Comptes-rendus Mondes indianocéaniques

Le « romanoème » de Jean-Louis Robert

Les lecteurs de Mondesfrancophones connaissent Jean-Louis Robert, auteur réunionnais d’essais, de nouvelles et poète. Il nous arrive avec un roman qu’il intitule, en amoureux des néologismes, « romanoème » comme pour marquer que sa langue sera poétique ou ne sera pas.

Il y a bien une histoire, celle d’un certain Ypnos (sans rapport évident avec le dieu du sommeil, bien au contraire), enfant « prélevé » à la Réunion – comme cela fut effectivement le cas pour 1600 d’entre eux entre 1963 et 1982 – et adopté par une famille métropolitaine. Dans le vocabulaire de J.-L. Robert, cela donne les enfants d’un « hexagonicule », « formellement décolonisé mais réellement néocolonisé de l’Hexagonistan », abandonnés par des parents trompés par les alléchantes « thaumaturgettes » et donc expédiés dans « l’Hexagone ». Ypnos, quant à lui, ne s’est jamais remis du traumatisme de l’arrachement. Gravement déprimé – la pratique de la course à pied ne l’aide qu’insuffisamment – il consulte régulièrement une Madame Logosse, maîtresse du logos et psychothérapeute de son état. Cette dame est malheureusement assassinée alors qu’Ypnos rongeait son frein dans la salle d’attente. Serait-il par hasard l’auteur de ce crime abominable ? C’est l’angoissante question qu’il ne cesse de se poser à lui-même.

Cet ouvrage dont on a compris qu’il adopte un ton léger bien qu’abordant des sujets graves se caractérise par la diversité des genres. L’on y trouvera, par exemple, des quizz littéraires (rendre des citations à leurs auteurs respectifs, répondre à des questions comme « Nommer trois écrivains qui ont expérimenté la mescaline »…) ; une sorte de liste qui sera déclinée deux fois, s’ouvrant en premier lieu par l’article défini puis par l’adjectif démonstratif ; une nouvelle imprimée en blanc sur noir – contrairement au reste du livre qui s’en tient au classique noir sur blanc – laquelle nouvelle relate les interrogations existentielles d’une demoiselle des « cités » confrontée à la violence la plus abjecte ; etc.

On admire particulièrement l’inventivité langagière de l’auteur. Le foutingueur pratique le footing. Les personnages des livres ont des sentiment papyrusés. Le narrateur est un personnyrus, amalgame de personne et de papier ou un ventrilaucteur. On peut kalachnikover quelqu’un du regard, courir zatopèquement. Etc.

Bref, ce livre bourré d’allusions littéraires, cinématographiques et même scientifiques, qui ne refuse pas l’aphorisme et qu’on pourrait dire oulipien est destiné à toutes les personnes aimant jouer avec les mots et les idées, les deux, au demeurant, intrinsèquement liés.

Jean-Louis Robert, Île m’a abandonné, K’A éditions, 2021, 182 p., 12 €.