Dufy (Le Havre, 1877 – Forcalquier, 1953) est-il passé de son vivant à Aix ? Si rien ne le prouve, il a bien séjourné dans la région sur les traces de Cézanne découvert en 1907 lors d’une grande rétrospective parisienne, peu après la mort du maître d’Aix (1839-1906). On lui doit de cette époque des tableaux « à la manière de » dont quelques exemples sont présentés lors de l’exposition d’Aix. Mais la carrière de Dufy ne s’arrêtera pas là. Elle avait commencé par une formation académique dont témoigne un autoportrait de belle facture au début de l’exposition (à comparer avec un autroportrait plus tardif – chacun jugera), puis une période « fauve » sous l’influence de Matisse (e.g. la Vue d’une fenêtre ouverte de 1913).
Si l’influence cézannienne se fera sentir avec des bonheurs divers pendant de nombreuses années, Dufy sut s’imprégner des diverses écoles qui marquèrent sa longue carrière de peintre (voir la perspective cubiste du tableau Maison et jardin datant de 1915). Avec son ami d’Othon Friesz, Français en dépit de son nom, et Normand comme lui, il ira se frotter aux expressionnistes allemands avant le déclenchement de la deuxième guerre mondiale. Les œuvres colorées, aux formes imprécises, à dominante de bleu, qui font le renommée de ce peintre, seront celles de la maturité. « Seul le bleu conserve sa propre individualité », a-t-il écrit.
De Dufy toujours : « Peindre, c’est faire apparaître une image qui n’est pas celle de l’apparence naturelle des choses, mais qui a la force de la réalité » : il n’y a pas de meilleure définition de l’art moderne. Encore convient-il d’ajouter que nombre d’aspirants artiste désireux de suivre ce programme se sont cassé les ailes et que de facilité en facilité « l’art moderne » s’est mué en un « art contemporain » qui, hélas, ne ressemble souvent plus à rien !
On peut voir à Aix une série de marines, pas nécessairement les plus connues, par exemple des vues de fêtes nautiques comme celle intitulée Fête maritime et visite officielle au Havre (1925), avec une accumulation d’embarcations, voiliers, chaloupes de la « Royale » aux avirons dressés, plus quelques bateaux plus imposants dûment pavoisés. Parmi les autres œuvres de la même vaine, on appréciera sans doute particulièrement, moins brouillonne, la vue de La Jetée de Honfleur (1928), retenue pour l’affiche de l’exposition.
Toute personne entrée une fois au Musée d’art moderne de la ville de Paris (face au Palais de Tokyo) est restée saisie devant La Fée électricité (décrétée « plus grand tableau du monde »). Si cette œuvre effectivement gigantesque (600 m²!), conçue pour l’Exposition internationale de 1937 et qui a trouvé sa demeure éternelle au MAM-Paris, n’a évidemment pas été transportée à l’hôtel de Caumont, qui aurait été d’ailleurs bien en peine de l’accueillir, elle y est néanmoins visible grâce à une vidéo projetée sur les trois murs de la dernière salle et qui aide à en décrypter tous les détails.
L’exposition aixoise dans le site exceptionnel de l’Hôtel de Caumont donne à voir l’évolution de la manière du peintre depuis l’académisme des débuts jusqu’aux dernières marines, presque naïves, immédiatement reconnaissables. Deux grands portraits de femme, une nymphe portant une conque et une baigneuse en maillot à la peau cuivrée et au visage en forme de masque (qui pourraient toutes deux sortir des pinceaux d’un Picasso) sont des rares hommages du peintre à l’autre sexe. Des tableaux, plutôt des esquisses, de l’atelier de Perpignan sont les seuls qui pourraient aider à entrer dans son intimité.
On pourra également admirer des céramiques du maître et ses gravures illustrant des ouvrages d’art, comme une précieuse édition du Bestiaire de Guillaume Apollinaire (1911).
Raoul Dufy, l’ivresse de la couleur, Hôtel de Caumont, Aix-en-Provence, du 6 mai au 18 septembre 2022.