À la croisée des mondes Mondes africains

Ecrivains Africanistes et Coopération France-Afrique

Les indépendances en série de 1960 ayant été autant d’épisodes d’une décolonisation en trompe-l’œil, on ne s’étonnera pas que la langue française, après avoir franchi sans aucun péril ce cap, poursuive sa carrière de domination dans nos pays, s’appesantissant même plus lourdement qu’auparavant sur la vie des populations, en particulier du petit peuple sans défense. Critère d’appartenance ou d’aspiration à l’élite indigène, elle est aussi le meilleur instrument de domestication des esprits, si l’on songe par exemple que la seule presse capable d’influencer réellement en profondeur, c’est celle qui vient de France. Outil par excellence d’un impérialisme multiforme, elle favorise et même comble le sentiment de supériorité des agents de la domination française, en les dispensant ici d’un effort qui  leur est imposé partout ailleurs. L’Afrique Noire et la France, par les contingences de l’histoire de leurs peuples depuis cinq siècles, ont ainsi eu à nouer des contacts divers, caractérisés par des échanges culturels, économiques et sociaux. Dès lors, la coopération, comme le définit Roland Louvel est un « discours et une pratique ». C’est une forme d’aide à certains pays en voie de développement. Il sera question pour nous de cerner les différents contours de la coopération France –Afrique en ressortant la position de Roland Louvel tout comme celle des intellectuels,des écri-vains qu’il cite dans Quelle Afrique pour quelle coopération ? Ensuite nous présenterons les grandes idées qui découlent  de cet essai et enfin nous ferons un tour d’horizon sur les regards croisés et sur quelques perspectives.

1- Savoirs et différentes positions sur la coopération France-Afrique

– 1- Les savoirs

Il y a, à la date de parution de l’ouvrage de Roland Louvel, trente ans de  coopération entre la France et l’Afrique. La France se prête pour l’occasion de venir en aide à l’Afrique. Autrement dit, de permettre à l’Afrique de sortir du Sous-développement, d’améliorer les conditions de vie des populations tant sur le plan culturel, économique que politique.

Pour se faire, la métropole s’investit dans la création des ONG (Organisations Non Gouvernementales) qui sont permanemment présentes sur le terrain, pouvant aider considérablement dans l’établissement d’une politique cohérente de coopération à augmenter les compétences de conception, de réalisation, d’évaluation et de rassemblement des capitaux et de techniques pour les pays du Sud,  passant avant tout par la promotion de responsabilités locales dans le développement.

Aussi, l’une des données justifiant la coopération France-Afrique est-elle que l’Afrique donne à la France un statut de puissance internationale : La France ayant le statut convoité de membre permanent du conseil de sécurité des Nations Unies, a besoin des votes assez homogènes des pays africains pour soutenir sa diplomatie. De même, il y a entre la France et l’Afrique un héritage plus affectif qu’économique, puisque, sur le plan prospectif la relation avec l’Afrique n’est pas une priorité. Par ailleurs nous avons cette machine qu’on nomme « Francophonie » qui est un facteur  important dans le jeu international, ceci dans le but de mieux noyer les crimes occidentaux et faire croire aux colonisés d’hier qu’ils appartiennent à un même ensemble culturel, politique et économique. Avec la francophonie, les espérances politiques de nos peuples ont été le plus souvent soit trahies, soit mystifiées : pour la plupart d’entre nous, c’est un devoir quasi quotidien de le décrier très fort, de stigmatiser les dirigeants noirs qui ont accepté de se faire l’instrument du désespoir de notre continent. Mais c’est a fortiori aussi notre devoir de dévoiler la dénaturation, en Afrique francophone, de la mission que l’histoire semblait avoir assignée à la littérature africaine francophone : cette menace mortelle, c’est la censure.  Dans cette perspective, Mongo Beti, affirme : « Les appels, les sermons pressants, les institutions aussi riches soient-elles, n’y feront rien : la francophonie officielle est condamnée à être l’étendard de parade de plumitifs mercenaires et la risée des créateurs indépendants » (Mongo Beti, 2005 :126).

Si tels sont les enjeux de l’échange entre la France et l’Afrique, pour Roland Louvel, cette coopération est-elle une réussite ou le contraire ?

