L’exposition Jean Daret (Bruxelles 1614-Aix-en-Provence 1668), à Aix jusqu’au 29 septembre, vaut autant pour la connaissance du peintre que pour celle du riche patrimoine religieux du XVIIe siècle conservé dans les églises de la ville et de sa région. À l’exposition du Musée Granet est associée en effet un « parcours » des églises où se trouvent installées des œuvres remarquables de Jean Daret et de son fils Michel (1640-1725), de Nicolas Mignard (1606-1668), de Pierre Puget (1620-1694), de Reynaud Levieux (1613-1699) et de quelques autres. Tandis que certaines autres œuvres appartenant également à des églises sont accrochées au musée aux côtés de celle de Daret, après avoir bénéficié d’une campagne de restauration liée à l’exposition. Enfin, on ne saurait oublier de signaler, en préambule, que cette exposition coïncide avec la réouverture au public, après une longue période de restauration, de la principale œuvre civile de Daret, souvent considérée comme son chef d’œuvre – l’escalier en trompe-l’oeil de l’hôtel de Châteaurenard (1654) – loué, dit-on, par Louis XIV qui logea dans cet hôtel lors de son séjour aixois en 1660, au point qu’il s’en inspira, dit-on toujours, pour l’escalier des Ambassadeurs, à Versailles (maintenant détruit).
Le catalogue – outre qu’il constitue un catalogue raisonné de l’ensemble de l’œuvre connue de Daret, y compris, donc, celles qui ne sont pas venues à Aix – offre des aperçus intéressants sur les conditions matérielles d’existence d’un peintre de bonne renommée, nommé « peintre du roi » (membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture) en 1663, bénéficiant de nombreuses commandes mais chargé de dettes au point qu’il dut se séparer de la maison qu’il avait fait construire dans le nouveau quartier d’Aix de l’époque, le quartier Mazarin. Il reste néanmoins de nombreuses énigmes concernant la vie de Daret, dont celle concernant deux séjours à Rome à propos desquels on n’a aucune preuve.
On apprend également des choses sur la fortune de la capitale de la Provence au Grand Siècle, celle des parlementaires qui firent construire de somptueux hôtels richement décorés et celle des nombreux ordres religieux au temps de la contre-réforme catholique, qui se faisaient concurrence en commandant des ornements pour leurs églises. Autant de recettes en perspective pour les peintres comme pour les architectes, les sculpteurs, les doreurs (1).
L’exposition elle-même présente donc un ensemble d’œuvres de Daret (peintures, dessins, gravures), parfois en regard d’œuvres comparables d’autres artistes. On repère les influences flamandes dans les costumes, les fleurs et italiennes dans les paysages, les clairs-obscurs. Clair-obscur, par exemple, dans l’autoportrait (daté de 1636, l’année du Cid, celle aussi où le peintre s’installe à Aix). Ce tableau (n° 1 du catalogue) est resté à l’Hermitage (on se doute qu’il y a peu d’échanges avec la Russie, ces temps-ci…) mais, sur la base de cet autoportrait, les experts s’entendent pour reconnaître les traits du peintre dans au moins deux des tableaux exposés à Aix.
La première œuvre qui frappe en entrant est une grande Crucifixion venue de la cathédrale d’Aix, la lumière tombant du haut du tableau à gauche. Dans la même veine et de la même année, une Lamentation (ou Déploration) éclairée par une chandelle en position centrale. Tous les tableaux religieux ne sont pas de la même eau. On a peine, par exemple, à reconnaître la patte d’un grand peintre dans la série réalisée pour la chapelle de l’Association de la Sainte Famille (1648-1653), à Aix. Les visages stéréotypés des saintes comme des saints ne sont pas sauvés par le travail pourtant honnête sur les costumes. Même constat pour la Mort de Saint Joseph (1649) dont la comparaison avec les mêmes sujets traités par Mignard et Levieux n’est pas à l’avantage de Daret, ou pour les Vierges à l’enfant des trois mêmes peintres.
S’il y a néanmoins de belles réussites, tant religieuses que profanes, on remarque que les plus beaux tableaux datent de la jeunesse du peintre, à la jonction entre ses périodes bruxelloise et aixoise : les deux musiciens – le Joueur de guitare (dans lequel on reconnaît les traits de Jean Daret), la Joueuse de luth (seul tableau dans lequel on repère un semblant d’érotisme) – le portrait d’un procureur général au parlement de Provence (sourire en coin et la robe rouge de son office). Parmi les exceptions plus tardives, on note un Ange gardien de 1647, très romain de facture (voir ci-dessus l’affiche) et un portrait réaliste renouant avec la manière flamande, daté de 1661 (Portrait de Robert du Pille en chasseur, les animaux peints par Nicasius Bernaerts) qui clôture l’exposition.
On ne saurait finir sans mentionner le tableau le plus extraordinaire de cette exposition aixoise, pas de Daret mais de Jean-Pierre Crozier (vers 1623/1626-1658), qui ornait le maître-autel de la chapelle des Saints-Innocents de l’église de l’Oratoire à Aix. Ce tableau daté de 1654, qui montre l’Enfant Jésus ressuscitant les Saints-Innocents vaudrait à lui seul une visite de l’exposition s’il n’y en avait bien d’autres qui lui disputent le première place.
Jean Daret, Peintre du Roi en Provence, Musée Granet, Aix-en-Provence, 15 juin – 29 septembre 2024.
Catalogue sous la direction de Jane MacAvock, Aix-en-Provence, Musée Granet et Paris, LienArt, 2024, 272 p., 39 €.
(1) Pour compléter la découverte de l’art à Aix au XVIIe siècle, le musée du Vieil Aix propose l’exposition « Aix au Grand Siècle » qui durera jusqu’au 5 janvier 2025.