Mondes européens

La politesse, forme d’hybridité culturelle

LA POLITESSE : FORME D’HYBRIDITE CULTURELLE

Introduction

La mentalité est la conception qu’un peuple, qu’une collectivité a d’un aspect de la vie. Née au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, l’histoire des mentalités se trouve au carrefour de toutes les autres sciences et peut se définir comme l’étude de tout ce qui résiste aux changements, aux croyances traditionnelles qui « semblent plus profondes que les idéologies ».  De même, son champ d’action est très varié et l’histoire des cultures est par excellence son domaine de prédilection. Dans le cadre de l’histoire des mentalités à l’ère de la mondialisation, le thème de la politesse comme une forme d’hybridité culturelle retiendra notre attention.

Le langage et les concepts du savoir-vivre sous toutes ses formes sont autant de faits valorisés par les humanistes, les anthropologues et les comparatistes littéraires au fil des siècles. La « civilité » apparaît d’abord dans l’ouvre d’Aristote, venant de « civilitas, civilis » (sociable bienveillant, doux, poli) et exige la « grâce ». C’est l’expression suprême d’un idéal à la fois politique, social, moral et esthétique représenté pour les Grecs par la notion de douceur. La politesse a servi de structure à la civilisation et à l’interculturel. La notion de savoir- vivre moderne se distingue des champs juridique  et moral et les choix rationnels qui peuvent orienter l’existence humaine sont le champ du droit (justum), le champ de l’éthique (honestum) et le champ de la bienséance et du savoir –vivre. La politesse comme expression de cette bienséance et de ce savoir- vivre règle encore les pratiques d’interactions sociales et sert de structure aux multiples civilisations. Dans la société française et même au-delà de ses frontières en post colonie, la politesse a connu une histoire et se présente sous plusieurs formes en fonction des circonstances. Nous allons dans le cadre de ce travail présenter quelques unes telles que exposées par Régine DHOQUOIS dans son ouvrage intitulé La politesse, « vertu des apparences », ouvrage publié aux éditions Autrement à Paris en 1992 et d’après notre culture littéraire puisée des œuvres postcoloniales. Il sera précisément dans un premier temps question pour nous de voir la pratique de la politesse dans divers domaines de la vie sociale (avec des formules précises) afin d’apprécier les limites qu’elle renferme bien qu’étant une vertu à échelle internationale. Bien avant cette tâche, il sera judicieux pour nous de jeter un regard panoramique sur ce concept en nous attardant sur sa définition, son origine, ses principes et son expansion.

I- DEFINITION, ORIGINE, PRINCIPES ET EXPANSION

1- Définition et origine

La politesse vient du latin politus qui signifie uni, lisse, brillant, regroupe un ensemble de comportements sociaux entre individus visant à exprimer la reconnaissance d’autrui et à être traité en tant que personne ayant des sentiments. La politesse faisant beaucoup moins objet de formalisation écrite que les lois des républiques dans le sens commun ont, a une absence sinon une pauvreté d’indices archéologiques permettant de savoir ce qui a fait son émergence. Il est communément admis que la politesse est née d’une volonté d’une vie en commun plus équilibrée. Des ethnologues ont affirmé que la politesse aurait des origines innées de par son caractère inhibitif. Au cours des siècles, certaines règles  de politesse se sont figées alors que d’autres évoluaient. De tous temps, des auteurs ont formalisé et rassemblé ces règles dans des traités dits « de civilité » (autrefois) ou « de savoir-vivre » (aujourd’hui). Civilité de laquelle certains sont partis pour montrer la démarcation de la politesse. En effet, la mythologie, l’art, la littérature témoignent déjà de l’obsession que les Grecs ont toujours eue du combat livré par leurs ancêtres pour sortir de la viande animale, de la sauvagerie primitive. Alors que d’Aristote à Cicéron, la recherche est « de concilier l’homme avec l’homme, en vue d’une communauté de langage et de vie » témoignage du fait que « Seul, en effet,  l’homme a le sentiment de ce qu’est l’ordre, de ce qui convient, de ce qui est la juste mesure dans les actes et les paroles, qu’il s’agisse de la manière de se vêtir, de marcher, de se livrer à la conversation », en France et dans les colonies et déjà dès le XVIII siècle, la politesse est une qualité supérieure à la civilité.

