Les Francophonies de Limoges, dotées d’un nouveau directeur, Hassane Kassi Kouyaté, et rebaptisées Les Francophonies – Des écritures à la scène, offrent désormais deux festivals dans l’année : Les Zébrures de printemps et Les Zébrures d’automne. Quelques impressions d’un trop court séjour au festival d’automne.
Les leçons de vie de Sonia Ristic : Pourvu qu’il pleuve, M.E.S. Astrid Mercier
Les « pièces de restaurant » ne sont pas une exception au théâtre. On peut citer ainsi comme particulièrement remarquable Saigon de Caroline Guiela Nguyen. Pourvu qu’il pleuve qui se déroule également dans un restaurant séduit grâce à l’énergie de la mise en scène, laquelle fait passer les moments trop fréquents où l’auteur explique sa conception de la vie bonne, une conception d’ailleurs assez contradictoire puisque l’un des personnages invite au mouvement tandis qu’une autre appelle à se concentrer sur l’ici et le maintenant. Le défaut de l’écriture de cette pièce, en effet, est trop souvent d’expliquer au lieu de montrer. Trois serveuses et deux cuisiniers se racontent et défendent leurs points de vue. Par exemple l’un des cuisiniers, d’origine kurde, ne cesse d’engager son collègue, kurde également, à la fidélité à sa communauté et au mariage avec une fille de son peuple, comme il convient, selon lui, à un homme responsable, tandis que le second prône symétriquement la liberté, seule valeur qui vaille à ses yeux.
Heureusement, le couple de clients, lui, ne théorise pas. Il expérimente devant nous la difficulté de faire vivre une passion dès que diffèrent les objectifs des deux amants. Leurs scènes sont de loin les plus fortes, au-delà même de celles où sont évoqués les attentats du 13 novembre 2015 (la pièce est située dans un restaurant parisien proche des fusillades).
On aime également dans cette pièce la direction d’acteurs. Des trois comédiennes interprétant les serveuses, en particulier, dont les postures incongrues créent d’agréables diversions. Par rapport à la lecture publique de Pourvu qu’il pleuve à laquelle nous avions eu l’occasion d’assister au début des répétitions de l’équipe menée par A. Mercier, le résultat du travail accompli avec ces trois comédiennes est spectaculaire.
Avec Grégory Alexander, Jann Beaudry, Alexandra Déglise, Jérémie Edery, Ricardo Miranda, Karine Pédurand (dans le rôle de l’amante tenu par Daniely Francisque lors de la lecture), Maleïka Pennont.
Si gentils ! Etranges étrangers de Joshua Sobol, M.E.S. Jean-Claude Berutti
On attendait beaucoup de cette pièce d’un auteur israélien renommé en particulier mais pas seulement pour son goût de la polémique. Sans parler de polémique, on s’attendait à plus de cri et de fureur dans une pièce confrontant un vieil israélien qui perd la mémoire, son auxiliaire de vie roumaine et l’amant africain de cette dernière. Mépris du vieux autant à l’égard du Noir que de son esclave roumaine, ressentiment de l’auxiliaire de vie envers son patron trop gâté par la vie (quand elle la compare à la sienne), haine du Noir envers des Israéliens peu accueillants en général à l’égard de ses frères de couleur. Sans parler des sentiments pour le moins ambigus qui peuvent gouverner les rapports amoureux entre un Noir à la situation précaire et sa maîtresse blanche.
Tout cela aurait pu faire une pièce à forte tension, ce qui n’aurait pas empêché, si l’auteur y tenait, une réconciliation générale. Hélas, Etranges étrangers baigne dans les bons sentiments du début à la fin. Alors on se contente d’admirer le décor (très réussi) et d’observer le jeu plus ou moins juste des comédiens. Et – au cas où l’on ne le serait déjà – l’on sort sensibilisé au destin 1) des vieux des pays riches, 2) des Européens de l’Est issus de pays moins riches et 3) des immigrés d’origine africaine encore plus pauvres. On sort surtout déçu d’une telle occasion manquée. On voit beaucoup de pièces sur les migrants, en ce moment, un genre auquel Etranges étrangers se rattache à un double titre (la Roumaine et l’Africain). Ces pièces muselées par le politiquement correct sont rarement des réussites.