1- 2 – Une vision pessimiste sur la coopération France-Afrique

Roland Louvel est un Français né en 1944. Vu  la date de parution de son essai, il est à vingt et cinq ans de travail en Afrique Noire. Il est tour à tour « volontaire », consultant, prestataire indépendant, assistant technique de coopération privée ou publique.

Pour lui, « la coopération France-Afrique a été un échec  total tant sur le plan démographique que moral car à trente ans de coopération, le développement prévu n’a pas eu lieu. » (Louvel , 1994:12). Il pense que la France a marginalisé l’Afrique. Et la coopération, loin dans le but d’aider, vise «l’intérêt » de celle-ci : « L’exigence de la solidarité rejoint ici l’intérêt bien compris de la Nation … » (ibid : 28). C’est ce que font depuis des siècles, et aujourd’hui encore, les idéologies de la domination blanche, et particulièrement ceux qui opèrent au sein de la culture française. Seuls détenteurs jusqu’ici de la parole dans le complexe francophone, ils ne se sont pas privés de mettre à profit cette situation de métropole pour faire retomber sur les seuls Africains toute la culpabilité des désastres et des vices de l’inégale association où l’Occident nous a forcés d’être partie prenante. De ce point de vue, Mongo Beti écrit :

« Pourquoi nous a-t-on si longtemps pourchassés sur nos côtes, raflés jusque dans nos communautés de l’intérieur des terres, transportés au fond des cales, vendus à l’encan sur les marchés américains comme vil bétail, courbés sous le cruel soleil des plantations de coton, entassés et lynchés dans les ghettos de grandes villes industrielles, contraints aux travaux forcés sur les chantiers africains, assujettis à un système colonial inhumain d’abord, puis au pillage des firmes néocoloniales après les « indépendances », et aux dictatures que ces firmes sécrètent tout naturellement ?  Pourquoi ? parce que nous étions et sommes d’ailleurs toujours des sauvages à civiliser, des cannibales dont il convient de corriger les goûts pervers, des païens à convertir, des paresseux à transformer en producteurs » (Mongo Beti, 2005 :27).

 Malheureusement, ayant presque toujours seuls les moyens de se faire entendre, dans un climat politique général caractérisé par une contrainte diffuse ou brutale, où la liberté d’expression est toujours entravée, les idéologues du néocolonialisme ont réussi à faire passer de telles erreurs pour des vérités d’évangile, non seulement au niveau des pouvoirs politique et économique, dont l’intérêt pour le maintien et la diffusion de telles doctrines est bien évident ; mais même dans les sphères d’une certaine intelligentsia africaine.

De même, Louvel pense que l’Afrique n’est malade que du propre malaise de la France à son égard (Ibid. :12). Il croit qu’un effort de lucidité est plus que nécessaire pour cerner la façon dont s’élabore le savoir français sur l’Afrique. Dès lors, la France doit voir ce que recouvre sa « solidarité », sa « générosité », sa « rationalité » dite scientifique. Aussi, Roland Louvel croit-il qu’il n’y a pas de finalité dans une coopération où les deux partenaires dans les mêmes draps, poursuivent un rêve différent : la France qui vise l’intérêt et l’Afrique qui veut sortir du sous-développement. A ce point, que pensent les autres intellectuels cités par Roland Louvel ?

1- 3- Des positions divergentes

Dans Quelle Afrique pour quelle coopération ? Roland Louvel fait appel à plusieurs intellectuels qui  prennent des positions différentes en ce qui concerne la coopération France-Afrique. :

Victor Chesnault conseille à la France d’abandonner l’Afrique à son propre sort. (ibid :12) c’’est alors que dans un article paru dans Le Monde(1990), il pose la question suivante : « Que faire de l’Afrique Noire ? » Aussi,  considère-t-il que l’Afrique a déçu tous les espoirs de la France en n’étant pas à la hauteur de sa confiance d’où la célèbre formule de Raymond Cartier (1956)  : « la Corrèze avant le Zambèse. »( Louvel,  1994 :13)

Quant à René Dumont, il dénonce l’injustice d’un ordre mondial qui pille le tiers-monde et serait donc responsable du marasme de l’Afrique.

