni par le hasard.

Le romancier se substitue à ses premiers personnages, d’autres changent leur identité,  mais porteront le même nom, il complique l’histoire du couple  et le plonge dans l’irréel.

Un oiseau, une corneille , devient le premier élément qui annonce l’étrangeté des situations, et qui relie toutes les situations bizarres du roman. Un oiseau intelligent qui fait découvrir à Stéphane Delatour un anorak rouge dans la neige, par lequel il entre dans une autre histoire qu’il veut ignorer, obsédé par la sienne.

À partir de la découverte de l’anorak rouge et de la femme à moitié cachée sous la neige, le lecteur est mis devant deux situations de disparition et confronte jusqu’à la fin à l’ambiguïté des personnages qui semblent les mêmes, mais a des moments temporels différents.

Dans des situations de plus en plus étranges, le lecteur va naviguer dans le labyrinthe imaginé par l’auteur, incapable de déchiffrer  seul le mystère de la disparition d’Olga. À la fin il comprend que le romancier a provoqué la confusion en  superposant des séquences de la vie de plusieurs Olga  qui ne se connaissaient pas. Il dévoile peu à peu le mystère de l’anorak rouge, la disparition d’une autre Olga, sa substitution finale par un commissaire de police femme qui efface les traces de l’horrible crime passionnel commis par Pierre Delatour.

Au fond, un mélange de faits et de personnages différents qui entretient l’étrangeté de l’histoire initiale, la fait sortir du cadre réel pour la mettre sur une piste policière des plus bizarres et tisser une intrigue autour d’une disparition qui mène à une autre fin morbide et à la sortie du labyrinthe habilement tissé par l’auteur.

En même temps, des bribes de vie d’êtres solitaires et frustes sont révélées par un patronyme banal qui aide le romancier à écrire ce roman étrange.

Un roman entre le réel et l’irréel, sur le possible dérapage du réel dans le bizarre par un incident qui conduit au polar au dénouement surprenant.

Plusieurs éléments étranges s’éclaircissent à la fin: la disparition de la voiture de Stéphane, l’anorak rouge dans la neige, la disparition d’Olga, la corneille.

L’élément clé et inexplicable est la présence de l’oiseau, la corneille , dans  les situations étranges, symbole de la mort. En effet, elle l’annonce par sa simple présence qui attire les personnages vers les lieux morbides. C’est elle qui fait découvrir au commissaire femme l’autre Olga dans une situation terrifiante et met fin à l’enquête.

Le dénouement renverse totalement celui des romans policiers ou tout est éclairé et la vie retrouve sa normalité. On laisse aux lecteurs la surprise de sa découverte.

Voilà un roman autour d’une intrigue réelle qui explore le fantastique à partir du patronyme Delatour et d’une corneille. Le titre Nous et les oiseaux devient compréhensible à la fin: là où l’on croit à un seul personnage et à un seul oiseau, il y en a plusieurs qui se ressemblent, les hommes par leur nom, prénom, frustrations; les corneilles par leur nom et leur aspect dans l’ espèce des corvidés.

Il faut admirer l’art de la construction de ce roman labyrinthe, l’enchaînement des épisodes de manière à entretenir jusqu’à la fin l’ambiguïté des personnages et des situations, leur ressemblance apparente, leur reprise et leur étrangeté.

 

Carino Bucciarelli, Nous et les oiseaux, M.E.O. Editions, 2021.