Les deux comédiens « migrants », Mireille Bailly et Roger Atikpo, n’en sont pas moins très justes. La première a même bien failli, par moments, nous émouvoir… mais le texte ne lui en laissait pas le temps. Quant au « patron », Mathieu Carrière, s’il ne manque évidemment pas de métier, il nous a semblé un peu trop fringant dans ce rôle.
La langue de la pièce est une cause supplémentaire, et non des moindres, de notre déception. Car la note d’intention insiste aussi bien sur les « baragouinages » du texte hébreu original, conséquence des interactions entre un vieillard qui perd son vocabulaire et deux étrangers, que sur les efforts des deux traducteurs pour rendre ces « baragouinages ». Force est pourtant de constater que ces efforts ne conduisent guère au-delà du « petit nègre » des cours de récréation…
Virtuose ! The Puppet-Show Man : Yeung Faï
Si l’on peut parler de virtuosité, c’est bien à propos du marionnettiste chinois Yeung Faï. Parce que si nos marionnettistes à nous sont créatifs, inventifs, capables de nous émouvoir, force est de reconnaître qu’ils ne font pas le poids, question technique, comparés aux Asiatiques. La virtuosité n’est pas (simplement) un don ; elle n’existe pas sans un énorme travail. Cette même application, ce même sérieux dans l’apprentissage qui expliquent que les Chinois soient capables de dépasser les techniques occidentales qu’ils copient, et qu’ils raflent les premiers prix des concours de piano ou de violon, éclaire ce que virtuosité veut dire à propos d’un marionnettiste comme Yeung Faï.
Les enfants qui sont encore moins à même que nous d’évaluer ses prouesses techniques, prennent leur plaisir en regardant des combats où le gentil triomphe toujours. Pour l’adulte – enfin pour l’adulte pacifique – le Puppet show deviendrait vite fastidieux s’il n’y avait cette impressionnante virtuosité. Qu’on en juge : Le premier tableau présente la lutte entre une souris et un moustique qui l’empêche de dormir. Ensuite s’enchaînent les combats entre humains, guerriers ou … amoureux : il faut voir comment la jeune beauté renvoie dans les roses son vieil « amant » (à prendre au sens du XVIIe siècle ?) … avant de succomber (ouf ! pour les gérontes). Le spectacle se clôture sur un dernier combat, entre un tigre (heureuse diversion) et un homme.
Peut-on revenir un instant à la comparaison entre la Chine et nous ? Certes, les Chinois sont les plus forts et sont en passe de devenir « l’hégémon » au niveau mondial. Dont acte. Mais la technicité, la virtuosité ne sont pas tout. Dans le Puppet show, le spectateur adulte ne peut s’empêcher de trouver les duels bien répétitifs. Et nous avons remarqué que l’attention de certains enfants eux-mêmes avait tendance à se dissiper avant la fin d’un spectacle qui ne dure pourtant que trois quarts d’heure. Nous l’avions noté dans une précédente chronique consacrée au même artiste. Aussi devons-nous saluer les efforts qu’il a accomplis depuis pour « théâtraliser » davantage son spectacle en se montrant par exemple au-devant de son castelet, des diversions pleines d’humour qui interrompent agréablement les scènes de « bagarre ».
Le point fort du Puppet show, on l’a suffisamment dit, tient à la virtuosité du marionnettiste. Pour les exercices les plus difficiles l’artiste a besoin de ses cinq doigts pour animer une marionnette à gaine, (la tête et quatre membres) : on imagine la dextérité que cela suppose ! Cela explique au demeurant la petite taille de ces marionnettes qui doivent se mouvoir « comme les doigts de la main » (à ceci près que nous – commun des mortels – serions bien évidemment totalement incapables de nous servir de nos doigts comme le maître. Un mot, enfin, pour souligner la beauté plastique des marionnettes, l’expressivité des visages et l’élégance des costumes.