La politesse comme le dit Voltaire, « n’est point une chose arbitraire comme ce qu’on appelle la civilité. La civilité est bonne, mais excellente que la politesse », et Montaigne de dire « La politesse est une qualité plus rare et plus exquise, elle tient non seulement aux manières affichées, mais aussi à la finesse de l’intelligence et à la délicatesse de la cour, elle suppose la  synthèse de la nature et de l’art, elle est une réussite qui a toujours un caractère individuel ». Toujours dans le même sillage, la politesse est représentée comme faisant preuve d’une raffinerie de l’esprit. C’est pourquoi Jaucourt dit d’elle qu’elle est une notion « regardée comme un empressement à porter du respect et des égards aux autres, par un sentiment intérieur conforme à la raison ; c’est une pratique de droit naturel, d’autant plus louable qu’elle est libre et bien fondée ». Pour Montesquieu, la politesse est une composante de l’éducation et elle vient « de ce que les hommes, nés pour vivre ensemble, sont aussi nés pour se plaire ». On le voit, bien que n’ayant pas de repère fixe, la politesse s’est progressivement imposée et s’est donnée une signification admise sinon de tous, du moins par la majorité en Occident comme en Afrique. Elle naît de l’envie de se distinguer. La politesse est définie par un code. Elle demeure un ensemble de règles acquises par  l’éducation et comporte une double finalité : faciliter les rapports sociaux en permettant à ceux qui en usent d’avoir des échanges respectueux et équilibrés ; faire la démonstration de son éducation et de son savoir-vivre. La Bruyère de dire : « la politesse fait paraître au dehors ce que l’homme est au- dedans ».

2- les sources

La politesse ne naît pas réellement chez l’individu comme une intuition ou comme quelque chose d’innée. Elle est le fruit d’un processus de socialisation dont les sources sont aussi variées que diverses.

2-1- La Société

 

En tant que mentalité, la politesse s’inscrit dans le spectre large de la société qui use du cadre familial, scolaire et bien d’autres milieux nationaux ou internationaux, formels ou informels pour cultiver en l’individu un certain nombre de politesses propres. De ce point de vue, Régine Dhoquois dans La Politesse in « petites et grandes vertus», affirme :

«La politesse fait son apparition dans le cortège dans valeurs que l’on nous invite à réinventer pour échapper aux formes les plus abêtissantes et les plus sauvages de l’exclusion »( p.14).

Cela dit, la politesse naît d’un souci de bienséance dont l’objectif est de socialiser l’individu en lui inculquant des valeurs qui vont le distinguer des sauvages. En effet, dès la prime enfance, pour ne pas paraître ridicule ou voir leurs progénitures ridiculisées en société à cause d’un comportement atypique, qui s’écarte de la norme, les parents dans tous les coins du monde, s’assignent le devoir d’éduquer leurs enfants d’être polis, c’est-à-dire bien éduqués. Cette politesse, l’enfant l’accueille passivement et la laisse se développer dans son psychisme ; quotidiennement et au fur et à mesure qu’il grandit, il assimile d’autres règles de politesse qu’il manifeste de manière spontanée ou réfléchie selon les situations.

A ce titre, Régine Dhoquois (op.cit.) souligne : « (la politesse) est un effort qui est demandé d’abord à l’enfant, puis à l’adulte » (p.16).Elle aura auparavant  mentionné : « c’est au quotidien que la politesse prend tout son importance. C’est quotidiennement que l’enfant apprendra à respecter certaines règles de comportement : dire bonjour, bonsoir, merci, s’il vous          plaît, pardon » (p.16). Ces formules de politesse sont sans doute des pré- requis que la famille doit inculquer à l’adolescent avant qu’il n’embrasse l’extérieur.

Hors de la famille, l’enfant évolue également dans un autre cadre qui est l’école, lieu institutionnel et attitré, disposant d’un personnel qualifié ou spécialisé dans l’éducation. (Toutes les œuvres françaises ou francophones de formation mettent l’accent sur ce sujet : L’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane, Sang d’Afrique de Cars Guy des, Kel’lam, Fils d’Afrique de Jean Marie Carret, Cette Afrique-là de Jean Ikellé Matiba, Balta de Paule Constant, etc). C’est ici que l’on veille minutieusement à la pratique de la politesse, légiférée par un code bien établi : la morale. L’ouvrage de Régine Dhoquois présente le discours d’Henri Bergson aux jeunes lycéens en 1885 pour leur parler des enjeux de la politesse. (pp.152-158). Ici comme ailleurs, la politesse est un code de conduite auquel doivent s’assujettir tous les élèves dans les établissements scolaires. Par exemple, à titre de politesse, les élèves doivent se lever lorsque l’enseignant entre dans la salle de classe en métropole ou en post colonie.