Jean-François Bayart dans un article titré « Afrique : la France a tout raté » (1993) déplore « le caractère profondément lamentable de la politique française en Afrique aussi bien de la gauche que de la droite où il conclut dans Jeune Afrique n°1684 (1993) : « l’Afrique de papa, ça suffit ! » (Louvel : 17).

Pour .J.P. Delalande, R.P.R, la France a intérêt à développer l’Afrique chez elle que de favoriser l’immigration. Tout de même, il postule que le politique de coopération ne constitue pas du gaspillage (gaspillages des ressources économiques de l’Afrique) elle est morale d’un point de vue humanitaire et indispensable au regard des droits de l’homme et de la démocratie. (ibid :39) (Pour ne citer que ceux-ci car la liste n’est pas exhaustive).

2- Quelle Afrique pour quelle coopération ? Inventaire des grandes idées sur la coopération France-Afrique.

Nous  nous proposons dans cette subdivision de mettre en exergue des idées qui, selon Roland Louvel, peuvent contribuer à l’amélioration de la Coopération entre la France et l’Afrique.

2- 1- L’effacement des préjugés sur l’Afrique

Il ressort dans cet essai que l’échec de la coopération France-Afrique est dû aux préjugés mentaux de la France sur l’Afrique : « l’Afrique  d’une certaine  manière, a toujours été une construction mentale dans notre imaginaire » (ibid. :21). La crise africaine est donc une crise de l’image collective que la France a de l’Afrique. Dès lors, pour mener à bien ce projet d’échange, l’on trouve que d’autres lunettes feraient voir à la France d’autres réalités : « Il s’agit de savoir comment s’édifie l’image que nous en avons et d’en mieux comprendre toutes les implications pour notre propre gouvernement et indépendamment de toute préoccupation d’assistance » (ibid. :23). La France  doit porter sur l’Afrique un regard plus juste au sens de justesse comme de justice, ceci par le renouvellement du vocabulaire et de thèmes porteurs.

2- 2- Le développement : des concepts sans fondement

La pensée développementale que vise la coopération charrie des concepts mal définis que les experts les plus scrupuleux prennent soin de manipuler à leur guise. Ce sont des concepts tels « appui », « durable », « soutenable », « moderne » … Ces notions se fondent dans un paysage où plus personne ne songe à vérifier leur légitimité. Malgré le fait qu’elles constituent le fond de commerce des spécialistes du développement, la situation en Afrique n’a guère évolué depuis l’entre- deux- guerres. Ainsi, on est passé  de la « mise en valeur » au « développement » et les « indigènes » sont devenus des « africains ». Mais la grille de lecture n’a pas  modifiée ses perspectives derrière ces concepts qui sont apparus dans le sillage de « l’impérieuse nécessité du développement ». En fait, il s’agit tout simplement de montrer que ces concepts n’ont aucun fondement scientifique d’où un renouvellement du vocabulaire est nécessaire car le discours devrait s’accompagner de l’acte (ibid. : 86-89).

2- 3- La poursuite de l’économie par le don

Roland Louvel postule dans Quelle Afrique pour quelle coopération ?¸que le don est un élément de la politique économique. Car le geste individuel en apparence libre, peut intérioriser une nécessité qui pèse sur toute la société : « Dans ce cas, le chassé-croisé du collectif au privé brouille les pistes et nous permet de gérer les pauvres à distance tout en préservant, dans une large mesure, notre bonne conscience morale » (ibid. :144).  Il s’agit d’une manière de concevoir  les relations économiques internationales en faisant admettre le don comme un élément de la politique interétatique étant donné que la gratuité est devenue nécessaire pour maintenir en état de marche  l’économie mondiale. A ces quelques idées choisies parmi tant d’autres, il importe pour nous de faire un tour d’horizon sur les regards croisés et perspectives.

