Films

« Hope » : My life is in the hands of God

HopeLe point de vue d’un Européen

Hope n’est pas le premier film sur les travailleurs africains migrants, un sujet douloureux pour le spectateur européen qui se trouve directement interpellé. Car c’est chez nous qu’ils veulent venir et c’est nous, les Européens, qui dressons les obstacles qui rendent leur parcours si difficile et trop souvent mortel. Il y a des films qui traitent des sujets douloureux et qui nous font pleurer parce que nous nous identifions au personnage souffrant. L’effet produit par Hope est autre : horrifiant, glaçant. Nous sommes confrontés à des humains que nous ne pouvons pas considérer comme des frères. S’ils étaient nos frères nous devrions les accueillir. Mais en dehors des militants d’extrême gauche rendus aveugles à leurs intérêts par l’idéologie, nous savons bien que ce n’est pas possible, que le chômage frappe déjà chez nous plus qu’il n’est supportable et que nous n’aurions pas d’emplois à offrir à tous ceux qui frappent à notre porte, qu’il faudrait pourtant leur offrir des conditions de vie décente et accepter, pour cela, de nous appauvrir.

Le philosophe Jacques Rancière explique que le seul théâtre politique efficace est celui qui permet « l’émancipation » du spectateur, non pas un théâtre de prêche  – quel que soit le contenu, gauchiste ou droitiste ou « extrême-centriste » du sermon, généralement sans effet concret – mais un théâtre qui mette le spectateur en position de choisir, c’est-à-dire, au fond, de faire lui-même de la politique[i]. En ce sens, Hope n’est pas du cinéma efficace puisqu’il place le spectateur face à un dilemme insoluble. Son cœur le pousse à accueillir les pauvres qui frappent à sa porte ; sa raison lui montre que c’est impossible. La solution – qui consisterait à tarir le flux des migrants en offrant aux Africains des conditions de vie satisfaisantes dans leurs pays – est absolument hors de la portée du spectateur. Il n’y a pas d’identification possible, contrairement à ce qui se passe dans d’autres films, pour le spectateur occidental, parce qu’il est directement pris à partie – ce qui n’est pas le cas lorsqu’on lui présente un drame individuel – dans une question d’ordre géopolitique dont il ne détient en aucune manière la clef[ii].

Si Hope n’est pas par ailleurs un grand film du point de vue strictement cinématographique, parce qu’il il y a trop de scènes attendues et parce que la qualité de la photo laisse parfois à désirer, ce n’est pas un film manichéen, bien au contraire. Il montre une réalité que les médias occidentaux passent généralement sous silence : le désert, la police corrompue, les passeurs parfois malhonnêtes ne sont pas les seuls obstacles que le migrant rencontre sur sa route jusqu’aux portes de l’Europe ; il se heurte encore à des mafias auxquelles il lui est apparemment bien difficile d’échapper. C’est en tout cas le sort qui attend le couple dont on suit les aventures tout au long du film, celui de Hope et de Léonard, dont la survie est d’autant plus compliquée qu’ils ne sont pas de la même nationalité. Elle est originaire du Nigeria et lui du Cameroun, si bien qu’ils ne sont bien accueillis ni par les Nigérians ni par les Camerounais, les premiers étant de loin les plus cruels. La société nigériane est particulièrement violente (on en a un exemple aujourd’hui avec les exactions commises par Boko-Haram) et tout laisse à penser que la cruauté du « Chairman » qui dirige la mafia des Nigérians n’est pas que de la pure fiction.

Il ne fait pas bon être une jeune femme dans cet univers, même mariée. Chairman l’explique clairement à Léonard : toutes les femmes du clan sont à lui. En tout état de cause, une jeune femme est considérée avant tout par celui qui a autorité sur elle – mari ou autre – comme une source de revenu : son « destin » est d’être prostituée. Hope raconte aussi une histoire d’amour, néanmoins, un amour qui s’affermit peu à peu à travers les épreuves. Dans ce monde dominé par la sauvagerie, l’héroïne, Hope, ne se révolte pas : elle admet être en dette à Léonard qui l’a fait accepter par le clan des Camerounais, dans un univers où rien n’est gratuit ; elle sait aussi que louer son corps est pour eux deux le meilleur moyen d’accumuler suffisamment d’argent pour la suite du voyage, aussi son attachement pour Léonard n’est-il pas affecté par le métier qu’il lui fait faire. Elle se soumet à la fatalité : « my life is in the hands of God ».  C’est plutôt Léonard qui a du mal à accepter cet amour ; il se reproche de s’être intéressé par pitié à Hope et la considère surtout comme une gêne. Le fait est qu’il renoncera à escalader le grillage de Melilla, dernier obstacle vers la terre promise, parce que, enceinte, elle ne peut pas le suivre. Il ne leur restera plus qu’à tenter la traversée de la Méditerranée et c’est alors que le couple tombera dans les griffes de Chairman et des Nigérians.

Le choix des comédiens est adéquat au projet d’un film qui se rapproche souvent du documentaire. Hope (Endurance Newton) et Léonard (Justin Wang), en particulier, ne sont pas interprétés par des « icones » mais des acteurs d’apparence ordinaire, en phase avec leurs personnages qui n’ont d’autre atout, pour survivre, que l’énergie du désespoir.

Hope n’est pas un « grand film », on l’a dit, et il n’est pas non plus un film « grand public ». C’est un film qui dérange et qui donne à réfléchir, à défaut d’apporter des réponses. A cet égard, pour son premier long métrage, Boris Lojkine n’a pas manqué sa cible.

[i] J. Rancière propose cette définition de la politique : « l’œuvre de sujets qui ajoutent dans l’ordre saturé de la police des objets en surplus. » Cf. J. Rancière, Le Spectateur émancipé (2008) et S. Lander, « Le Théâtre et ses spectateurs », Esprit n° 403, mars-avril 2014.

[ii] L’aide au tiers-monde devait être la solution mais on sait qu’elle a en grande partie échoué, non seulement faute de moyens suffisants mais encore parce qu’elle se trouve massivement détournée au profit de quelques-uns. Faire que l’aide atteigne véritablement ceux qui en ont le plus besoin exigerait des mesures radicales qui ne sont pas d’actualité. On peut consulter à cet égard un article de Michel Herland : « Une théorie normative de l’aide au développement », Région et Développement, n° 26, 2007. http://www.creum.umontreal.ca/IMG/pdf_Herland.pdf