2-2. Les lieux communs

Récits fabuleux ou imaginaires, proverbes et devinettes sont autant de sources qui alimentent la politesse. Maria Maïlat, l’auteur du conte les deux faons montre, à travers le péril des deux faons causé par leur indignation réciproque,  l’importance de la politesse. La morale enseignée à travers ce conte, est celle selon laquelle : « les abîmes sombres de la mort guettent les enfants impolis », la politesse in « vertu des apparences » 🙁 pp.159-161).

Marthe Coppel, quant à elle, évoque deux auteurs qui se servent de leur imagination pour enseigner la morale. Si Jean Jacques Rousseau dans les confessions fait comprendre que la morale établit l’équilibre psychologique : « le souci de Rousseau, ici, n’est pas d’être ou de paraître désintéressé ; c’est d’être en paix avec lui-même » cf. la politesse in « l’éducateur, le psychanalyste et les mauvaises pensées ». Alors, la comtesse de Ségur est convaincue dans ses romans, que la politesse est au centre de l’éducation, car souligne-t-elle : « les enfants doivent être polis avec leurs parents, avec leurs camarades et avec leurs domestiques ; ils doivent assimiler les différents codes qui régissent la politesse à l’égard de chacun selon sa position » (Marthe, op.cit. p.167). Cette vision de Marthe Coppel n’est que l’écho des romans de la Comtesse de Ségur qui, dans quel amour d’enfant présente  le personnage de Georges, fouetté par son père lorsqu’il crache sur sa bonne. Pour tout dire, les contes sur la politesse font la part belle des textes en lecture suivie dans les classes de sixième et cinquième en Afrique.

A la suite de cette analyse, nous pouvons dire que la politesse n’est pas un fait « ex-nihilo »  (c’est-à-dire à partir de rien). C’est une valeur que l’on acquiert dans diverses institutions de la société : la famille, l’école, les rencontres internationales, les lieux communs…, il faut noter que cette politesse intériorisée se manifeste sous plusieurs formes en tous lieux et en tous temps.

 

3- Principes et expansion

 

La politesse se traduit tous les jours par l’utilisation de certains termes comme bonjour, au revoir, bienvenu, s’il vous plaît, ou merci, et par des attitudes spécifiques : sourire à qui vous parle, adapter sa tenue aux circonstances… Selon Dominique Picard (professeur de psychologie sociale spécialiste de la politesse), «  la politesse représente en réalité un système cohérent reposant sur quelques principes fondamentaux comme le respect (de soi et des autres), l’équilibre, l’engagement, l’échange… » Ces principes se retrouvent aux fondements de toutes les formes de politesse (celles des grandes cultures, comme celles des micro- cultures).  C’est pourquoi cet auteur a divisé les règles profondes » qui, elles, sont universelles et intemporelles parce qu’elles sont nécessaires à la vie en communauté.

Les codes de la politesse sont considérés comme des principes, c’est-à-dire des règles fondamentales sur lesquelles le reste se construit. A la grande différence des principes scientifiques, les règles de politesse n’acceptent pas la remise en question, et l’expérience prouve qu’il y a un besoin de peu d’arguments et de maïeutique ou un propos similaire à un défenseur de la politesse, occasionnel ou convaincu. Un des plus grands principes est que sans la politesse, la vie en communauté est impossible. La politesse se revendique  comme étant une norme sociale, et il est difficile de trouver un critère général faisant de telle norme sociale un élément de la politesse. Tout comme le sous-entend la définition du mot  « normal » ; elle se revendique à la fois comme étant une règle qui veut s’imposer et comme une règle voulant assimiler les anormaux à une moyenne.  Cependant, alors que des formes de politesse telles que les salutations, les excuses ou les remerciements sont respectées par la moyenne –ou plutôt la médiane-, les formes de politesse mondaines revêtent un caractère plus exclusif : il n’est même pas là question d’aligner la majorité sur la modèle.

