L’immigration est devenue une question qui divise la France, entre « universalistes » d’un côté et « nationalistes » de l’autre, les uns voulant une France grande ouverte, les autres réclamant des frontières étanches. Il ne faut pas moins qu’une guerre aux portes de l’Europe comme celle qui se déroule en ce moment en Ukraine pour qu’une unanimité de façade se forme autour de l’accueil des réfugiés. Mais en 1952, quand le jeune Ho Hai Quang alors âgée de huit ans pose pour la première fois le pied sur le sol de la « Métropole », l’Indochine est encore une colonie comme a fortiori l’AOF, l’AEF et l’Algérie, la France est fière de ses possessions outre-mer, les colonisés implantés en France sont encore peu nombreux et l’on est d’ailleurs souvent allé les chercher pour les employer dans les usines, la question de l’immigration ne se pose pas encore.
Ce n’est pas pour autant que l’enfant d’une petite bourgeoisie saïgonnaise relativement prospère, ne parlant que vietnamien, habitué à ne manger qu’avec des baguettes, ne subit pas un choc économique et culturel quand il se trouve brutalement transplanté sur une terre étrangère de fait (sinon de droit), dont il ignore la langue et les mœurs, sa famille soudain à peu près privée de ressources (les rêves de fortune du père ne s’étant pas concrétisés). Itinéraires d’un immigré de Cochinchine est le récit réellement passionnant des apprentissages par lesquels il lui fallut passer pour acquérir la langue et la culture françaises et finalement devenir maître de conférences des universités sur l’île de la Réunion, tout en prenant le temps dans ses années de pensionnaire en province et d’étudiant parisien de former avec l’un de ses frères (d’une fratrie de sept) un groupe de musique rock auteur d’un disque chez Vogue et qui eut les honneurs de l’Olympia. Tout cela en multipliant les petits boulots pour financer ses études.
Un intellectuel, économiste marxisant de surcroît, ne peut pas ne pas se poser la question de son engagement. De fait, Ho Hai Quang a longtemps cru qu’il reviendrait au Vietnam, ses études terminées, pour aider le pays natal. En réalité, il ne le fera que bien plus tard et sous une forme qu’il ne pouvait pas prévoir quand il achevait sa licence de sciences économiques (qui se faisait alors en 4 ans, avant l’invention des masters), dans la tourmente de 68. Sensibilisé aux méfaits de « l’agent orange » dans son pays natal, il fondera en 2008 l’association « Orange DiHoxyn » qui sensibilise par la musique au sort des victimes et organise des concerts en leur faveur. Bouclant ainsi un cercle en redevenant, mais pour une juste cause, le musicien de ses jeunes années.
Ce livre d’un « honnête homme » a le mérite de se présenter comme un récit objectif. S’il fait le point au passage sur les grands événements politiques qu’il a traversés comme tous les hommes de sa génération, si son expertise d’économiste lui sert, évidemment, l’auteur ne met jamais en avant son opinion ; il raconte mais ne juge pas.
En conclusion, Ho Hai Quang revient sur son expérience d’immigré. En dépit des conditions matérielles, il reconnaît qu’il n’a eu aucune difficulté pour s’intégrer, tout en soulignant que son cas ne peut être monté en epingle puisque « l’intégration est un processus à double sens : elle doit être voulue par l’immigré et acceptée par son pays d’accueil ».
Ho Hai Quang, Itinéraires d’un immigré de Cochinchine, Sainte-Clotilde, Editions Poisson Rouge.oi, 2022, 307 p.