Scènes

Théâtre : « Hugo – l’exil, la rage, le rêve »

Alors que la plupart des théâtres sont fermés dans le monde pour cause de Covid, la Martinique fait exception. Pour combien de temps, nul ne le sait, mais l’on a pu voir en ce mois de janvier un montage de textes de Victor Hugo commenté et interprété par Paul Fructus. Le maintien de cette pièce au programme du Théâtre municipal n’était pas gagné d’avance et pas seulement à cause de la Covid, Victor Hugo étant devenu la cible des activistes martiniquais (les mêmes qui ont fracassé la statue du Schœlcher, le père de l’abolition de l’esclavage en 1948 !)[i]. Ainsi, le 26 juillet dernier, ont-ils entrepris d’enlever les plaques indiquant la rue Victor Hugo à Fort-de-France.

L’affaire avait commencé à l’occasion des épreuves du baccalauréat, en 2019, lorsqu’une jeune fille de bonne famille martiniquaise a refusé de traiter le sujet (portant sur Hernani) au prétexte que Victor Hugo était présenté dans les programmes scolaires sous un jour uniquement favorable, oubliant son « racisme ». Accusation absurde[ii] s’il en est mais qui s’inscrivait parfaitement dans la vague du mouvement « décolonial » et qui a marqué certains esprits en Martinique, si bien qu’on pouvait se demander si les représentations de Hugo – l’exil, la rage, le rêve ne seraient pas perturbées. Il n’en fut rien, fort heureusement.

Et tant mieux car tout le spectacle démontre la générosité de Hugo, son souci des plus pauvres et des laissés-pour-compte. Qui n’a lu ses grands romans, Les Misérables, Notre-Dame de Paris ? Est-il encore besoin, après ça, d’ajouter quelque chose pour sa défense ? Poser la question, c’est y répondre, bien sûr.

Il n’y a pas d’extrait de ces romans dans le spectacle de Fructus mais de tant d’autres textes, violents ou tendres, deux sentiments, soit dit en passant, qui sont inhérents à toute révolte sociale.

Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde, la souffrance est une loi divine, mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère (discours à l’Assemblée nationale, 9 juillet 1849).

Ce qui se dit en prose se dit aussi bien en vers :

Où vont ces enfants dont pas un seul ne rit
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
(Les Contemplations, « Melancholia »).

Chez Hugo la compassion se mêle à l’admiration. Voir le personnage de Gavroche ou ce jeune héros évoqué dans l’Année terrible, le moment le plus émouvant du spectacle, selon nous :

Sur une barricade, au milieu des pavés
Souillés d’un sang coupable et d’un sang pur lavés
Un enfant de douze ans est pris avec des hommes…

Il faudrait citer ce passage intégralement. Il se termine ainsi : La mort stupide eut honte et l’officier fit grâce.

Hugo croyait au progrès. Il l’a dit, en vers encore, dans un long poème, Une rougeur au zénith, qui date de 1875, à soixante-dix ans passé.

Nous avons ce rayon, l’idéal ; nous avons
Ce qu’avaient autrefois les pâles esclavons,
Les juifs, les huguenots et les noirs, l’espérance.
[…] Au zénith, une flamme informe, le destin,
Le progrès, la confuse ébauche de la vie,
La lampe des penseurs d’un jour pâle suivie…

Le Hugo au cœur débordant d’amour, est tout aussi présent dans les choix de Fructus.

Amour des femmes : La belle fille heureuse, effarée et sauvage, / Ses cheveux dans les yeux, et riant au travers (Les Contemplations, XXI)

Amour pour Léopoldine, la fille trop tôt disparue : Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe / Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur (ibid., XIV)

Amour pour les petits-enfants : J’en ai deux ; Georges et Jeanne ; et je prends l’un pour guide / Et l’autre pour lumière, et j’accours à leur voix (L’Art d’être grand-père).

L’amour de Victor Hugo ne s’étendait cependant pas à tout le genre humain. Il n’en avait pas une goutte pour « Badinguet », l’empereur Napoléon III qui l’avait contraint à l’exil :

Il trousse sa moustache en croc et la caresse,
Sans que sous les soufflets sa face disparaisse
Sans que, d’un coup de pied l’arrachant à Saint-Cloud,
On le jette au ruisseau, dût-on salir l’égout !
(Les Châtiments).

La satire, l’anticléricarisme (y compris quand ils se teintent d’humour) font aussi partie de la panoplie de Victor Hugo. Tout cela est évoqué dans la pièce magistralement interprétée par un Fructus qui remplit à lui tout seul l’espace, déclame comme pas deux et qui, de surcroît, avec sa moustache et sa barbe blanche n’est pas sans ressembler quelque peu aux photos du vieil Hugo. Quant à ses commentaires, ils ne déparent pas avec les mots d’Hugo. On peut en juger par sa présentation du « prince des poètes ».

[Victor Hugo] : « Un équipage armé jusqu’aux dents de cris de révolte et d’amour. Et voici en figure de proue : Hugo le dandy, la coqueluche de ces dames. Au bastingage : Hugo l’incendiaire, pyromane du Second Empire. Au mât de misaine : Hugo l’ami des noirs et du bas peuple. Et tout là-haut, à la vigie, Hugo l’exilé ».

Le comédien est accompagné par une musicienne, Marie-Claire Dupuy, à divers instruments. Quoique ses interventions n’apparaissent pas toujours indispensables, son jeu au vibraphone retient l’attention. On apprécie, quoi qu’il en soit, que les instruments ne soient pas amplifiés et tout autant que Paul Fructus ne soit pas affublé d’un de ces horribles micros d’oreille qui servent de béquille à trop de comédiens aujourd’hui. Lui n’en a pas besoin !

 

PS : Le texte de la pièce est disponible auprès de la compagnie « Le temps de dire » (letempsdedire@orange.fr).

 

[i] Cf. https://mondesfrancophones.com/espaces/politiques/anatomie-du-vandalisme-martiniquais/

Schœlcher fracassé

[ii] La jeune personne se fonde sur le discours de V. Hugo lors d’un banquet commémorant l’abolition de l’esclavage (en 1879). Un discours dans lequel V. Hugo prend très clairement parti en faveur de la colonisation de l’Afrique, ce qui est certes condamnable – surtout a posteriori, quand on sait comment les choses se sont passées – mais n’est en aucune façon – sauf, bien sûr, pour les soi-disant « éveillés » (woke) – une profession de foi raciste.