L’expansion  de la politesse est une question de conventionalité en communauté, au niveau d’une nation ou à l’échelon international. La politesse a réussi à créer une sorte de « réalité conventionnelle ». Par cela, il faut entendre que des choses fausses en soi le deviennent par la considération qu’on leur accorde. Par exemple, dire « Bonjour. » n’est pas une grande marque d’attention en soi : on ne fait que s’adresser à la personne. Mais la convention en a fait un mot qui veut dire que l’on porte de l’attention à la personne. On aboutit encore à des paradoxes  du fait que la politesse est ici assez systématique pour qu’il y ait des individus qui en saluent d’autres sans aucune marque d’attention en soi. De même, « Pardon. » est devenu une phrase exprimant le regret et la volonté de réconciliation par pure convention. Parfois, il arrive que la politesse veuille acquérir de nouveaux adhérents en masse. Ceci se rattache à une problématique plus vaste, le normalisme, doctrine visant à conformer par la force un maximum de gens à une norme, notamment pour ce qui est de leurs opinions philosophiques, politiques ou religieuses. Le christianisme ou l’islam font beaucoup d’adeptes dans le monde. Dans cette volonté de conquête se créent des conformistes exécutifs qui se rattachent plus généralement à la conservation d’une norme sociale ou religieuse. Et on va faire face dans le monde à une forme d’hybridité culturelle qui ne tient compte ni de la race ni du centre et de la périphérie.

Pour assurer sa pérennité lorsqu’elle est devenue une tendance, la politesse recourt à divers moyens dont quelques uns sont présentés dans les lignes suivantes :

 

–  Les principes : les règles de la politesse sont bien souvent érigées comme principe, ce qui dissuade la plupart de gens de les critiquer ou les changer.

 

–  Le conformisme : puissant pilier de la politesse depuis bien longtemps, c’est un état d’esprit consistant à penser que la majorité a raison.

–  L’éducation : même s’il est parfois difficile d’inculquer une notion à un enfant, ce dernier sera généralement bien plus réceptif, bien plus ouvert à l’acquis qu’un humain adulte, si les notions de bienséance son intégrées dans son éducation.

–  Le Protocole d’Etat : Ici rien ne doit être négligé pour éviter les incidents « diplomatiques » dans les réceptions, les cérémonies publiques ou les rencontres internationales. Chaque autorité doit être à sa juste place.

Pour mieux scruter et comprendre ce qu’est la politesse, il faudrait dépasser les considérations théoriques et voir quelques domaines pratiques.

II- QUELQUES DOMAINES DE LA POLITESSE : FORMES ET FORMULES

La politesse se concrétise par des manifestations  verbales (formules consacrées) ou comportementales (gestes et attitudes) et plusieurs personnes ont du mal à justifier l’existence de ces ensembles de règles non réciproques du point de vue du sexe, de l’âge ou de classe sociale qui régissent certaines relations. A première vue, elle peut apparaître comme une suite de prescriptions et proscriptions un peu disparates. C’est aussi de cette façon que les formules de politesse varient en fonction des cultures, des circonstances et des personnes en présence. Pourquoi dire bonjour sans aucune autre interaction avec une personne ? Cela  montre-t-il qu’on s’attache à elle ? Pourquoi les gens plus âgés que les autres (adultes /élèves,  parents /enfants…) doivent-t-il être vouvoyés et pas réciproquement ? Pourquoi rendre service à quelqu’un qu’on vient à peine de rencontrer sans l’avoir jamais vu auparavant ?…Ce sont autant de questions dont les réponses nous viendraient de l’expérience de la rencontre de l’altérité. Et pour comprendre ces variations de considération dans les relations humaines, il serait judicieux pour nous de voir de près la pratique de la politesse  dans quelques domaines de la vie communautaire en donnant dans les paragraphes suivants quelques domaines dans lesquels la politesse peut se manifester et quelques exemples de formules issus de différents traités en ce qui concerne les cultures européenne et africaine contemporaines.

