Paul Le Jéloux (Pontivy 1955 – Dol-de-Bretagne 2015). Après une licence d’anglais, il enseigna à Londres, Brazzaville, Tananarive puis Paris avant de se replier, en 2006, dans sa Bretagne natale. Entretemps, il avait traduit des poèmes de l’anglais, participé à la création de la revue bilingue franco-anglaise Twofold, et écrit ses propres poèmes qui donnèrent la matière de quatre recueils, tous chez Obsidiane (1). Grâce à M. Jean-Louis Bouttes MF a eu accès à des poèmes inédits de P. Le Jéloux. Après « Métier », d’autres suivront.
Métier
Seul avec ma tisane, ou moins raisonnablement mon café,
à quatre heure du matin m’échinant sur un vers qui ne veut rien dire
revenant sans cesse sur le métier comme Boileau disait de le faire
Riche de mes expériences, habitué aux ratures, aux marges sacrifiées,
aux pleins et aux déliés, si c’est en enfer qu’on vit
et que par ailleurs, grâce à Rimbaud et Dupin,
il y a une apparence de soupirail au fond de ce trou de solitude,
de dérision où l’on désespère en chantonnant, utile et inutile à la fois,
audacieux et farfouilleurs, musant des empires énormes
pour une goutte d’encre, un morceau de buvard,
une gomme à papier, un petit dessin enfantin.
On ne sait pas si l’on a du talent
(« l’art est long et le temps est court. »)
Il y a des scories, des chutes, du crottin,
il y a toutes les métempsychoses, tous les petits trains,
les tortillards des nuits fiévreuses,
ou l’on est seul avec son fou comme aux échecs.
On ne joue avec personne sinon justement avec cette personne
qui s’éveillera à nos voix un jour d’outre-temps, d’outre-saison,
d’outre-jour . Oui, quand l’aube viendra ce sera la défaite
avant la renaissance. L’horloge est implacable.
Tu n’as rien fait aujourd’hui que des vétilles
des amuse-gueules et des pattes de mouches.
Va dormir sur les berges de ton petit fleuve humain gris-vert
Va t’accommoder des tiges diurnes dans l’ardoise nocturne
Découvre d’autres parallèles et sécantes
refais à neuf ton lit, écoute cinq minutes une sonate de Bach
par Glen Gould et dors paisiblement dans l’illusion
de toutes les victoires et de toutes les défaites.
(1) Voir ici la présentation par Michel Lercoulois du dernier recueil : Le Jardin sous l’ombre