3- Les regards et perspectives sur la coopération France-Afrique

 

3- 1 Regards sur l’Afrique

A ce niveau, Roland Louvel affirme : « Nous sommes orphelins d’un vieux schéma de penser devenu cadre car l’Afrique est d’abord et toujours une image purement virtuelle issue du prisme déformant d’un regard occidental » (ibid :194). Ceci parce que depuis longtemps, les intellectuels africains estiment que le nègre est une création du blanc. Partant, Louvel croit qu’un nouveau regard pourrait tendre vers une meilleure maîtrise de l’Afrique. Car l’une des causes de l’échec de la coopération se justifie sur des images et sur des représentations faites de cette dernière.

Nous notons ailleurs que les Africains confortent les stéréotypes français ne serait-ce qu’en s’abstenant de les critiquer. Ne dit-on pas souvent que qui ne dit mot consent ? On dirait que les Africains et les Européens partagent un certain nombre de secrets dont ils tiennent solidairement à s’empêcher  le dévoilement d’où le refus de désiler les yeux des Européens sur leur façon de regarder l’Afrique.

En outre, il y a eu des égards pour la femme noire. Nombreux sont les Européens qui ont su lui rendre un juste hommage. A l’instar du couturier Yves Saint-Laurent qui décrit ses mannequins noirs en célébrant la profondeur de la couleur de leur peau  qui fait ressortir davantage l’intensité des couleurs « j’aime leurs expressions, l’éclat de leurs yeux, leurs lignes longues et la souplesse irrésistible de leur manière de bouger » (Ibid. :163).  Jean Paul Gaude n’est pas du reste quand il rend hommage à la beauté de la peau noire : « c’est le sombre qui m’inspire … Une peau brune me donne le chant comme l’ocre met en valeur certaines couleurs. C’est vrai que les peaux noires sont sublimes »(ibid. :136).

Sous un autre angle, d’autres trouvent  qu’elle est un objet de désir, un enjeu  de pouvoir entre l’homme noir et l’homme blanc qui ne saurait  dominer  un pays sans s’approprier, au moins ses femmes. A présent qu’en est-il des perspectives ?

3- 2- Perspectives des auteurs africains

Djibo Bakary, né au Niger, affirme dans Silence on décolonise … que « c’est le pire qui a été choisi par la France : ni indépendance ni développement ! ».( ibid :203) Il pense que l’identité africaine, la démocratie, le panafricanisme sont les seuls ingrédients qui feront démarrer le continent noir et conseille à la jeunesse d’aujourd’hui de connaître son passé.

Pour le zaïrois M. David Kabala, l’on doit respecter la perpétuation de toutes les espèces vivantes en mettant en œuvre une stratégie de développement viable. Ceci en accordant une place importante à l’analyse des relations entre environnement  et acteurs sociaux dans l’intérêt à long terme des  populations. Car Edgar Morin confirme que le développement reposant sur les valeurs occidentales ignore « les qualités du milieu, la qualité de vie, (…) sa démarche balaie les trésors culturels et les connaissances des civilisations archaïques et traditionnelles » (Morin, 2002 :22).