1. Les manifestations verbales

La politesse est fondée sur les concepts de normes et d’écarts,  des dires et des interdits. Elle se manifeste à travers des formules répétitives dans le discours : « Dire bonjour, bonsoir, merci, s’il vous plaît, pardon » (p.16) R. Dhoquois : (op.cit. p.16) La France est un pays qui a su intégrer la notion de politesse dans sa culture, à propos, Julia Kristeva lors d’un entretien avec Régine Dhoquois sur la question affirme :

« Les hommes et les femmes les plus âgés ont été éduqués dans cette tradition là et gardent l’image de la France comme un barrage contre la barbarie » (p.184).

Dans cet entretien, il en ressort qu’en France, couper la parole à une femme est une forme d’impolitesse.

En France, les injures dans les entreprises entre collègues ou envers les clients sont prohibées. Car elles relèvent de l’impolitesse. Ainsi, des sanctions sont prises à l’encontre de tout salarié, auteur des propos injurieux comme le souligne Régine Dhoquois dans La Politesse in « Sous-contrat » : « il y a lieu de licencier » (p.115)

Il faut relever que dans les entreprises Camerounaises de telles attitudes sont réprimandées, du moins pour le bon fonctionnement de la société tout au plus, les sociétés africaines, aussi bien que occidentales fonctionnent sous l’égide des règlements et des consignes sur le permis et le défendu verbaux. Régine Dhoquois (op.cit) fait l’inventaire de quelques défendus verbaux : « interdiction au personnel de tenir des propos contraires à la décence et aux bonnes mœurs » (p.116)

2. Les manifestations physiques

Au-delà des formes verbales, la politesse se reconnaît également par les apparences. La posture qu’adopte un valet à son maître peut bien définir la considération ou non qu’il a à l’égard de ce dernier. Dans la région Bamiléké, les peuples accueillent leur roi courbés et à chapeaux bas (Claude Njiké Bergeret,Ma Passion africaine,1999). La galanterie est une composante de la politesse, mais l’homme galant est-il poli ? A cette question Julia Kristeva dans la politesse in « le rituel galant » répond :

« D’une part l’homme galant peut-être le « grand Seigneur méchant homme » qui se sert de la galanterie (…) pour appâter la proie érotique, (…) Et puis, il y a une autre version de la galanterie que l’on pourrait peut-être retenir et réhabiliter : celle du troubadour,  de l’homme de cour, de l’homme attentionné » ( le rituel galant, p.76).

Ainsi donc Julia Kristeva considère-t-elle certaines formes de galanteries qui font partie de la politesse en France comme de simples plaisanteries. Nous pouvons citer entre autre certains jeux comme  « se laisser tirer la chaise ou vous porter le manteau… » (p.83).

Par contre au Cameroun, ce genre de politesse n’entre pas dans nos mœurs dans la mesure où nous ne l’appliquons pas, ne la connaissons pas. Elles paraissent plutôt contraignantes. Il est souvent rare de voir un homme tirer la chaise à une femme, à plus forte raison lui porter sa veste La Grande Royale s’inscrit en faux à ce principe au Sénégal dans L’Aventure ambiguë de C. H. Kane. Cela relève de l’utopie. Il est question de noter que le contexte est un facteur très important et que la société africaine est encore attachée à sa tradition et à certaines de ses croyances. (C.Njiké Bergeret).

Il est à noter que le fait d’aider une femme en difficulté suite à une panne de son véhicule, relève de la galanterie voir de la politesse, que ce soit au sein de la société française ou dans la mentalité Camerounaise. A titre illustratif, au Cameroun, lors d’une invitation, le fait de payer la totalité de la facture relève de la politesse alors qu’en France chaque personne invitée doit payer sa consommation (p.86) « Rituel  galant ».En  somme,la notion de politesse s’apparente finalement au sourire machinal que l’on observe dans le monde des affaires,ou encore,au baiser d’hollywood pourtant intime,et qui a autant de signification qu’une légère tape indifférente dans le dos.

Ces éléments de notre travail nous amènent à étudier certaines valeurs de la politesse tant sur la plan individuel que collectif.

3la politesse dans les relations interpersonnelles

Les expressions populaires de la politesse révèlent d’une mentalité ou des soucis ancrés dans la mémoire collective. Tous les groupes humains développent leurs propres codes de politesse, même si aujourd’hui les multimédias influencent les comportements dans le monde. En fonction des circonstances et des personnes en présences,  les pratiques de la politesse varient en société. Les domaines de pratique de cette vertu sont tellement nombreux que nous nous limiterons à quelques uns seulement.

