Episode 60
Le cinéma est un art, disait Jeanne Moreau
Un beau jour de début d’été à Saint-Tropez, Roger Vadim commença à tourner un film qu’il appela ensuite « Et Dieu… créa la femme ». Comme façon de vivre et de faire un film, on n’a jamais fait mieux. A Saint-Tropez, dans le film et sur la plage, il y avait Brigitte Bardot. On n’a pas fait mieux non plus.
Brian n’était pas Roger Vadim – on l’aurait reconnu ; ni Sofia Coppola : elle n’aurait jamais porté une paire de lunettes de soleil comme ça, rafistolées avec du sparadrap ; en général elle achète toutes les lunettes de la boutique.
Enfin, Brian était cinéaste, il avait étudié dans une université de la côte ouest où il avait eu comme prof Brian De Palma, c’est sans doute pourquoi il avait choisi Brian comme pseudo pour les relations publiques (A mon avis, ça ne valait pas Luchino).
Comme tous les gens que vous rencontrez qui travaillent dans le cinéma, il préparait un film : « une comédie amoureuse contemporaine ». Le « contemporaine » nous avait un peu inquiétés. « Un Américain en vacances croise sur une plage une Française, elle aussi en vacances… Elle vient de rompre avec son fiancé ou de se faire larguer (la productrice new-yorkaise penchait pour la première version) » Le tournage devait bientôt commencer. Caro prit Leslie de vitesse et dit :
– Brian, au fait, à quel moment du film je me déshabille ?
Brian rougit : il n’était pas encore habitué à la spontanéité des actrices françaises.
A l’écart, Jules composait une sorte de moue méprisante. Et marmonna ; quelque chose dans le genre « si elle n’a trouvé que ça pour se rendre intéressante… » Il était aussi en train d’écrire un scénario dans lequel il prévoyait une scène où Caro se déshabillerait, Un truc classique utilisé par tous les réalisateurs pour coucher avec leur actrice.
Un jeune espoir d’Hollywood, nouveau Redford, devait débarquer, l’affaire traînait. N’empêche, à chaque apparition de Brian au bar de la plage, le niveau d’effervescence montait, une excitation électrique innervait la foule. On attendait fébrilement le moment magique où Brian lancerait le fameux et bouleversant : silence…moteur…action !
Et puis on ne revit plus Brian
Pas un souffle d’air, la mer s’étirait dans le calme du soir saturé d’étoiles filantes projetées sur des écrans incertains. Caro qui justement portait cette minirobe noire si courte et qui lui va si bien, commença à chanter comme Brigitte Bardot « Sur la plage abandonnée… », la lune s’installait dans le ciel
PS : Georges proposa de mettre la note de la tournée de dry-martini sur le compte de la Metro Goldwyn Meyer.
Episode 61
Par grand vent, l’âme est volatile
Parfois, ça se déglingue – la vie, les événements, la routine – alors qu’on croyait toutes les pièces du puzzle bien emboîtées, à la bonne place. Et brusquement, tout explose. Se démantibule. Va de travers. Au rayon des raisons improbables, on trouve des déclarations dans le genre « la paille dans l’acier ou « le grain de sable dans l’engrenage », voire la théorie générale du chaos. On n’est pas plus avancé.
Jusqu’à présent, je n’avais vécu aucune de ces tragédies en direct, sinon celle d’être né bien sûr, et quelques désespoirs accessoires comme des peines de cœur (à prendre quand même au sérieux) et une invincible irrésolution à m’imaginer devenir quelqu’un.
Je tournais et retournais ces pensées tout en marchant en bordure de l’eau, même si ce n’était pas vraiment un temps à marcher dans l’eau. Celle-ci était froide, la mer grise, une brise soufflait du large sans compassion.
Au chapitre des déceptions sentimentales en cours, figuraient Leslie et Line. Leslie est à dominante sexy alors que le romantisme semble l’emporter chez Line, mais aucune des deux n’est amoureuse de moi d’une façon décisive. Peut-être devrais-je envisager quelqu’un d’autre, Louise de V par exemple ? Après tout, une reine de France avait bien eu un amant anglais et il avait fallu les quatre mousquetaires au complet pour la tirer du bien mauvais pas où cela l’avait menée. J’étais assez Anglais – environ 50% – et Louise était Versaillaise d’origine et d’éducation.
Maintenant, le vent y mettait du sien, et les mouettes profitaient des appels d’air pour se lancer dans des combats tournoyants, le nec plus ultra dans l’entraînement de la section pilote de chasse de la Royal Air Force.
Leslie et Line remontèrent un moment sur le podium de mes obsessions. Je n’arrivais pas à décider du classement final.
Je continuais d’être né.
Des bourrasques essayaient de m’arracher mon bonnet.
Bob Dylan a écrit la chanson Blowin’In The Wind. Il y prétend que les réponses à toutes les questions que l’on se pose sont données par le vent…The answer, my friend, is blown in the wind…
Est-ce qu’il l’a composée avant son idylle avec Joan Baez ou après qu’elle l’ait viré ?
Episode 61
L’été ne sert à rien
Cela s’annonçait pacifique dans tout le secteur. Pas de contrariétés exceptionnelles en vue. Paul McCartney donnait toujours des concerts ; d’après lui, il ne savait faire que ça. Les Rolling Stones aussi. Dernièrement ils étaient en tournée au Canada ; Lisa Fischer, une somptueuse choriste black, (et aussi ex-girl-friend de Mick) était en première ligne, entre Mick et Keith ; elle avait réussi à franchir les « twenty feet from stardom ».
La planète en était à peu près à mi-parcours de sa révolution annuelle, l’aiguille du baromètre pointait obstinément sur beau fixe, avec le ciel et la mer qui vont avec, comme sur les cartes postales des bureaux de tourisme du monde entier. Conséquence : des armadas de corps huilés s’étalaient sur le sable de la plage, en attendant mieux…Le passage du marchand de glaces ou de churros ? Les mouettes ignoraient superbement cette effervescence molle.
Enfin, les filles portaient des bikinis de toutes les couleurs, forcément la tête flottait un peu et les idées censées s’y trouver aussi.
On en était là, en panne, et rien ne venait. On avait peut-être fondé trop d’espoirs sur la saison et ses sortilèges référencés, comme transformer les démons en anges ou le rap en blues. Rien ne se passait comme on l’attendait, d’ailleurs il ne passait rien du tout. Alors, l’ennui s’était installé avec ses dérivés : mauvaise humeur, irritabilité, ou carrément somnolence étudiée et boudeuse pour les plus fraudeurs. Caro envisageait d’écrire un best-seller romantique et savant. Françoise Sagan avait déjà tenté le coup en restant à Paris avec son stylo plutôt qu’aller patauger en famille sur une plage du Pays basque. Ça avait bien marché.
Le futur avait déserté, un présent plat et alangui triomphait sournoisement.
Qu’est-ce qu’aurait dit Shakespeare devant cette situation ?
Georges le remplaça au pied levé et débloqua les esprits :
– Il y a vraiment des saisons inutiles, vous ne trouvez pas ? Si on passait directement à la suivante…