Mongo Beti dans Branle-bas en noir et blanc, relève les faits qui alimentent l’échec au développement de l’Afrique. C’est par exemple le laxisme du gouvernement face aux injustices.  Par l’exemption de punition, l’Etat encourage les détournements, la corruption et bien d’autres maux qui sont le goulot d’étranglement du développement africain. Parlant de la démocratie, il dit : « Il y a une loi interdisant l’exploitation des grumes… mais elle est restée lettre morte parce que le Chef d’Etat  en retarde sans cesse l’exploitation, il a tous les pouvoirs, même celui d’annuler une loi votée par son parlement… Les grumes sont toujours acheminées par milliers chaque jour vers le grand port » (Mongo Beti, 2000 :136). Autrement dit, la démocratie en Afrique n’est que de nom. C’est la « voyoucratie » comme le déclare un personnage de Branle-bas en noir et blanc, une pseudo-démocratie qui chaque jour qui passe ne fait qu’accentuer l’illusion du développement. Car il n’y a qu’un seul pôle de décision : le Chef de l’Etat. L’auteur montre quelques raisons pour lesquelles les Noirs ne sont pas développés. En Afrique, on ne mène pas d’action avec rigueur car le climat et la situation géographique sont « endémiques ». Les Africains ne subissent pas les ravages des catastrophes naturelles. Le même personnage de Mongo Beti, Eddie ajoute : « Il y en a d’autres à travers le monde d’entier qui se sont trouvés dans la même choucroute que nous, et qui n’ont pas pédalé en vain… Les Japonais, les Coréens… » (Mongo Beti, 2000 :203). En fait donc, le retard des Africains dans l’ambiance du développement est dû à l’absence de dynamisme. Ceux-ci ne copient pas l’exemple des Asiatiques qui « n’acceptent pas de jouer les petits dictateurs au service de l’Occident ». L’archistructure romanesque de Mongo Beti n’est qu’un prétexte pour mettre sous cape une diatribe acerbe qui dépasse le cadre africain et va jusque dans la coopération France-Afrique. Mongo Beti, parlant de cette coopération bilatérale n’y trouve pas un point positif, mais plutôt  s’investit à montrer les éléments de l’échec qui se voit à l’horizon. Pour lui, cette coopération est un voile utilisé par la France pour endormir et  plonger l’Afrique dans les ténèbres ; ce sont des relations qui , au lieu d’être ceux de l’échange, sont empreints d’iniquité. On en veut pour preuve  cette interrogation : « Comment prétendre coopérer avec un peuple sans parler la langue où il baigne depuis des millénaires ?… La francophonie est un concept mensonger… qu’est-ce que le mensonge sinon un synonyme  de la politique ? » Autrement dit, la France utilise la francophonie comme une politique pour imposer sa culture à l’Afrique. A ce titre, Mongo Beti écrit :

 « Un observateur européen influencé par la ronflante rhétorique de la « coopération franco-africaine » pourrait se figurer, en débarquant en Afrique francophone, qu’il verra l’allégorie du français courant au-devant des Africains, s’offrant au citadin dans la rue avec l’impudeur des filles publiques, couvrant de caresses frénétiques poètes, dramaturges et romanciers de langue française, importunant le cultivateur et le pêcheur, par le truchement de la radio et de la télévision, jusque dans leur masure de la brousse » (Mongo Beti, 2005 :87).

En plus, Le Corse (un personnage) dira « La France prend plus qu’elle ne donne à l’Afrique » (Mongo Beti, 2000 :141). Cette dernière aurait évité cet état de chose si elle avait de bons leaders mais malheureusement conclut Le Corse : « L’Afrique manque de vrais leaders, voilà le drame » (Ibid.).

Par ailleurs, dans ces relations, la France n’a d’yeux que pour voir les erreurs et les manquements de l’apport de l’Afrique. De ce fait, le procureur peut dire « les médias de là-bas, qui voient bien la paille dans nos yeux ignorent la poutre des leurs » (Mongo Beti, 2000 :328). Nous pouvons faire notre ces paroles d’Eddie : «  L’avenir de l’Afrique c’est l’expérience…Les diplômés, on y a trop cru ici, ils sont entrain de montrer leurs limites. En fait ils sont nuls » (Mongo Beti, 2000 :322).Même le bilan des écri-vains est négatif. En effet, ce roman ne fut qu’un tremplin pour révéler les actes posés à l’ombre qui mènent l’Afrique à la dérive.

En 1991, parait aux éditions L’Harmattan à Paris, un essai ayant pour titre : Et si l’Afrique refusait le développement ? Cette analyse, faite par Axelle KABOU, montre que le mal de l’Afrique est d’origine mentale, voire culturelle. Ce sont les Africains eux-mêmes, dit-elle, qui entravent l’Afrique et qui refusent le développement. L’Afrique souffre surtout de la mentalité de ses dirigeants qui refusent le développement. Des voix plus autorisées ont tenté d’apporter, chacune, une solution au problème de l’Afrique. Malheureusement, le mal est si coriace et si profondément enraciné qu’il perdure encore. En fait, la complexité du problème exige des solutions multiformes et originales. Alors, il devient impérieux de parer avec une efficacité constamment maximale à l’escalade sans cesse menaçant d’une confrontation explosive entre l’illusion de coopération franco-africaine et l’obscénité quotidienne du pillage, qui veut dire protection jalouse des dictatures impitoyables ne reculant pas même devant le génocide. Pour cette parade, il faut inventer une sorte d’institution occulte, à la nature ambiguë, mi-figue mi-raisin, mi-police d’intimidation mi-agence de corruption. Et Mongo Beti de dire :

