Les soirées festivalières ne se ressemblent pas ; après les résurrections d’Opéra poussière c’est le sacrifice d’une jeune vierge dans le Sacre du printemps. Après le théâtre, place à la danse. Si Yang Liping (née en 1958) est de longue date une star en Chine, elle ne s’est fait connaître que depuis quelques années en Occident ; c’est vraiment une chance pour les spectateurs du Festival de Fort-de-France de pouvoir assister à l’une de ses créations et de faire connaissance par la même occasion avec la danse contemporaine chinoise. Les artistes chinois sont plus que d’autres, peut-être, des maniaques de la perfection. On en a eu la confirmation dès l’entrée dans la grande salle de l’Atrium : douze danseuses assises en tailleur nous attendaient dans une immobilité absolue qu’elles tiendront pendant une demi-heure jusqu’au début du spectacle, pas davantage dérangées par le brouhaha des spectateurs cherchant leur place que par le moine bouddhiste qui installe sur le plateau le cercle formé autour d’elles à l’aide d’idéogrammes géants reproduits dans une mousse ocre, agencement minutieux qui sera détruit joyeusement par les danseuses à la fin.
L’intervention de ce moine qui ne quittera pas le plateau pendant toute la pièce demeure sujette à caution. Selon une certaine interprétation, il symboliserait la nature transitoire de la vie. La victime – dont le sacrifice est nécessaire au retour du printemps – accepterait son destin parce que croyant à sa réincarnation future. Quoi qu’il en soit, la pièce ne commence pas directement par Stravinsky mais sur une musique du compositeur contemporain He Xuntian (né en 1953). On découvre des figures favorites de Yang Liping, en particulier les jeux avec les doigts (parfois couverts de doigtiers fluorescents).
Séduit dès ce prologue qui met en valeur la grâce et la discipline des danseuses (preuve que les deux peuvent s’accorder) on n’est pas déçu par le Sacre lui-même. Une marionnette géante représentant un lion dissimule sous sa vaste crinière l’unique danseur de la distribution, lequel incarne un être maléfique, libidineux et violent. Il court parfois sur la demi-coupe qui occupe le fond de scène, un plan courbe, susceptible de se redresser davantage et couvert d’une matière qui capte tous les jeux de lumière.
Les danseuses sont vêtues de combinaisons moulantes de diverses couleurs, sur lesquelles joue également la lumière, complétées ou non par une jupe longue. Les corps à corps entre la victime reconnaissable à sa combinaison dans les teintes rouges (comme le sang, bien sûr) et son bourreau ne sont peut-être pas la partie la plus réussie de cette chorégraphie – en tout cas ils déçoivent un peu, peut-être le danseur était-il une doublure ? – mais pas au point de devenir gênant et d’empêcher d’admirer grandement cette pièce, l’homogénéité du corps de ballet, le fluidité et l’inventivité de la chorégraphie.
Les saluts, à la fin, sont un moment délicat. On croirait que tout est fini mais non et la manière de saluer le public, de répondre aux applaudissements n’est pas sans influencer la perception que l’on gardera de la pièce. Les troupes de théâtre ont tendance à négliger, bien à tort, ces derniers instants de contact avec le public. Les danseurs leur accordent en général beaucoup de soins. C’est particulièrement le cas ici.
Festival de Fort-de-France, 12, 13 et 14 juillet 2025.