-Dans les relations supérieurs / inférieurs

On se demanderait de prime à bord qui est le supérieur. En fait, c’est tous ceux qui détiennent l’autorité ou une parcelle d’autorité, et dans la mesure où ils la possèdent, ils ont droit à être obéis, que ce soit d’un point de vue ancestral, politique, administratif, professionnel, religieux etc. Ceci n’est contredit ni en Occident ni en Afrique. Ainsi, tout en restant digne et sincère, les relations envers les supérieurs doivent être peintes de respect et de soumission. Il faut tout de même signaler que  dans la pratique, ce genre de relation doit être entièrement réciproque. Ainsi en est-il du devoir de chacun de respecter les règlements : les heures de réception dans un établissement public ou privé, les consignes données aux malades, le silence dans  la salle d’attente, son rang aux heures d’affluence devant un guichet, la discipline réclamée dans un bureau, l’hygiène dans les rues et dans les lieux publics, le respect du protocole dans les manifestations publiques, dans les échanges internationaux. Bref c’est là tant d’occasions de témoigner de son Savoir-vivre.

– Au travail

 

Politesse et droit se rejoignent dans le devoir- être. « L’état de droit désigne cette volonté étatique de juguler l’agressivité inhérente aux rapports sociaux. L’un des fondements du droit privé, le contrat, rejoint dans son esprit la convention qu’est la politesse ». Cependant malheureusement, il advient très souvent que le principe de base du contrat, l’égalité des parties  contractantes devienne une fiction. C’est donc compte tenu de ceci que le contrat de travail constitue un terrain d’observation privilégié. Toutefois, il existe des façons bien polies de revendiquer : quand on a à réclamer ce que l’on estime de son droit, il faut le faire avec dignité,  avec déférence, parfois même quand les principes de soumission sont en cause : ceci évite la frustration et le mépris.

les correspondances

De plus, les correspondances sont le lieu par excellence où se pratique la politesse, et de façon illimitée. Qu’il s’agisse des lettres, du courriel, du téléphone, du télégramme ou autre moyen de communication emprunté par les médias écrits, on assiste à une utilisation profuse des formules sobres, courtes, exprimant la politesse, aussi bien à l’égard d’un ami, d’un membre de la famille, d’un administrateur que d’une simple connaissance. Il s’agit des formules du genre cordialement, sincèrement, amicalement, je vous en prie, respectueusement, veuillez agréer, accepter, recevoir, croire, etc.

 

Dans les rencontres internationales

Dans les rencontres internationales avec plusieurs nationalités, il est considéré comme poli de traduire une partie de la conversation aux participants qui ne comprennent pas la langue employée, afin de leur permettre de prendre part à la conversation. Les assemblées annuelles des Nations Unies à New York, les sommets de l’U.A. les meilleurs échanges internationaux connaissent et appliquent ces principes. On peut parfois trouver impoli le fait de citer le nom d’une personne présente dans une langue qu’il ne comprend pas sans lui traduire directement ce qu’on vient de dire. Un aparté trop long entre locuteurs de la même langue dans un groupe qui ne comprend pas cette langue est impoli car personne ne peut prendre part à la conversation.

2- la politesse en famille

La politesse n’est pas réservée aux étrangers. Comme toute bonne charité bien ordonnée commencerait par soi-même, il faut en ce qui concerne aussi la politesse, tout d’abord penser à faire bénéficier ceux qui nous entourent et avec qui nous vivons. Dans les familles, la politesse nait de la tendance,  pour chaque membre  à respecter les droits et les devoirs de l’autre. L’affection, le respect, l’obéissance, la reconnaissance… sont autant d’élément qui rendent effective la politesse dans une famille. Présentons quelques cas pratiques sans prétendre l’exhaustivité de la liste :

–    Si l’on est pressé et qu’il s’avère nécessaire à table de prendre de l’avance sur les parents, il convient de s’excuser en donnant simplement les raisons de son empressement.