« Et voilà toute l’atmosphère de ce qu’on appelle la coopération franco-africaine accablée par la tension chronique d’une conspiration sous-jacente dont le centre, pour parodier une formule célèbre, est partout et la circonférence nulle part, par la grâce de quoi rien n’est naturel, même si tout paraît normal. Elle frappe d’un soudain mutisme les éloquences les plus volubiles, transforme des vertus en fleurs de trottoirs, pétrifie mystérieusement des dynamismes jusque-là turbulents, contraint à d’étonnantes palinodies des sages jusque-là émules d’un Socrate, fait de jeunes espoirs aux ambitions effrénées de vieilles roses avachies » (Mongo Beti, 2005 :22).

On a ici toute la forfaiture de la coopération franco-africaine. Cette dernière comme l’indiquait  en 1964 Georges Pompidou, au-delà de servir au prestige de la France, « a également des raisons économiques et politiques… La France n’a aucune raison de cacher qu’elle souhaite maintenir en Afrique une certaine influence, une certaine présence politique, morale et culturelle ». Et aussi militaire : les accords de défense et les accords de coopération militaire permettent de maintenir des troupes coloniales dans des pays dits « indépendants ». A l’évidence, et Mongo Beti le fait remarquer avec justesse, la coopération ce sont des « opérations » françaises en Afrique. D’ailleurs, comment des pays peuvent-ils se dire indépendants et voir leurs avoirs financiers contrôlés par le Trésor français ? Cette politique de domestication de l’altérité est aussi remarquée dans la prise en otage de la mémoire des indigènes, devenus entre temps « peuples de couleur ».

3- 3- Perspectives des auteurs français

Selon Jean Luc Camilleri, né en 1948, le développeur  est un homme pressé mais qui n’a pas à sa disposition d’outils lui permettant de faire des analyses rapides et fiables. C’est alors que le « développement » est perçu par des bénéficiaires comme « la chose du blanc qui passe comme le vent ». S’appuyant sur une expérience de terrain en milieu malien, l’auteur propose dans Dialogue avec la brousse, une « méthodologie simplifiée » qui allie le qualitatif au quantitatif pour identifier le dynamisme et les potentialités des communautés villageoises.

A l’heure où bon nombre de commentateurs mettent en doute la réalité de l’expérience démocratique en Afrique, Thierry Perret, journaliste à Radio France Internationale, dans Afrique : Voyage en démocratie, vante ses avatars. Il rappelle que l’Afrique a bel et bien vécu depuis 1990 une « césure historique ».

 

En définitive et au vu de tout ce qui précède, nous pouvons dire sans ambages que la coopération a suscité un aveuglément collectif tant chez les français que chez les africains. Du côté des Français, leur vision stéréotypée est insensible aux démentis que les réalités  africaines lui  infligent. Chez les Africains, la coopération a endormi le Noir sur tous les plans et l’a rendu paresseux. Ce Noir résigné à attendre la manne tombée du ciel. Toujours est-il comme l’affirme justement Serge Latouche  cité par Edgar Morin dans le Monde diplomatique  de mai 2001 : « les valeurs occidentales du développement sont  précisément celles qu’il faut remettre en question pour trouver solution aux problèmes du monde contemporain ». De ce point de vue, il faut signaler que les pouvoirs franco-africains organisent donc le vide, le silence morose, le côtoiement des individus, des groupes, des catégories, des ethnies, jamais leur dialogue et leur interprétation, en un mot l’obscurantisme. Broyés par des institutions culturelles dont la fatalité est de nous aliéner, nous prétendons créer une littérature qui soit l’expression authentique de notre moi collectif. La leçon de cette histoire ? Comme nous l’avons toujours dit ici, les plus mauvais défenseurs de la coopération franco-africaine, ce sont les Français. Gardons-nous surtout de leur laisser le leadership de la francophonie, à moins que celle-ci ne soit pas autre chose qu’un front original de l’expansionnisme français.

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