Nouveau cirque : Dany Ronaldo dans Fidelis Fortibus
Les clowns désormais ne se donnent plus des coups de pied aux fesses entre deux numéros plus prestigieux. Qui le regretterait ? Aujourd’hui un clown fait à lui seul le spectacle et raconte des histoires émouvantes et drôle. Il reste clown néanmoins en ce que ses histoires sont sans parole, ou presque, les mimiques y pourvoient. Il reste en outre un artiste circassien en ce qu’il possède suffisamment les techniques du cirque pour impressionner le public. Le clown est donc devenu une sorte de « généraliste » du cirque, moins bon acrobate ou jongleur qu’un « vrai » jongleur ou un « vrai » acrobate, par exemple, mais jongleur et acrobate quand même. Et naturellement il commencera par se montrer très maladroit dans ces techniques avant de démontrer au public qu’il en maîtrise néanmoins quelques tours.
Dany Ronaldo est issu d’une famille pratiquant le cirque depuis des générations. Il s’exprime (quelques mots) en italien, ce qui le ferait paraître déplacé dans un spectacle rangé sous l’égide de la Francophonie si sa metteuse en scène, Lotte van den Berg, n’était Belge (quelle peut être la part de la M.E.S. dans un tel spectacle ? voilà une question à laquelle il est impossible de répondre à moins d’être dans le secret de la fabrication). On ignore tout autant si Fidelis fortibus (fidèle courageux – fortuna favet fortibus : la chance favorise l’audacieux) est un requiem à la tradition familiale. Il montre en tout cas, à sa façon, la fin du cirque artisanal réunissant quelques artistes sous un modeste chapiteau. Au début, en effet, D. Ronaldo est environné des tombes de ses anciens camarades. Celles de la ballerine-trapéziste pour laquelle il avait un béguin secret, celle de l’acrobate qui fut l’amant de la précédente, celle du dompteur, celle de deux ou trois musiciens et bien sûr celle du directeur-magicien. Chaque tombe de sciure et surmontée d’une croix qui porte les accessoires de chacun. Puisque tous les vrais artistes ont disparu, Ronaldo, le Monsieur Loyal du cirque, s’efforce de refouler les spectateurs entrés manifestement par erreur sous le chapiteau… Et ceci constitue le commencement du spectacle, son premier gag, suffisamment long pour énerver les spectateurs et les mettre dans l’attente du moment où Ronaldo va vraiment commencer, c’est-à-dire s’efforcer – maladroitement évidemment – de se substituer à ses camarades absents. On n’en dira pas davantage, on se gardera en particulier de dévoiler l’apothéose finale. Disons simplement que les numéros qui s’enchaînent ne sont pas que drôles, que Ronaldo crée une atmosphère poétique, tendre et mélancolique. On rit à Fidelis fortibus mais avec retenue. L’empathie avec l’artiste dégingandé qui se débat avec des accessoires qui ne lui étaient pas destinés mais dont il fera tout de même quelque chose est la plus forte.
Créolité : Mayola de et avec Sergio Grondin
Un Réunionnais d’adoption, passionné par la culture créole, a conçu un spectacle inclassable – « conférence théâtralisée » semble le plus proche de la vérité – dans lequel il s’interroge sur l’identité réunionnaise, la part de sa musique (« maloya » est le nom d’une musique traditionnelle de l’île qui accompagnait le travail en commun de la terre – « lasoté » en créole martiniquais) et de sa langue créole, les menaces qui pèsent sur elle du fait de la scolarisation et de l’omniprésence des médias en français, sans parler de la mondialisation. Sergio Grondin est visiblement habité par son sujet et Maloya est à même de faire toucher du doigt aux spectateurs non avertis certaines contradictions psychologiques des insulaires ultramarins, pris qu’ils sont entre l’univers des parents ou plus souvent désormais des grands-parents ou arrière-grands-parents, et celui de la France et de la modernité.