–    A table, il ne faut pas faire de bruit en mangeant, ne pas parler la bouche pleine, savoir présenter un plat,  un verre, en le tenant par la base.  La politesse ici est d’autant plus importante que Claude ZAIDMAN rappelle que « le repas familial est le centre stratégique où s’opère depuis des siècles l’apprentissage de bonnes manières.  Sans doute parce que l’acte de manger évoque l’animalité proche (manger comme un cochon) mais aussi parce que le repas pris en commun reste l’un des rares instants privilégiés de la rencontre familiale » (op.cit.p.181)

–    Si on est invité à manger ailleurs que chez soi, il faut pendant le repas attendre que le voisin ait fini de se servir pour prendre une part dans les plats disposés au centre des convives ; ne pas choisir uniquement ce qui vous plaît dans les mets proposés, ni refuser ce que l’on vous offre et, si l’on trouve quelqu’un en train de manger, se retirer discrètement, avec une excuse habile, pour attendre qu’il ait fini ; si, par courtoisie, on vous propose de partager le repas, il vaut mieux de dire « non, merci » que de dire « je n’aime pas ce met »

III- Les valeurs de la politesse

 

D’entrée de jeu, il est important de se poser la question de savoir si la politesse est un acte désintéressé, gratuit. Dès lors que l’impolitesse est sanctionnée négativement par la société occidentale, comme illustrée dans Quel amour d’enfant de la Comtesse de Ségur, in « les deux faons » et bien de sociétés africaines, la politesse quant à elle apporte  des récompenses.

1- Sur le plan individuel

 

Sur cet aspect, il est à noter que l’acte de politesse gratifie son auteur d’une manière ou d’une autre. Il suffit d’observer l’image des deux faons que nous donne Maria Maïlat pour s’en convaincre. Si les deux faons sus cités avaient du respect, l’un envers l’autre, ils ne se seraient pas retrouvés dans l’abîme. Ainsi, ne nous dit-elle pas à propos des Confessions, que c’est pour des besoins d’équilibres psychologiques que Rousseau s’érige en moraliste :

« Le souci de Rousseau ici, n’est pas d’être ou de paraître désintéressé ; c’est d’être en paix avec lui-même ».

2- Sur le plan collectif

 

Il convient de noter que le point d’ancrage de la politesse, c’est la société. Les gens qui se la partagent jouissent ensemble de cette récompense, si bien qu’elle constitue pour ces derniers le socle de la socialisation, le garant de la cohésion sociale. Henri Bergson (op.cit.p.158) ne pense pas autrement lorsque, s’adressant aux jeunes lycéens, martèle :

« A la grâce (la politesse) joindrait la force, le jour où, se communiquant de proche en proche, elle substituerait partout la discussion à la dispute, amortirait le choc des épinions  et amènerait les citoyens à mieux se connaître et à mieux s’aimer les uns les autres. C’est sur ce conseil, jeunes élèves que je termine. Dites vous bien qu’en cultivant votre intelligence, en élargissant votre pensée, en vous exerçant, pour tout dire, à la politesse supérieure de l’esprit, vous travaillez à resserrer ces liens et à fortifier cette union d’où dépendent l’avenir et la grandeur de la patrie ».

En clair, la politesse s’apparente à la vertu dans la mesure où elle consolide les rapports interhumains, crée une sociabilité relativement harmonieuse, anti raciale et interculturelle. Toutefois pour atteindre cet objectif, la politesse exige  da la part de chaque individu une restriction de liberté, d’où ses limites.

IV– Quelques limites de la politesse

 

 

La non universalité des codes de la politesse rend complexe son appréhension. Parce que les us et coutumes varient selon le lieu et l’époque, la politesse n’y échappe pas mais favorise la stratification des classes sociales.

1– Politesse et discrimination

La politesse se veut comme bienfaisante si ce n’est nécessaire à la vie en société, mais il arrive qu’elle engendre des liens sociaux entachés d’intolérance. Quelques cas relativement particuliers peuvent être notés :

– Lorsqu’une personne ne salue pas les autres, elle est généralement « mal vue ». L’absence de cette marque conventionnelle de respect est interprétée non pas comme un acte neutre, ce qu’elle est en soi, mais comme un acte d’irrespect. La personne aura beau être sociable par diverses activités communes, étant vue à tort comme irrespectueuse, elle subira la froideur voire la violence de la part des autres qui se sentent agressés. On a ainsi une réponse d’une violence disproportionnée car l’acte de ne pas dire bonjour est négligeable par rapport à une exclusion sociale, encore qu’il n’est en rien obligatoire. Ce phénomène est similaire aux excuses et aux remerciements.

