Des sculptures en bronze coloré qui se détachent sur un décor de street art, des personnages représentant divers métiers, diverses occupations, tout un monde pittoresque et plein d’humour.
Jean-Jacques Mancardi est connu de longue date des amateurs pour ses sculptures en taille directe dans le marbre de Carare, des représentations partielles du corps humain, grandeur nature, des visages finement travaillés, des christs en croix, des figures avec parfois des morceaux laissés à l’état brut, souvent incomplètes car il fallait s’adapter au mieux aux dimensions de la pièce de marbre. Quand on parcourait alors son atelier de La Roque d’Anthéron ou ses expositions, on pouvait avoir l’impression devant les visages aux lignes parfaites mais souvent tronqués, inachevés de visiter un champ de fouille d’où auraient surgi les œuvres malmenées par le temps d’un lointain Praxitèle brutalement interrompu dans son travail (1).
Jean-Jacques Mancardi n’était pas venu au marbre directement. Né en 1968 à Antibes, Compagnon du tour de France, maréchal-ferrant et forgeron de métier, son matériau fut d’abord l’acier, avant qu’il ne vienne au marbre en 1997. Cependant cette période-là aussi prit fin, en 2016. Il y a en effet deux sortes d’artistes, ceux qui creusent inlassablement le même chemin avec le volonté de s’y perfectionner sans cesse ou, plus trivialement, de continuer à exploiter un filon rentable, et ceux qui ne se satisfont pas de la routine, même s’ils ont atteint la perfection, qui éprouvent un besoin irrésistible de se renouveler. Ainsi de Jean-Jacques Mancardi qui a délaissé le burin pour travailler désormais la cire et fabriquer des figures qui seront coulées en bronze, patinées et pigmentées à chaud, des personnages en réduction (le plus souvent d’une dizaine de cm de haut, parfois plus, jusqu’à près d’un mètre), avec une étape intermédiaire au cours de laquelle il fabriquait des sculptures en bronze qui restaient dans la même veine à la fois classique et moderne que ses travaux sur le marbre (2).
Désormais, cependant, il ne signe pas seul ces nouvelles œuvres. Jean-Jacques a toujours eu à ses côtés sa compagne Christine Barras, née à Aix-en-Provence en 1962, sculpteur elle aussi, qui s’est fait connaître pour sa part par ses oiseaux aux lignes très pure. Elle a suivi le même itinéraire, travaillant d’abord le marbre avant de passer au bronze (voir les articles cités en notes). Jean-Jacques et Christine qui signent « Mancardi 2 » depuis 2022 sont associés dans la création des personnages en bronze que l’on peut admirer dans l’exposition d’Aix-en-Provence (et dans diverses galeries en France ou en Europe), reconnaissables aux attributs d’une profession ou d’une activité quelconques (du graffeur au médecin en passant par le sportif ou le musicien), souvent situés dans un décor à l’instar des ouvriers juchés sur une poutre au-dessus du vide comme sur la photo Lunch atop a Skycraper de Charles Clyde Ebbets (1932) (3).
Ces sculptures à la cire perdue retravaillées en couleurs contrastent avec les œuvres en marbre des deux artistes, les figures aux formes idéales d’antan laissant désormais la place à des personnages traités sur le mode réaliste, avec des visages souvent à la limite de la caricature. Il est intéressant de s’interroger sur le succès qu’elles rencontrent auprès du public, tant lors des salons que dans les nombreuses galeries où elles sont exposées, en France et jusqu’en Grèce. L’attrait pour des pièces uniques ne peut manquer de jouer auprès des collectionneurs, néanmoins leur marché dépassant de beaucoup celui de ces derniers, il faut chercher d’autres explications. Leur petite taille est un atout incontestable pour qui veut les garder sous les yeux (on peut les poser ou, le cas échéant, les accrocher facilement n’importe où) mais de nombreux artistes proposent des sculptures en bronze de dimension restreinte. Deux éléments semblent plus déterminants. D’abord leur facture souvent proche, on l’a dit, de la caricature en fait des objets ludiques, propres à séduire un large public. Cependant le coup de maître des deux artistes consiste sans doute à présenter à chacun une image de soi-même ou de celui à qui on l’offrira. Dans le premier cas, si un acheteur choisit la sculpture d’un représentant de sa propre profession, on rejoint la démarche des donateurs des tableaux religieux du Moyen Âge, puis des aristocrates et même des bourgeois qui voulaient se voir en peinture : une forme de narcissisme qui consiste à se prendre soi-même comme objet d’admiration ou de fierté à travers une œuvre d’art. Si une telle pratique est devenue rarissime avec l’avènement de la photographie, le narcissisme n’a pas disparu pour autant, aussi n’est-il nullement anormal de se laisser tenter par une œuvre qui nous renvoie une image plaisante de nous-mêmes. Non que la clientèle de Mancardi 2 se limite à de tels acheteurs. La qualité de leurs sculptures à la fois réalistes et empreintes de fantaisie peut séduire n’importe quel amateur sans qu’il ait nécessairement besoin de s’y trouver représenté.
Mancardi 2, Bronze et Graff, Galerie les Amis des Arts, Aix-en-Provence, « 30 août – 12 septembre 2024.
(1) https://mondesfrancophones.com/expositions/jean-jacques-mancardi-modernite-du-classicisme/
(2) https://mondesfrancophones.com/expositions/innover-pour-mieux-se-retrouver-jean-jacques-mancardi-et-christine-barras/
(3) Sur la photo en tête de l’article on remarque que le graffeur tient un pochoir sur lequel est inscrit MANC2 ‘pour Mancardi 2