Scènes

Avignon 2018 (10) Vandalem – Couperus/van Hove – IN

Arctique

Anne-Cécile Vandalem avait marqué le festival, il y a deux ans avec Tristesses, déjà une sombre histoire de corruption mettant en scène une politicienne danoise, à ceci près que l’action se déroule non sur une île mais sur un paquebot désaffecté remorqué vers le Groenland (possession danoise) où il servira d’hôtel. La raison pour laquelle quelques passagers clandestins se retrouvent à bord demeure longtemps obscure. Par contre on comprend assez vite que le bateau a heurté une plate-forme pétrolière lors de sa première croisière, que des écologistes ont été déclarés responsables, jugés, que le mouvement écologiste danois a été de ce fait décapité et que son chef, Mariane Thuring, est morte pendant cette traversée. La suite est une série de coups de théâtre pour nous apprendre ce qu’il fut réellement et à quelle fin les passagers ont été attirés sur le bateau.

La mise en scène d’A.-C. Vandalem ne déçoit pas. L’usage de la vidéo se justifie ici pleinement car il permet de sortir du salon où sont réunis les comédiens face au public pour visiter divers lieux du paquebot (le pont, une coursive, une cabine de passager, la cabine du radio, la cale) construits dans un second décor derrière le premier. Un faux ours blanc fait une apparition impressionnante au moment où le bateau (auparavant abandonné par son remorqueur) est pris par la banquise. La lumière est constamment ténue (pour obéir à la mode mais c’est ici justifié parce que les machines du bateau tournent au ralenti), ce qui n’empêche pas qu’il y ait du spectacle ! Au fond du salon, dissimulés derrière un rideau qui s’ouvre à volonté, se tient un orchestre improbable de trois vieux musiciens. Les comédiens sont eux aussi impeccables avec une mention spéciale pour le journaliste chargé de détendre l’atmosphère dans une pièce qui n’est pas vraiment à la franche rigolade.

En français surtitré en anglais.

De dingen die voorbijgaan (Les Choses qui passent)

Of old people and the things that pass est la traduction anglaise du titre d’un roman de l’écrivain Louis Couperus (1863-1923) écrit lors d’un séjour à Nice en 1904 (en français Vieilles gens et choses qui passent, Ed. universitaires). Avant Les Damnés, l’évènement du IN il y a deux ans, Ivo van Hove avait monté avec le Toneelgroep Amsterdam cette adaptation signée Koen Tachelet. Le roman a quelques résonances autobiographiques. L’auteur, par exemple, était marié quoiqu’homosexuel ; on peut penser que son personnage de Lot qui épouse Elly sans l’aimer a quelque chose à voir avec son propre mariage. Le roman comme la pièce sont situés dans le milieu bourgeois puritain des Pays-Bas au début du siècle dernier, avec les frustrations que cela implique. Les déviations aussi, comme chez l’oncle Anton, rare ou peut-être unique pédophile – nous dit-on – de toute la littérature néerlandaise. Et quand la passion déborde cela peut aller jusqu’au meurtre, comme chez Ottilie et son amant Takma qui ont assassiné le mari d’Ottilie aux jours lointains de leur jeunesse d’expatriés en Indonésie. Ce meurtre est au cœur de la pièce. Parmi les descendants certains le savent, les autres l’ignorent tout en étant conscients qu’un secret redoutable plane.

A côté des Damnés et juste après avoir vu Arctique, on est déçu par une m.e.s. minimaliste (plus encore que dans The Fountainhead, l’adaptation du roman d’Ayn Rand, en 2014) ce qui n’est pas un défaut en soi… à condition qu’elle soit mise au service d’un texte très fort. Or les états d’âme des membres de cette famille n’intéressent pas très longtemps et leurs plaintes répétitives lassent d’autant plus vite. Le fait que les comédiens s’expriment en néerlandais, avec ce que cela entraîne comme travail fastidieux pour le spectateur, sachant qu’il s’agit d’un théâtre de texte avec pour seule interruption une scène d’amour (au sol car il n’y a pas d’autre accessoire que les chaises où prennent place les quinze comédiens qui attendent leur tour ou ceux qui jouent Ottilie et Takma, les deux ancêtres), scène « évidemment » dénudée, ce qui crée, il faut le reconnaître, une respiration bienvenue au milieu de tous ces personnages uniformément vêtus de noir.