– De fait, l’origine de cette considération d’incivilité est le fait que sans cette répression de l’anormalité, la règle de politesse aurait été instable et serait disparue. On peut aussi remarquer que la galanterie arbore un caractère sexiste : son sens unique n’est pas justifié par des différences acquises, culturelles. De par sa normalité, la politesse aura tendance à rejeter les individus singuliers en faisant recours à des stéréotypes les plus arbitraires : un signe en est que l’adjectif « bizarre » est généralement préféré à « original » à l’endroit de quelqu’un à qui on reproche une légère conduite.

2– Politesse et hypocrisie

S’il faut le redire, la vraie politesse trouve sa source dans une âme délicate : c’est le doigté de l’esprit et du cœur ou si l’on veut, le savoir, le Savoir-vivre, qui réclame l’oubli de soi, pour penser aux autres. Seulement, de par son caractère systématique commun aux autres lois,  la politesse achoppe parfois sur des cas particuliers mal appropriés, la faisant dévier de son but originel. Ainsi, chez un individu A par exemple qui n’apprécie pas un individu B, l’emploi de mots doux ou considérés comme tels du type « Merci beaucoup. »,  «  c’est très gentil. », ou un sourire, aboutit à une relation d’hypocrisie. C’est très régulier en diplomatie (cf. Trop de soleil tue l’amour de Mongo Beti, 1999). Il est donc évident que cette forme de politesse soit volontaire.  Ses effets sont d’ailleurs très néfastes car dire quelque chose de foncièrement irrespectueux sous une forme édulcorée est naturellement très affligeant. On constate aussi que les compliments ne sont pas nécessairement sincères, honnêtes, et peuvent se transformer en flatterie. Dès lors, la politesse constitue d’ailleurs une technique de base de la manipulation des gens, ce que montre La Fontaine dans la fable « Le corbeau et le renard ». La politesse, comme mode de communication, ne concerne que la forme employée, alors que le respect concerne le fond du message communiqué et n’a aucun rapport avec la forme.  En plus de ce qui précède, on peut noter plusieurs autres contradictions dans l’effectivité de la politesse en société occidentale et africaine. Par exemple, le rot est vu dans la culture européenne comme sale, alors qu’il est interprété comme le signe d’un bon repas dans la culture arabe, ou comme le signe d’un ventre plein chez les africains. Aucune culture ne saurait s’arroger l’usage de la meilleure forme de la politesse. Les multi médias, à notre ère, amènent les différentes cultures d’hier, à s’imbriquer les unes dans les autres pour produire une nouvelle entièrement hybride.

 

CONCLUSION

Les européens en général et les francophones en particulier ont, au fil des siècles, développé des concepts qui constituent des vertus et qui ne sont pas restés enfermés dans leurs univers. L’honneur, la gentillesse, la bienséance, la civilité, la courtoisie, la politesse sont autant de sujets qu’on peut étudier du point de vue des mentalités et des études intercuturelles. Nous avons, tout au long de notre  investigation, épluché la notion de politesse  qui nous a permis de voir que les relations humaines sont régies par des principes, mais qu’elles ont subi une forme hybride. A voir les relations entre les hommes au quotidien, on pourrait penser que contrairement aux lois d’Etat, les règles de politesse ne font l’objet d’aucune formalisation mais sont transportées d’un continent à l’autre. Cependant, il existe des traités   formalisant des règles à respecter en protocole. Dans la culture occidentale comme partout ailleurs en post colonie, on n’en aura jamais fini avec les rituels tant qu’existeront des lieux et des pratiques de socialité, des échanges inter étatiques. On peut le dire, la politesse règle, sans limite, les pratiques d’interactions sociales. Elle est une vertu à n’en point douter car elle constitue « un barrage contre la violence » plus encore et ce pour reprendre JOUBERT, « la politesse est la fleur de l’humanité et qui n’est pas assez poli n’est pas assez humain ».

David MBOUOPDA

Université de Dschang –Cameroun

BP : 134    Bandjoun

Tél : (237) 77 47 61 06

dmbouopda2000@yahoo.fr

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– « Politesse », Un article de Wikipédia, l’encyclopédie libre.