Les Réunionnais sont représentés par leurs noms inscrits sur des cartons posés sur le plateau. Petit à petit il se couvre de ces noms, jusqu’à la fin où S. Grondin les entoure d’un grand cercle de sable figurant l’île. La M.E.S. est inventive et il n’y a rien à redire au fond à Maloya, sinon qu’il brasse des lieux communs pour les initiés (mais, encore une fois, la pièce ne semble pas leur être destinée). On remarque particulièrement un beau poème en créole récité par S. Grondin (sans surtitres, sans doute dans le but de concentrer les spectateurs sur la musicalité de la langue) et le tableau final avec l’embrasement du plateau. Une citation d’Edouard Glissant invite à méditer sur le fait de la diversité dans le « chaos-monde ».
M.E.S. David Gauchard, interprétation Sergio Grondin, musique Kwalud.
Machinations : Cœur minéral de Martin Bellemare, M.E.S. Jérôme Richer
Il faut se méfier des commandes. L’auteur se trouve alors confronté à un sujet qu’il n’aurait pas spontanément choisi et obligé de rendre sa copie même si le sujet ne l’a pas spécialement inspiré. Certes, avec du métier on produira toujours un texte honnête… mais peut-être pas un grand texte. Est-ce qui est arrivé à Martin Bellemare ? Le fait est que cet auteur s’est bien trouvé sélectionné pour écrire une pièce sur les migrations (les « migr’actions ») à l’issue d’un festival à Conakry et qu’il est un auteur suffisamment expérimenté – plusieurs fois primé – pour répondre honorablement à la commande.
Auteur québécois, il a pris comme protagoniste un Guinéen immigré au Québec où il travaille pour une société minière, laquelle a des intérêts en Guinée et même, plus précisément, dans son village natal. Un cas d’école puisque les statistiques officielles canadiennes indiquent que 7 sociétés minières de ce pays opèrent en Guinée (chiffre de 2017), le plus souvent sous forme de sociétés mixtes (c. à d. avec une participation de l’Etat guinéen). Par ailleurs l’exploitation de la bauxite en Guinée a donné lieu à plusieurs scandales récents à propos, en particulier, des déplacements récents de population. On voit tout de suite ce que le sujet de Cœur minéral peut avoir de pertinent.
De fait, Boubacar, dès son arrivée au village, doit affronter la colère de la population représentée par son chef et surtout par un jeune homme à la parole virulente. A l’arrière-plan, comptant les points, le collègue canadien de Boubacar et le représentant guinéen de la société mixte qui exploite le site (comme par exemple la Compagnie des Bauxites de Guinée, la CBG, dont l’Etat détient 49 % et qui compte une participation de Rio Tinto-Alcan).
La pièce adopte elle-même une forme mixte, à la fois dialoguée et chorale (qui fait intervenir plusieurs narrateurs). Elle enchaîne les séquences brèves tantôt dans le village, tantôt à Conakry, sachant que les récits des uns ou des autres autorisent des excursions. Par exemple lorsque Boubacar raconte une anecdote vécue dans le métro parisien.
La pièce réunit une comédienne cantonnée au rôle de principale narratrice (quelque peu didactique, Cœur minéral se voulant également documentaire) et cinq comédiens dans des emplois divers, le nombre de personnages étant supérieur à celui des comédiens. Les séquences s’enchaînent sans que la logique de leur succession soit toujours évidente, les dialogues s’interrompent rapidement, ce qui nous fait regretter que les personnages et les situations ne soient pas davantage approfondis. En contrepartie, une telle construction permet des morceaux de bravoure et l’auteur ne s’en prive pas.
Le décor, « moderne », se réduit à des parallélépipèdes rectangles en bois déplacés lors des changements de scènes par les comédiens. Ces derniers se tirent plutôt bien d’un exercice que certains d’entre eux ont jugé difficile, ce qui ne contredit pas ce que nous venons d’écrire.
Avec Morciré Bangoura, Moïse Bangoura, Fidele Baha, Ashille Constantin, Adrian Philip, Fatoumata Sagnane Condé.